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Triplement des overdoses: une étude de prévalence nationale réclamée
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Triplement des overdoses: une étude de prévalence nationale réclamée
Les décès attribués aux drogues ont triplé de 2015 à 2019, indique le dernier rapport du «Public Accounts Committee». L’absence de données récentes sur les toxicomanes y est aussi décriée même si les autorités affirment leur volonté de combattre ce fléau. Pourquoi cette hausse des décès par overdose ? Quelle politique pour régler ces problématiques ?
«Il faut revoir la manière de collecter les données. Peut-être pour des raisons médicales, ceux faisant les autopsies mentionnent souvent l’œdème pulmonaire. Ils ne disent pas qu’il a été généré par une overdose. Ceci indique un risque de ne pas avoir les vrais chiffres», déclare Sam Lauthan, travailleur social et assesseur de la commission Lam Shang Leen. Les derniers chiffres sont justement évoqués dans le rapport du Public Accounts Committee (PAC) déposé au Parlement le 24 novembre. Ils démontrent un triplement des décès liés aux drogues, passant à 54 en 2019 contre 17 en 2015. «15 ou 20 ans plus tôt, le nombre de décès par overdose était plus faible, atteignant les cinq par an. Avec la percée du synthétique en 2013 et la pureté de l’héroïne qui n’est plus coupée sur le marché, les overdoses affluent», explique Dany Philippe, coordinateur à Développement Rassemblement Prévention Information (DRIP).
À ce sujet, l’ancien ministre Sam Lauthan va plus loin, estimant qu’en sus du nombre de décès par overdose, il faut identifier la drogue concernée. «Ce détail est extrêmement important pour faire un travail de prévention. Le décès de la policière Dimple Raghoo, guerrière de la lutte antidrogue, interpelle sur l’ampleur du phénomène chez les jeunes. Il faut pouvoir cibler la drogue impliquée dans l’overdose. Est-ce causé par l’héroïne, les synthétiques, les psychotropes ou une combinaison de plusieurs produits ou de drogue et d’alcool ?» précise-t-il.
Une préoccupation qui taraude également Imran Dhannoo, directeur du centre Idrice Goomany. «On suppose que les drogues de synthèse sont impliquées dans les overdoses mais est-ce aussi le résultat des opiacés? On ne sait pas en l’absence d’études détaillées sur la question. Cela aurait dû être abordé par le National Drugs Observatory (NDO)», déclare-t-il.
Certes, autant d’éléments ne figurant pas dans les statistiques nationales. D’ailleurs, rétorque Sam Lauthan, toute overdose n’induit pas forcément mort d’homme. Qu’en est-il de ceux qui y survivent après une admission à l’hôpital ? Combien sont-ils ? «Il faut lesrépertorier. En identifiant les produits susceptibles d’entraîner une overdose ainsi que le laps de temps après l’ingestion, on sera mieux armé pour prévenir les toxicomanes sur les risques. Il n’y a rien à cacher. On doit agir en se basant sur la réalité.»
De son côté, Percy Yip Tong, membre fondateur et président du Collectif Urgence Toxida (CUT), qui siège parallèlement sur le comité de haut niveau sur la drogue présidé par le Premier ministre, est alarmiste face au triplement des overdoses. «Trois fois plus : c’est déjà un drame et ça veut dire trois fois plus de gens qui se shootent. Depuis les 15 dernières années, nos travailleurs de terrain disent n’avoir jamais vu autant de drogues et de diversités de drogues à Maurice. Cela prouve une chose : en 52 ans de politique de drogue, tout a échoué. Va-t-on continuer comme ça ? Le triplement est choquant mais ce chiffre est en dessous de la réalité qui est encore plus grave. Pour moi, il faut voir les raisons derrière ce phénomène.»
Pourquoi ce triplement des overdoses justement ? En premier lieu, observe-t-il, le nombre de toxicomanes est en hausse. Dans son rapport de 2018 publié en novembre 2020, le NDO estime que 6 000 personnes s’injectaient des drogues en 2017. «Mais cela se base sûrement sur des données antérieures. Aussi, en 2020, ce taux devrait avoisiner les 10 000 à 12 000 Mauriciens», constate Imran Dhannoo.
Deuxièmement, le triplement des overdoses résulte d’un suivi de santé qui «n’est pas bien fait», poursuit Percy Yip Tong. «Par exemple, chez CUT, on distribue des seringues et du coton propres certes mais ce n’est pas l’équipement complet comme en Suisse notamment. Dans ce pays, en sus de ce matériel, on dispense un comprimé qui aiderait en cas d’overdose.» De par sa fonction au sein du comité de haut niveau, il négocie pour des actions en ce sens.
