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Comparutions de ministres en cour: les implications

21 janvier 2021, 19:30

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Comparutions de ministres en cour: les implications

Une première dans l’histoire post-indépendance de Maurice. Quatre ministres du gouvernement traînés en cour par des citoyens. Après la comparution des ministres Maudhoo et Ramano, visés par une Private Prosecution de Bruno Laurette dans l’affaire Wakashio, ce fut au tour du ministre Sawminaden dans une autre poursuite logée par Simla Kistnen. Le 17 février, le ministre Gobin devra répondre à une injonction en Cour suprême. Quelle en sont les implications économiques, sociales, légales ou encore démocratiques ?

En 14 mois, le parti gouvernemental, l’alliance Morisien, a fait l’histoire postindépendance des comparutions en cour. C’est la première fois, selon des observateurs politiques, qu’en un laps de temps aussi court, plusieurs ministres comparaissent en cour l’un après l’autre pour différents motifs. Et il s’agit de poursuites initiées par des citoyens. «Nous avons déjà eu dans le passé des ministres qui doivent comparaître mais c’est la première fois qu’ils comparaissent l’un après l’autre en si peu de temps», révèle un observateur politique témoin des événements depuis l’indépendance. Si cela semble beaucoup trop, cela prouve cependant que le terme «État de droit» prend tout son sens, explique l’avocat et constitutionaliste Milan Meetharban. Ce dernier révèle que dans un État de droit, les parlementaires ne sont non seulement redevables envers la population pour leurs actions, mais ils le sont aussi envers les instances judiciaires. «La loi s’applique à tout le monde, y compris les membres du gouvernement. Là ce sont des citoyens eux-mêmes qui ont eu recours à la justice pour que la loi soit appliquée et c’est très important que dans le système légal il y ait ces recours comme les private prosecutions, les judicial reviews, entre autres, si l’exécutif a failli dans sa tâche.»

Cependant, si du côté légal, on peut interpréter toutes ces comparutions sous un bon angle, car cela démontre que le système judicaire marche, il y a toutefois l’angle où le côté démocratique semble entaché. C’est d’ailleurs l’avis de Roukaya Kasenally, professeure en médias et systèmes politiques à l’Université de Maurice. La chargée de cours explique premièrement que le fait que ces membres de l’exécutif gardent leur costume de ministre tout en étant impliqués dans des affaires en cour démontre déjà une mauvaise image au niveau démocratique. «Dans un certain nombre de pays, lorsque des personnalités publiques ou des personnes occupant des postes importants, tels que des ministres, sont accusées ou même soupçonnées d’être impliquées dans des affaires controversées où leur nom et leur réputation sont mis en cause, ils ont dû se retirer pendant que l’enquête est en cours. Pour moi, c’est la chose la plus fondamentale à faire car vous ne pouvez pas moralement ou éthiquement continuer à conserver votre position.» De plus, autant de poursuites de ministres appelés devant les tribunaux pour différentes raisons pourraient aussi s’interpréter comme ayant un impact négatif sur les références démocratiques. «C’est que ceux qui représentent le gouvernement sont loin d’être des gens au bon endroit et ceux qui peuvent servir les intérêts du pays», déclare Roukaya Kasenally.

Manque de responsabilité

La sociologue Ramola Ramtohul abonde dans le même sens. Elle explique que, comme la société mauricienne traverse déjà une période difficile causée par un certain nombre de facteurs, notamment la crise du Covid-19, la crise économique, la dépréciation de la roupie, la hausse du coût de la vie, les pertes d’emplois et les réductions de salaire pour certaines personnes, les gens sont en colère. «Ce qui aggrave les choses, c’est le manque apparent de responsabilité en ce qui concerne les cas de corruption ou de gaspillage très médiatisés, ainsi que l’absence ou la réaction tardive des autorités compétentes. Les gens veulent voir un gouvernement travailler pour le pays et pour le plus grand bien de la population et la responsabilité en cas d’abus et de corruption est indispensable.» Sous cet angle, dit-elle, lorsque les autorités tardent à agir, nous voyons que les citoyens ont décidé de prendre les choses en main. Elle ajoute que «la présence de personnes menaçant l’ordre et la paix dans des affaires très médiatisées indique qu’il existe également un lien avec la politique».

Économiquement, l’impact de ces comparutions successives est tout aussi partagé. C’est ce qu’explique Manisha Dookhony, économiste et conseillère auprès de gouvernements en Afrique. Elle partage l’avis de Milan Meethaban sur le fait que ces comparutions démontrent que le système judiciaire fonctionne bien. Elle précise qu’au niveau de l’économie, c’est aussi une bonne chose car l’économie dans son ensemble ne concerne pas uniquement le Produit intérieur brut (PIB) entre autres, mais également le bon fonctionnement de toutes les institutions dans leur ensemble. «L’engagement judiciaire et l’accès à la justice aident l’économie d’un pays. Cela prouve qu’il y a de bonnes institutions à Maurice», souligne l’économiste. Cependant, en se basant sur la comparution du 7 janvier du ministre du Commerce, Yogida Sawminaden, Manisha Dookhony explique que des comparutions comme celles-ci peuvent affecter de manière indirecte l’économie du pays. «Cette cour où il a comparu se trouve à côté de plusieurs bâtiments et organismes économiques stratégiques pour le pays et il y a eu un certain bouleversement avec les fermetures ce jour-là. Par exemple, certains ont décidé de ne pas venir travailler au bureau entre autres.»

Elle ajoute que toute l’armada présente ce jour-là, snipers entre autres, a aussi créé une atmosphère qui n’était pas vraiment business friendly et qui joue quand même un rôle sur l’image et la réputation du pays. «Un des conseils que je donne souvent lorsque je travaille avec des pays africains, c’est qu’afin d’être plus business friendly, il faut éviter les gardes armés, etc. devant les bureaux car cela inquiète les gens. Après cet épisode, j’ai eu beaucoup d’expatriés anglophones, qui ne comprennent pas vraiment l’actualité francophone, qui se demandaient ce qui se passait. S’il y avait un manque de sécurité dans le pays.»

Justement, quid de la réputation au niveau local ? Ces comparutions pourront-elles jouer un rôle majeur, voire fondamental dans les élections qui auront lieu dans le futur ? Selon la professeure Roukaya Kasenally, il ne faut pas oublier que nous avons une succession de cas dans un temps relativement court et dans des moments d’anxiété accrue, après le Covid-19 et le MV Wakashio, par exemple. C’est pour cela, comme l’a précisé aussi la sociologue Ramola Ramtohul, que les gens sont un peu plus susceptibles à ce qui se passe. Roukaya Kasenally affirme qu’elle ne pense pas que ces comparutions auront un impact sur la manière dont les gens voteront. «La plupart des électeurs ont une mémoire relativement courte et un certain nombre d’entre eux seront motivés par des intérêts personnels et des gains immédiats. Aujourd’hui, le clientélisme est le maître mot, un jeu que tous les politiciens et un certain nombre d’électeurs ont perfectionné.»