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Victimes de persécutions, les Mauriciens de la communauté LGBTQI contraints de quitter leur pays

16 décembre 2020, 10:15

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Victimes de persécutions, les Mauriciens de la communauté LGBTQI contraints de quitter leur pays

Depuis quelques années, des Mauriciens faisant partie de la communauté lesbienne, gay, bisexuelle, transgenre, Queer et Intersexe (LGBTQI), quittent Maurice où ils subissent de mauvais traitements par rapport à leur orientation sexuelle et font une demande d’asile en Grande Bretagne ou en France car malgré l’existence d’instruments juridiques capables d’assurer leur protection et la jouissance de leurs droits, de même que la signature de plusieurs conventions internationales par rapport au respect des droits humains, l’État mauricien ne fait concrètement rien pour empêcher que ces personnes subissent des traitements homophobes, inhumains et que l’on porte atteinte à leur dignité. 

L’État mauricien est même «complice» de ces exactions. C’est ce qu’a déclaré hier, mardi 15 décembre, Sandy Christ Bhaganooa, Mauricien qui exerce comme avocat aussi bien au barreau mauricien qu’à celui de Paris. Il est aussi un des co-auteurs du rapport sur le droit d’asile des personnes LGBTQI mauriciennes en Europe, commandité par la Young Queer Alliance aux Avocats Sans Frontières de France. 

Les autres auteurs de ce rapport sont Me Isabelle Schoenacker-Rossi, avocate à la Cour de France et au barreau de Tarn-et-Garonne et membre du conseil d’administration d’Avocats Sans Frontières France, qui a d’ailleurs participé à la présentation du rapport via l’application Zoom, Claudine Pagès, magistrate honoraire auprès de la Cour d’appel de Toulouse, qui a préfacé le rapport et Me François Cantier, avocat au barreau de Toulouse et président honoraire des Avocats Sans Frontières France. 

Un nombre grandissant de demandes d’asile 

Si ces demandes d’asile sont «très récentes», a précisé Me Bhaganooa devant un petit comité comprenant entre autres Vincent Degert, ambassadeur de l’Union européenne, Asha Burrenchobay, Senior Chief Executive à la Human Rights Divison du ministère des Affaires étrangères et l’avocat Jean-Claude Bibi, elles sont «en croissance et de manière exponentielle.» 

Le programme de cette présentation fait d’ailleurs état de trois cas de demandeurs d’asile mauriciens appartenant à la communauté LGBTQI, dont les prénoms ont été modifiés pour leur sécurité et qui ont dû fuir Maurice en raison des persécutions morales et physiques subies par rapport à leur identité sexuelle ou leur identité du genre. 

Il y a d’abord le cas de Jawad, jeune homosexuel «constamment persécuté et victime d’agressions et d’humiliations à répétition» en raison de son orientation sexuelle, celui de Varuna, jeune Mauricienne lesbienne qui a été «violentée et mariée de force par ses parents et son frère après qu’ils ont découvert son orientation sexuelle et qui a été violée par son mari.» 

Sans compter le cas de Maëva, jeune Mauricienne transgenre, rejetée par sa famille et incapable de recourir à une intervention chirurgicale pour changer de sexe, ni obtenir un changement de sexe sur ses papiers officiels auprès de l’État civil. «Elle était également régulièrement agressée et humiliée à Maurice à cause de sa transidentité».  

Me Schoenacker-Rossi a axé sa présentation sur le principe général du droit d’asile concernant les personnes LGBTQI et son historique, l’accueil de ces personnes réfugiées en Europe et les raisons qui poussent ces personnes à solliciter le statut de réfugié en Europe alors que Me Bhaganooa a exposé les raisons qui obligent les Mauriciens de la communauté LGBTQI à demander le droit d’asile en Europe. 

La loi à Maurice

Me Bhaganooa a fait ressortir qu’il existe à Maurice quelques instruments juridiques susceptibles de protéger les droits des individus de la communauté LGBTQI, à commencer par l’article 3 de la Constitution qui reconnaît «the right of the individual to protection for the privacy of his home». Il en va de même de l’article 22 du Code civil mauricien, qui stipule que chacun a droit au respect de sa vie privée. 

Il a souligné qu’il y a eu des «avancées considérables» entre 2005 et 2012 avec des lois soulignant qu’il ne peut y avoir de discrimination dans le travail par rapport à l’orientation sexuelle, notamment l’Employment Rights Act de 2008, l’Employment Relations Act de la même année et l’Equal Opportunities Act qui interdit toute discrimination, y compris par rapport à l’orientation et l’identité sexuelles et la mise en place subséquente du Equal Opportunities Tribunal pour traiter des plaintes pour discrimination. 

Il y a aussi la Law Reform Commission (LRC) préconisant des changements importants par rapport aux droits humains à Maurice et la National Human Rights Commission qui «déplore constamment à travers ses rapports les carences législatives concernant les droits des individus LGBTQI» et souligne l’importance «d’une réforme législative profonde dans le domaine.» «Depuis 2012, aucune nouvelle loi n’a été promulguée pour accorder ou reconnaître des protections particulières intrinsèques à la situation des individus de la communauté LGBTQI hormis la nouvelle loi du travail, le Workers’ Rights Act de 2019 qui reprend l’essentiel des dispositions de l’ancien Employment Rights Act.» 