Prévention et réhabilitation
Un autre aspect du PAC provoque des discussions en termes de politique de prévention et de réhabilitation : l’absence de données chiffrées sur les usagers de drogue, leur âge, entre autres. Par conséquent, le PAC s’interroge sur l’action des autorités, qui prônent pourtant une politique de zéro tolérance face au fléau de la drogue, faute d’informations de base. Les chiffres du National Drug Observatory (NDO) donnent quelques pistes mais ils datent de 2018. À titre d’exemple, de janvier à décembre 2018, 644 sur 854 admissions à l’hôpital, soit 75 %, résultaient d’abus de drogues synthétiques et autres produits non spécifiés. L’an dernier, ce taux était de 79 % d’après le rapport du PAC. En 2018, le NDO désigne la tranche d’âge 20-29 ans comme étant la plus affectée, touchant 51 % des patients admis pour drogue.
Deux ans plus tard, où en est-on ? Les données manquent à l’appel. Paradoxalement, souligne Sam Lauthan, «seule une minorité de drogués se rendent à l’hôpital ou en centre de désintoxication. La grande majorité nourrit son addiction. On ne peut se contenter des chiffres car ils ne reflètent pas la réalité de l’ampleur et la prévalence. Il faut une coordination dans la collecte des données». D’où l’urgence de réaliser une étude de prévalence nationale sur la consommation de drogue au sein de la population, renchérit Imran Dhannoo. «Nous avons un master plan national pour 2019- 2023 sur la drogue. Celui-ci prône d’ailleurs une telle recherche pour un constat réel. Aujourd’hui, on n’est pas en mesure de dire combien de Mauriciens sont sous l’influence du synthétique. Mon plaidoyer est de réaliser cette étude. Il s’agit d’un outil majeur pour avoir les faits exacts afin de développer des programmes de prévention dédiés.»
Pour Percy Yip Tong, la drogue est un problème de santé et pas de criminalité. Se basant sur les stratégies adoptées par la Jamaïque, la Nouvelle-Zélande, l’Afrique du Sud, entre autres pays, il suggère une culture et un usage individuel du cannabis. «Je ne dis pas que le gandia est bon. Personne ne dira à son enfant de boire du whisky ou tout autre alcool. La légalisation est moins mauvaise que la prohibition. Cela n’effacera pas le synthétique mais en réduira considérablement la consommation. On peut appliquer cette politique pendant trois ans et l’analyser par la suite et voir s’il le faut, back-pedal», suggère-t-il. Imran Dhannoo mentionne également une réflexion en profondeur sur l’usage du cannabis.
Face au manque de données actuelles et à la montée en puissance du synthétique chez les jeunes, quelles politiques doivent être adoptées ? Pour le coordinateur de DRIP, un travail a commencé avec le National Drug Secretariat en lien avec le plan d’action national. «C’est maintenant qu’on entame l’application. Entre-temps, les ravages de la drogue continuent. Quand on atteindra vraiment cette politique nationale, on aura des résultats», estime-t-il. Il renvoie au modèle portugais pour réduire l’impact de la drogue à travers de nouvelles stratégies, dont une alternative à la détention des consommateurs de drogue. Une mesure étudiée par le comité de haut niveau sur la drogue. «Il faut revoir notre loi répressive et exercer un meilleur contrôle de l’entrée des drogues. Avant, les speedboats mauriciens se rendaient à la Réunion pour des transactions de drogue. Maintenant, c’est l’inverse. Il faut concentrer nos efforts sur cela tout en les alliant au programme national.»
Quant à Imran Dhannoo, il évoque deux outils additionnels à l’étude de prévalence, le plan national et le rapport de la commission Lam Shang Leen qu’il «convient d’appliquer d’urgence». Un avis largement partagé par Sam Lauthan. «Au moins 450 recommandations ont été faites, allant de l’arrivée de la drogue à la prévention et le traitement par la commission Lam Shang Leen. Si nous adoptons seulement certaines mesures, nous n’irons pas loin. Or, parmi les autorités, certains disent que 70 % des recommandations sont en place ; d’autres mentionnent 50 %. Si c’était le cas, ce serait palpable. Il faut tenir un seul langage et appliquer toutes les recommandations au plus vite sans exception», rétorque-t-il. Étayant également l’énorme récidive chez les toxicomanes en traitement, il prône un programme ciblé sur les causes du phénomène.
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