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De Guelendjik à Angus Road: les points communs entre Vladimir Poutine et Pravind Jugnauth

31 janvier 2021, 19:33

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De Guelendjik à Angus Road: les points communs entre Vladimir Poutine et Pravind Jugnauth

Moins de deux semaines après sa diffusion, une enquête vidéo réalisée par l’opposant russe actuellement en détention, Alexeï Navalny, intitulée Le Palais de Poutine a été vue plus de 100 millions de fois sur YouTube. La Fondation Anti-Corruption (FBK) de Navalny dénonce l’opulence et le luxe de cette résidence valant $ 1 milliard (Rs 45 milliards) située au bord de la mer Noire à Guelendjik dans le sud de la Russie, mais également son financement par des fonds publics détournés.

Tout en révélant pour la première fois les images du luxueux intérieur du palais, Alexeï Navalny a dévoilé une structure complexe composée de trusts, compagnies offshore, sociétés écran, qui font du président russe le propriétaire des lieux – pas à son propre nom mais – à travers des personnes que l’enquête qualifie de «portemonnaie» de Poutine.

Toutes proportions gardées, un parallèle peut être fait entre ce scandale qui a mobilisé des milliers de personnes dans les rues de Moscou et causé des affrontements avec les forces de l’ordre qui ont arrêté plus de 2 000 personnes, et la saga Angus Road qui, même si elle a été éclipsée de l’actualité par les autres scandales du moment (Kistnen, Kanakiah, Fakhoo), reste une hot potato entre les mains du Premier ministre pour 2021. Les points communs entre les deux affaires se résument en deux mots : opulence et opacité. Et c’est celle-ci (l’opacité) qui fait de la première (l’opulence) une affaire d’intérêt public.

À ce jour, Vladimir Poutine a simplement déclaré que le film qui mentionne selon lui «des amis, d’anciens collègues, la famille éloignée, des connaissances» mais aussi des gens qu’il «n’a juste jamais vus» est une «compilation de vieilles allégations pour laver le cerveau des citoyens». Poutine ne répond pas aux détails précis de l’enquête de Navalny mais il peut au moins s’octroyer le mérite d’avoir répondu dans la foulée aux allégations. Encore un peu, Poutine sur «son» palais serait plus crédible que Pravind Jugnauth sur Angus Road.

Car le Premier ministre mauricien, lui, avait choisi de tenir une conférence de presse le 27 novembre 2020, soit 113 longs jours après les premières révélations de Roshi Bhadain à Rose-Belle. Lors de cet exercice, il a avoué que c’est l’homme d’affaires Alan Govinden qui a payé le vendeur (Bel-Air Sugar Estate) pour une portion de 7 023 m2 et qu’au final c’est au nom de ses filles que les titres de propriété ont été rédigés.

Et là encore – il n’a rien à envier à Poutine qui a fait incarcérer Navalny – il a choisi d’exclure l’express de cette conférence de presse. Nous n’avons donc pas pu poser nos questions dont celle-ci : «si les reçus circulés par le leader de l’opposition, et qui sont censés démontrer que vous (NdlR: Pravind Jugnauth) avez payé en cash dans des transactions au-dessus de la limite autorisée pour une portion de 3597m2, comment et quand avez-vous payé pour les Rs 7 millions ?»

Même dans sa plainte servie à l’express quelques jours après cette conférence de presse, Pravind Jugnauth ne répond pas à cette question. Quand on considère que l’ICAC avoue elle-même enquêter sur la façon dont le Premier ministre a acquis ces biens, le caractère opulent de la propriété, comme pour le palais de Poutine, devient central et d’intérêt public.

Selon une enquête de Navalny : l’obsession de Poutine pour le luxe et l’opulence

C’est l’enquête la plus massive de l’opposant russe emprisonné Alexeï Navalny: dans une vidéo aux quelque 90 millions de vues, il accuse Vladimir Poutine de bénéficier d’un fastueux «palais» au bord de la mer Noire à Guelendjik dans le sud de la Russie et financé par des oligarques.

