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Drogues de synthèse: le poison national

31 octobre 2020, 22:00

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Drogues de synthèse: le poison national

Elles portent les noms de Black Mamba, Bang Bang, Volcan, Mexicain ou encore AK47. Non, ce ne sont pas des titres de films mais bien les noms des drogues synthétiques accessibles à Maurice. Enhancing Africa’s Response to transnational organised crime (ENACT) qui est financé par l’Union européenne a constitué un dossier (Braver les interdits : le fléau des drogues de synthèse à Maurice) sur ce péril qui détruit de nombreuses familles mauriciennes. Enquête réalisée en début d’année, malgré le confinement et le Covid-19 et publiée à la mi-septembre. Consommateurs, prix des drogues, recommandations: un tour d’horizon complet.

Maurice, n°1 d’Afrique pour la consommation d’héroïne

Cette étude révèle que depuis les années 1980, avec le Brown Sugar, le pays n’a cessé d’évoluer vers des drogues encore plus dangereuses. Selon l’UNODC (United Nations Office on Drugs and Crime) World Drug Report, Maurice est le pays d’Afrique où la consommation d’opioïdes (héroïne et autres dérivés) est la plus élevée. Ce rapport de l’ENACT revient sur une étude réalisée en 2015 par l’ONG PILS, dans laquelle plus de la moitié des Mauriciens interrogés ont fait comprendre qu’ils ont, d’une manière directe ou indirecte, été affectés par le problème de drogue. Si le gouvernement de 2006 a essayé d’une manière ou d’une autre de faire pression sur les consommateurs de drogue, en 2013, l’arrivée de la drogue synthétique - nouvelles substances psychoactives (NSP) - allait changer la donne.

Onze types de cannabinoïdes synthétiques découverts

Selon le report de l’International Narcotics Control Board de 2016, il existe 11 types de cannabinoïdes synthétiques. Ces derniers sont souvent importés sous forme de poudres, d’huiles ou de liquides hautement concentrés, qui sont tous impropres «à la consommation humaine». Ces produits chimiques proviennent de Chine, d’Inde ou encore de Corée du Sud. Et malgré tous les interdits, les méthodes répressives ou préventives pour empêcher qu’elles apparaissent à Maurice, ces drogues arrivent sur l’île par voie express. «Si les drogues en tant que telles sont illégales et soumises à la réglementation, dans la plupart des cas, les ingrédients utilisés pour les fabriquer ne le sont pas.» 

Prix : l’héroïne maîtresse du jeu

Cette étude souligne que la drogue la plus chère reste l’héroïne de bonne qualité. Elle se vend entre Rs 6 500 à Rs 7 000 le gramme. Pour le cannabis, le prix varie entre Rs 2 500 et Rs 3 000 alors que pour la drogue synthétique, il faut compter de Rs 1 000 à Rs 1 800. Toujours selon cette étude, les utilisateurs mettent l’accent sur la durée de l’effet de la drogue dans l’organisme. Les drogues synthétiques sont certes vendues à meilleur marché, mais leur effet dure moins longtemps également. Selon les consommateurs, elle dure environ une heure alors que pour l’héroïne, elle peut aller jusqu'à cinq à sept heures. Par contre, une autre drogue utilisée, la méthamphétamine, peut provoquer des overdoses car, souvent, les utilisateurs ne connaissent pas la quantité à prendre. Elle se vend entre Rs 1 800 et Rs 2 500 le gramme.

Saisies : héroïne en tête mais synthétique plus vendue

De 2013 à nos jours, les saisies de drogue n’ont cessé d’augmenter. Passant de 195 grammes pour la drogue synthétique (cannabinoïdes synthétiques) en 2013 à 9,150 kg en 2019, selon les derniers chiffres de Statistics Mauritius. Le rapport ajoute qu’en ce qui concerne l’héroïne, elle est aussi passée de 14,1 kg en 2013 à une saisie de 131,9 kg en 2018. «Il est intéressant de noter que la quantité d’héroïne confisquée semble toujours être plus élevée que celle des NSP, ce qui pourrait laisser supposer que l’héroïne est le principal problème. Cependant, cette impression s’estompe dans une certaine mesure lorsque l’on s’intéresse à la préparation des cannabinoïdes synthétiques.» Il faut prendre en considération qu’un gramme de cannabinoïde synthétique peut produire 300 grammes de mélange avec des plantes. Du coup, cela démontre l’ampleur que le synthétique peut avoir. Selon l’étude réalisée, «les drogues synthétiques ont gagné en popularité, principalement en raison de l’accessibilité de leur prix et de la puissance de leurs effets. Le coût d’un pouliah de NSP – qui pèse environ 0,2 g – se situerait entre 100 et 200 roupies. C’est pourquoi il attire particulièrement les jeunes, notamment les étudiants, qui prélèvent sur l’argent de leur déjeuner le montant nécessaire pour acheter un pouliah et le fumer en groupe.»