Le rapport commandité par la Young Queer Alliance met aussi l’accent sur tous les traités internationaux relatifs au respect des droits humains, signés et ratifiés par Maurice, à savoir la Déclaration universelle des droits de l’Homme, le Pacte international relatif aux Droits Civils et Politiques, ainsi que son protocole optionnel, le Pacte international relatif aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels, la Convention sur l’Elimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, la Convention contre la Torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et son protocole optionnel, la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. Maurice a aussi soutenu la Déclaration Commune sur les droits de l’homme, l’orientation sexuelle et l’identité du genre, la résolution 17/19 du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies relative aux Droits de l’homme, à l’orientation sexuelle et à l’identité du genre. 

Aucune reconnaissance des couples du même sexe

Les principales violations des droits de l’homme des personnes de la communauté LGBTQI sont le fait que l’administration mauricienne refuse d’accorder la reconnaissance aux couples composés de personnes du même sexe. Il y a une absence de reconnaissance des personnes transgenres qui ne peuvent procéder à un changement de sexe. Ensuite, il y a l’article 250 du Code Pénal qui réprime la sodomie, même si elle est pratiquée entre adultes consentants et toute personne trouvée coupable est passible d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à cinq ans. Les personnes les plus à risque sous cet article sont les couples homosexuels de sexe masculin. 

Le rapport note aussi que le projet de loi connu comme le Sexual Offences Bill recommandait de ne plus réprimer la sodomie pratiquée entre adultes consentants mais que ce projet de loi est demeuré «à l’état embryonnaire». Et si l’actuel Premier ministre n’a pas pris de position formelle sur le sujet de la reconnaissance des droits des personnes de la communauté LGBTQI, il s’est exprimé publiquement contre la dépénalisation de la sodomie en 2007 en disant que cette proposition était «indécente» et que sa légalisation était «immorale.»  

Le rapport indique aussi qu’en 2016, la LRC a une nouvelle fois suggéré l’abrogation de l’article 250 du Code Pénal et que l’année suivante, c’était au tour du directeur des poursuites publiques de venir dire qu’il existe «un risque élevé que l’article 250 soit considéré inconstitutionnel». Au Comité des droits de l’homme de l’ONU qui demandait à l’État mauricien s’il prévoyait d’amender cet article du Code pénal, la réponse a été que ce n’était pas dans l’intention immédiate de l’État mauricien de le faire, même s’il était conscient que la question méritait d’être traitée. 

Aucune action prise par le gouvernement

Plusieurs pays ont demandé à Maurice de procéder à des réformes législatives pour prévenir et combattre les discriminations basées sur l’orientation sexuelle, notamment la France, le Honduras, l’Italie, l’Uruguay, le Brésil, le Chili, les Pays-Bas pour ne citer que ceux-là et trois pays membres de l’ONU ont dit «leur inquiétude grandissante» par rapport aux violations des droits de ces individus, soit la Belgique,  l’Islande et le Monténegro. Plusieurs comités des Nations Unis ont exprimé leurs préoccupations par rapport à l’inertie du gouvernement à protéger ces citoyens mais l’État mauricien fait la sourde oreille. 

Et les persécutions dont sont victimes les individus de la communauté LGBTQI se poursuivent. Un demandeur d’asile mauricien en Grande Bretagne a dû patienter quatre ans avant d’obtenir son statut de réfugié, après un premier rejet de son dossier. Le First Tier Tribunal qui lui a donné gain de cause a estimé que le demandeur avait réussi à prouver qu’il y a «une nette augmentation dans le nombre d’agressions et de violence à caractère homophobe depuis 2016» et «qu’aucune disposition pénale ne sanctionne les motivations homophobes des actes de violence et de persécution» et que l’État mauricien «ne garantit pas de protection effective aux personnes LGBTQI en raison de leur orientation sexuelle car les actes de violence et de torture y ayant trait demeurent toujours impunis à Maurice». 

Maurice bientôt enlevé de la liste des «pays sûrs» pour la communauté LGBTQI

Si pour l’Office Français de Protection pour les Réfugiés et Apatrides, Maurice figure sur la liste des «pays sûrs» pour cette communauté, Me Bhaganooa a déclaré qu’il y aura bientôt des demandes pour «enlever Maurice de cette liste des pays sûrs». Il a dit qu’une demande d’asile est plutôt simple. Le requérant doit se rendre dans le pays où il veut obtenir l’asile sur un visa de touriste et demander clairement un droit d’asile auprès des autorités qui vont alors ouvrir un dossier. «Toutes les questions administratives, pratiques et médicales seront évaluées pour confirmer qu’il s’agit bien d’un membre de la communauté LGBTQI et je peux vous dire que quand une telle demande vient de Maurice, elle passe généralement comme une lettre à la poste», a-t-il dit en se demandant comment l’État mauricien veut défendre les droits des Chagossiens quand il est incapable de protéger ceux de la communauté LGBTQI. 

À l’heure des questions, l’ambassadeur Degert a dit sa surprise de savoir qu’il y avait des demandes d’asile de Mauriciens de la communauté LGBTIQ en France et a précisé qu’il soulèvera prochainement la question des droits de cette communauté lors du dialogue annuel relatif aux droits humains avec l’État mauricien.