Les investigations d’Alexeï Navalny détaillent l’opulence de cette résidence de 17 700 mètres carrés sur un terrain équivalant à «39 fois la taille de Monaco». Le complexe comprend un amphithéâtre, une église, des vignobles, une enceinte de hockey sur glace, un tunnel géant menant à la plage ou encore un casino.

Captures d’écran du documentaire d’Alexeï Navalny qui dénonce l’obsession du Président russe pour le luxe et l’opulence.

Accusant Poutine d’être «obsédé par les richesses et le luxe», l’opposant estime le chantier à 100 milliards de roubles (1,12 milliard d’euros) avec ses dix chambres d’hôtes, ses meubles sur-mesure ou encore sa brosse à WC italienne à 700 euros pièce.

Selon Navalny, la pêche est interdite dans les eaux avoisinantes et il existe une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la propriété.

Un cadeau des oligarques?

Selon Navalny, la construction du complexe a été financée par des entreprises liées à des proches de Vladimir Poutine tels que le patron du géant pétrolier Rosneft, Igor Setchine, l’homme d’affaires et milliardaire Guennadi Timtchenko ou encore Iouri Kovaltchouk, principal actionnaire de la banque Rossiya, surnommée la «banque des amis de Poutine» et sous sanctions occidentales.

Les fonds proviendraient de faux contrats et divers autres stratagèmes impliquant des entreprises publiques, dont la firme de transport pétrolier Transneft, dirigée par Nikolaï Tokarev, ancien collègue de Vladimir Poutine lorsqu’il travaillait pour le KGB soviétique. Un neveu du président est également cité.

D’après l’opposant, qui a publié ses accusations dans la foulée de son incarcération le 17 janvier, ces financements illégaux représentent le «plus gros pot-de-vin du monde». Il admet cependant qu’il n’y a aucune trace écrite du nom de M. Poutine.

Son exposé a été aussi accompagné de photos, mais ce sont des représentations d’artiste imaginant le faste intérieur, notamment une «discothèque aquatique», qui sont devenues virales.

Poutine dément en personne

Face au succès de la vidéo, vue plus de 90 millions de fois sur YouTube et qui a servi de support aux manifestations du 23 janvier, le président russe intervient en personne lundi, lui qui se refuse de même prononcer le nom de l’opposant.

«Rien de ce qui est montré dedans comme étant mes biens ne m’appartient à moi ou à mes proches», a indiqué M. Poutine, interrogé par un étudiant. Il a dénoncé des accusations visant à «laver le cerveau» des Russes, prenant l’exemple d’un montage photo le montrant en train de nager dans une piscine du palais. Le Kremlin a insisté sur ces montages comme la preuve que les accusations sont calomnieuses. Mais il a refusé de révéler le nom des propriétaires et n’a pas dit si le président russe connaissait les lieux.

Pourtant, hier, samedi 30 janvier, le milliardaire Arkadi Rotenberg, proche du président russe, a affirmé être le propriétaire du palais.

Des accusations anciennes

L’enquête d’Alexeï Navalny n’est pas la première à accuser l’homme fort de la Russie de profiter de ce «palais» situé sur les rives de la mer Noire, près de Guélenjik. En 2010, l’homme d’affaires Sergueï Kolesnikov révèle un stratagème de détournements de fonds destiné, selon lui, à financer l’immense résidence. Il dit avoir été approché par un collaborateur du président afin de siphonner, via son entreprise Petromed, une partie des dons d’oligarques en faveur de projets destinés aux hôpitaux vers un opaque fonds d’investissement. Ayant pris soin de quitter la Russie avant ces révélations, Kolesnikov publie des plans, des contrats et écrit une lettre ou- verte au président d’alors, Dmitri Medvedev, l’exhortant à lutter contre la corruption. Les autorités démentent et son initiative tourne court. Dans les mois suivants, plusieurs enquêtes journalistiques pointen t du doigt des malversations, mais l’affaire retombe vite.

Angus Road : 1 117 m2 de surface habitable sur 318 perches pour le Premier ministre mauricien

Tandis que les doutes subsistent, et pendant que l’ICAC enquête toujours, sur la façon dont Pravind Jugnauth a acquis les terres d’Angus Road, on connaît mal les installations qui s’y trouvent. L’express s’est procuré les plans dessinés par l’architecte Johnny Tan Yan en mars 2011 pour le compte du couple Jugnauth. Un architecte talentueux, des clients qui ont bon goût, voilà ce que ça donne.

