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Patrimoine: le musée de l’esclavage s’affranchit des premières étapes

18 janvier 2021, 11:45

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Patrimoine: le musée de l’esclavage s’affranchit des premières étapes

Plus que deux jours pour visiter l’exposition temporaire installée dans l’ex-hôpital militaire, route du Quai, à Port-Louis. Après-demain, mercredi 20 janvier, prend fin la période où le grand public peut donner son avis sur ce que doit être le futur musée intercontinental de l’esclavage. En parallèle, la rénovation de l’ex-hôpital militaire, le bâtiment qui va abriter le futur musée, se poursuit.

Rénovation de l’ex-hôpital militaire

Tous les travaux seront «réversibles»

Ravalement de façade pour l’aile gauche de l’ex-hôpital militaire. «Dans un mois environ, cette première phase de rénovation se termine», indique Jean Maxy Simonet, président du board de l’ISM Ltd.

Le futur musée de l’esclavage se trouve dans la zone tampon de l’Aapravasi Ghat, classé patrimoine mondial. Les règlements de l’Unesco stipulent que tout développement dans cette zone est sujet à son feu vert. Le ministère des Arts et du patrimoine culturel est engagé dans le processus de recrutement d’un consultant pour réaliser le'eritage Impact Assessment-Visual Impact Assessment des développements dans ce quartier historique de Port-Louis. Avec, en ligne de mire, le projet de l’Urban Terminal de l’Immigration Square.

Pour Jean Maxy Simonet, dans le cas du musée de l’esclavage, «ce ne sont pas de gros travaux structurels. Nous ne changeons pas la configuration du bâtiment». Il insiste : la rénovation est supervisée par le National Heritage Fund. «Tout est fait de manière réversible. Le NHF a approuvé l’étendue des travaux.»

L’imposant édifice date de 1740, ce qui en fait l’un des plus vieux de la capitale. Cet hôpital construit en bord de mer est fait de corail. La couche de béton utilisée pour le ravalement de la façade a fait sourciller certains. Jean Maxy Simonet met les points sur les i. «Plusieurs options ont été proposées au Conseil des ministres. On s’est demandé ce qu’il valait la peine de faire, notamment en termes de coûts. L’option de la rénovation partielle a été retenue.» Selon lui, retrouver l’état originel du bâtiment «ce n’est pas possible. Cela aurait coûté des milliards. Mais surtout, on aurait mis l’accent sur la rénovation du bâtiment au lieu de faire le musée lui-même».

Consultation publique

L’exposition temporaire attire 2 000 visiteurs

Trois mois. L’exposition temporaire du musée intercontinental de l’esclavage est ouverte au public depuis le 20 octobre 2020. Elle prendra fin le mercredi 20 janvier 2021. Au dernier pointage, fin décembre 2020, elle a reçu «environ 2 000 visiteurs», affirme Jean Maxy Simonet, président du board de l’Intercontinental Slavery Museum (ISM) Ltd. Même s’il est encore trop tôt pour dire exactement qui sont ceux qui ont fait le déplacement, le président se dit «satisfait» de l’affluence. Selon lui, « 2 000 personnes c’est suffisant pour avoir une idée des aspirations de ceux qui sont intéressés par ce musée».

Si l’exposition temporaire a servi de base pour la consultation publique, sa fin ne marque pas l’arrêt complet des consultations. Jean Maxy Simonet explique que la prochaine étape est de recueillir le point de vue de groupes ciblés. Ce sont des chercheurs qui sont chargés de réaliser ces interviews. Une fois les rapports de la consultation publique soumis au board, «nous pourrons dessiner le plan d’aménagement» du musée.

Point de vue

Pierre Argo : «Aucune maquette, aucun plan montré au public»

Regarder l’exposition temporaire avec les yeux d’un artiste. Ceux de Pierre Argo, peintre et photographe. Du haut de ses presque 80 ans – il les fêtera en novembre prochain – l’artiste promène sens critique et sens plastique dans les salles de l’ex hôpital militaire. C’était le mercredi 13 janvier.

En préambule, il souligne qu’il a visité le Memorial ACte, le Centre caribéen d’expressions et de mémoire de la traite et de l’esclavage à Pointe-à-Pitre en Guadeloupe. Les images de ce musée de l’esclavage inauguré en 2015 sont encore fraîches dans sa mémoire.

Une fois la tournée – celle de l’expo portlouisienne – terminée, ver- dict. «Cela a été fait à la hâte parce qu’il y a un agenda politique derrière la réalisation du musée de l’esclavage. C’est un tableau inachevé.» Il y voit tout de même un pas vers l’avenir, espérant que le musée «ne peut pas reculer maintenant».

Dans la cour, il s’est arrêté devant l’aile gauche de l’ex-hôpital militaire en rénovation. Le peintre et photographe dit attendre une «architecture adéquate qui montre qu’il y a une vision. Il ne suffit pas de prendre un vieux bâtiment et de le colmater». Pierre Argo regrette qu’«aucune maquette, aucun plan» du futur musée intercontinental de l’esclavage n’ait été montré au public.

Lors de la visite, l’artiste cherche les noms de tous ceux qui ont collaboré à l’exposition temporaire. Ceux des membres du board de l’Intercontinental Slavery Museum Mauritius Ltd sont bien en vue dans l’exposition. Mais pas ceux des artistes qui y ont collaboré. Il faut parcourir un dépliant disponible sur place pour les trouver. Pierre Argo veut aussi savoir «qui sont les muséologues ? Qui sont les anthropologues ?» Questions sans réponse. Sa réaction : «Au nom de la transparence, il faudrait aussi montrer le cahier des charges. On dépense les deniers du peuple mais on ne sait pas qui fait quoi.»

Nouvelle référence au musée de Guadeloupe. Pierre Argo ex- plique qu’en sus de l’exposition permanente qui retrace l’histoire de l’esclavage, des artistes contemporains – guadeloupéens, antillais mais aussi du monde entier – sont régulièrement invités à s’exprimer au Memorial ACte.

Chez nous, la première salle de l’exposition temporaire rassemble des extraits d’œuvres contemporaines, dont Lam sakrifis de Kaya. Le visiteur a droit à trois films : l’histoire de l’esclave Pedro, mort des suites des punitions subies, un film sur l’ex-hôpital militaire et le dernier sur la représentation de l’esclavage. Pierre Argo s’interroge. Quelle sera la contribution des artistes dans le musée intercontinental de l’esclavage à Port-Louis ? «Le musée devient vivant grâce à la contemporanéité des créations.»

Pierre Argo l’affirme : le musée n’est pas qu’une affaire d’historiens et d’anthropologues mais aussi d’artistes. «Est-ce qu’il y aura des appels à projets pour les artistes ? Est-ce que le musée deviendra une plaque tournante permettant aux œuvres de voyager vers d’autres institutions du même type ?»

Il déplore que l’exposition temporaire ne montre pas les liens du futur musée intercontinental avec d’autres musées de l’esclavage dans le monde. «C’est une histoire mondiale. Nous devons être connectés.»

Pour Pierre Argo, l’idée maîtresse du futur musée doit être la résilience. Ce concept émerge-t-il de sa visite de l’exposition temporaire ? Sa moue dit clairement que l’artiste est resté sur sa faim. «Certains disent que l’esclavage c’est le passé, qu’on ne veut plus revoir ces pages d’histoire, alors que cela continue toujours dans certains pays. Chez nous, certaines mentalités esclavagistes subsistent. Il y a des nouveaux colons.»