L’installation la plus frappante selon ceux qui ont déjà visité la demeure des Jugnauth sur les terrains controversés d’Angus Road, c’est la piscine «navy blue». En effet, elle me- sure 25m de long pour 8m de large. À plus de 80 mètres de la rue, elle est à l’abri des regards et surplombe le jardin de 7 000 m2 (167 perches). La piscine tout comme le court de tennis (14 perches) dans l’arrière-cour ne compte pas dans la surface habitable qui s’étale sur 1 100 m2 (800m2, soit plus de 20 perches) pour le rez-de-chaussée et 300 m2 pour l’étage du dessus. Le garage couvert et fermé pour quatre voitures sans que l’une d’elles ne bloque l’accès ou la sortie pour l’autre, la salle de sport tout aussi grande, le veranda lounge, les deux living and dining (formal et family) démontrent que chez les Jugnauth, on ne construit pas une maison à moitié. Pour le reste des pièces du rezde-chaussée, ce sont des pièces habituelles : store, buanderie, cuisine grasse, cuisine américaine, walk-in pantry, soit un garde-manger où vous pouvez circuler, chambre froide, vestiaire, deux salles d’eau, deux chambres, et «Pravind’s Office» qui donne sur la piscine et la véranda.

Au 1er étage, évidemment on retrouve la chambre en suite avec un très grand dressing, bureau, terrasse etc. Deux autres salles d’eau desservent les trois autres chambres, ce qui en soi n’a rien d’exceptionnel. Par contre, l’architecte a aussi réalisé une très grande salle de cinéma au 1er étage. Sur le toit, entre les panneaux solaires qui rendent la demeure quasi- ment autonome en énergie, il a aussi offert un large dôme transparent qui laisse abondamment entrer la lumière du jour sur les escaliers reliant le rez-de-chaussée au 1er étage.

Ce plan n’explique cependant pas l’autre infrastructure à l’extrême sud-ouest de la propriété. Si tous connaissent aujourd’hui «Angus Road» grâce au scandale, une autre rue moins connue conduit aussi à la demeure des Jugnauth : Wilson Road. Celle-ci mène à un parking et un bâtiment qui n’est pas physiquement connecté à la maison principale et qui sert de salle de réunion quand la réunion concerne ceux qui ne doivent pas avoir accès à la maison ou quand les participants à la réunion sont trop nombreux.

Combien vaut ainsi toute la propriété des Jugnauth à Angus et Wilson Road ? Impossible de l’évaluer comme ça sans l’avoir visité, sans inspecter la qualité des matériaux et sans connaître le constructeur. Mais à eux seuls les terrains d’une superficie totale de 318 perches ont été officiellement achetés pour Rs 32 millions entre 1999 et 2008 ! Et vous si votre terrain valait Rs 32 millions, combien auriez-vous investi dans votre maison ?

Les affirmations du PM dans sa plainte et sa conférence de presse

Après avoir tenu une conférence de presse à laquelle l’express n’a pas eu accès, Pravind Jugnauth a logé une plainte contre notre journal – et non Roshi Bhadain, l’auteur de la quasi-totalité des révélations – en justice pour diffamation et il nous réclame Rs 25 millions. Essentiellement, Pravind Jugnauth affirme que Loganaden Govinden, un homme d’affaires basé en Angleterre, avait bien payé Rs 20 millions au vendeur (Bel-Air Sugar Estate) en 2001 pour 7 023 m2 mais en 2008 Govinden n’était plus intéressé par le bien. Il a donc pris possession de ces terres en remboursant Govin- den ses Rs 20 millions et ce remboursement a été sanctionné d’un acte notarié que Pravind Jugnauth a brandi (sans le circuler) lors de sa conférence de presse. Voilà comment, selon le Premier ministre, il est devenu propriétaire de ces terres en 2008. Rappelons que dans une déposition à l’ICAC, Anil Nemchand, ex-employé de Bel-Air Sugar Estate, avait affirmé que dès 2001 quand Govinden avait payé, il avait demandé que le titre de propriété soit rédigé au nom des filles de Pravind Jugnauth.

Pour l’autre partie du terrain acheté, soit 3 597 m2, Arvin Boolell a fait circuler des reçus qui démontrent que Pravind Jugnauth a payé cash en cinq transactions pour une somme totalisant Rs 3,5 millions. Ces transactions dépassent toutes la limite autorisée pour une transaction cash et les auteurs risquent jusqu’à 20 ans de prison et Rs 10 millions d’amende.

Or selon Pravind Jugnauth, ces reçus sont faux. Ainsi dans son affidavit accompagnant sa plainte contre l’express, le Premier ministre jure que tous ses paiements sont légaux, toutes ses acquisitions à Angus Road ont été faites de manière légale, il n’y a jamais eu de conflits d’intérêts (en réponse à l’accusation qu’il avait des personal dealings avec Bel-Air Sugar Estate (BASE) tout en étant ministre de l’Agriculture et qu’il s’occupait de la réforme sucrière qui concernait également BASE, et que c’est bien lui et son épouse qui ont payé.

Les incohérences de Pravind Jugnauth

Il revient à la cour de décider si la version de Pravind Jugnauth tient la route. Entre-temps, rien ne nous empêche de souligner les incohérences frappantes de cette version de Pravind Jugnauth. Les voici, et cette liste est non-exhaustive :

Sur le contrat notarié pour les 7 023 m2, BASE jure avoir reçu les Rs 20 millions du couple Jugnauth qui signe aussi sur le document. Or, Pravind Jugnauth a admis que l’argent a en fait été payé à BASE par Govinden et qu’il a lui de son côté remboursé Govinden. N’est-ce pas là un mensonge signé par toutes les parties?

Pourquoi dans l’acte de vente, le notaire ne fait-il aucune mention de son acte régissant le prêt de Govinden à Jugnauth, si c’est bien cela, selon Pravind Jugnauth, le mode de paiement ? Si le même notaire qui rédige l’acte de vente, tel que prétend Pravind Jugnauth, est aussi celui qui sanctionne le prêt, pourquoi écrit-il que le paiement par le couple Jugnauth a été fait hors de sa vue ?

Pourquoi après tout Loganaden Govinden a-t-il laissé son argent dormir pendant sept ans dans les comptes de BASE alors qu’un dépôt fixe lui aurait rapporté un peu d’intérêts (avant la crise économique mondiale de 2008, le taux d’intérêt caracolait au-dessus des 5 %)?

Pourquoi Pravind Jugnauth a-t-il juste brandi ses documents sans les circuler aux journalistes, ni les annexer à sa plainte ? Dans un communiqué émis quand l’express avait soulevé cette question au lendemain de la réception de la plainte, Sharmila Sonah-Ori, l’avouée de Pravind Jugnauth, a précisé qu’elle fournirait ces preuves quand l’express les demanderait devant la cour à travers une «demand of particulars».

Si l’intérêt de Pravind Jugnauth pour le terrain de 7 023 m2 ne remonte qu’à 2008 (quand Govinden ne veut plus du terrain), pourquoi dans un rapport d’arpentage qu’il signe lui-même en 2004, Pravind Jugnauth se voyait déjà acquéreur de cette même portion ? C’est ce même rapport d’arpentage qui sera utilisé pour la rédaction finale du titre de propriété au nom de ses filles.

Partant du principe que les reçus de Boolell sont faux, comment a-t-il donc payé les Rs 7 millions pour le terrain de 3 597 m2 ?

Pourquoi le Premier ministre n’at-il jamais donné suite à nos questions que nous lui avons adressées à chaque fois dans un délai raisonnable avant chacun de nos articles sur le scandale Angus Road ?

Anfield road, Angus road

Les Mauriciens sont vraiment les champions du monde des memes. A peine quelques heures après la défaite de Liverpool à domicile face à Burnley la semaine dernière, cette photo a fait le tour de Facebook. L’express vous la propose en «No caption !»