Nombre d’arrestations en hausse

Le rapport fait également mention du nombre de trafiquants arrêtés au cours de ces dernières années. Surtout en ce qui concerne les drogues synthétiques. Ainsi l’on est passé de six personnes en 2013 à 1 032 en 2019. Ces arrestations ont été rendues possibles grâce au travail effectué par l’Anti-Drug and Smuggling Unit (ADSU). 

La sensibilisation primordiale

Face à ce fléau qui touche toutes les couches sociales de l’île, des organisations et même l’État travaillent de concert afin de réduire le nombre de toxicomanes. Des thérapies comme la distribution de méthadone sont entrées en jeu. Il y a aussi eu le programme d’échange d’aiguilles et de seringues pour éviter la propagation du VIH/Sida. «Maurice a ainsi été le premier pays d’Afrique à se lancer dans ce type de solution», soutient le rapport. Il met en lumière la mesure budgétaire de 2018- 2019 prévoyant le décaissement d’une enveloppe de Rs 10 millions pour la sensibilisation auprès des jeunes aux effets et méfaits de la drogue. Et aussi un fonds de Rs 30 millions pour un programme de réadaptation des alcooliques et des toxicomanes. 

Zoom sur le Centre d’accueil de Terre-Rouge

Afin de rendre ce rapport encore plus vivant, l’ENACT a fait une incursion au Centre d’accueil de Terre-Rouge. Hormis certains pensionnaires interrogés, le directeur du centre, José Ah-Choon, a parlé du travail effectué. Pour lui, la méthadone ne peut venir en aide aux drogués. «La méthadone crée elle aussi une forme de dépendance, tout comme l’héroïne.»Selon ses dires, il y a même des patients qui n’hésitent pas à voler de la drogue de substitution pour satisfaire le manque. Il opte pour une guérison par du tramadol (un opioïde). «Cela entraîne une moindre dépendance et reste efficace dans le traitement de la toxicomanie aux drogues de synthèse.» Face à ces patients qu’il rencontre au quotidien, son langage a aussi évolué. Pour lui, les patients ne meurent pas d’overdose mais d’empoisonnement.

La dépénalisation, la clé ?

Selon les chiffres obtenus, entre juin 2016 er juillet 2017, l’ADSU a procédé à 2 084 arrestations, dont 1 574 pour possession de drogue et 486 pour trafic. Les tribunaux ont condamné 1 401 personnes pour possession, 87 pour revente et neuf pour trafic. Ce qui laisse une question planer. Ne serait-ce pas le moment de dépénaliser, surtout si la drogue est à des fins de consommation personnelle? Mais il va de soi que les infractions telles que la revente et le trafic seront sanctionnées.

ENACT : ceux derrière ce rapport

<p>Douze Mauriciens, venant de milieux différents, passant du fonctionnaire de la douane à d&rsquo;anciens trafiquants ou consommateurs, ont été questionnés pour&nbsp; la rédaction de ce rapport. Le travail de terrain aurait dû se faire en mars-avril, pendant deux semaines. Mais le confinement a tout chamboulé. Du coup, c&rsquo;est à travers Skype et le téléphone, entre autres, que l&rsquo;auteur et chercheur, Richard Chelin, a réussi à tout compiler. <em>&laquo;Cette analyse a été réalisée afin d&rsquo;apporter des solutions à la consommation croissante de drogues de synthèse à Maurice. Ce sujet a, jusqu&rsquo;ici, fait l&rsquo;objet de très peu de recherches, à l&rsquo;exception d&rsquo;une étude réalisée en 2015 par Prévention information lutte contre le Sida (PILS).</em>&raquo; A savoir que l&rsquo;ENACT suit aussi d&rsquo;autres thèmes de près comme la faune et la flore d&rsquo;Afrique, la cybercriminalité, le trafic humain ou encore les crimes commis par la mafia.</p>

<p><strong>ADSU : une enquête nationale bientôt effectuée </strong></p>

<p>Ce sont les propos énoncés par Salim Hossanee, Assistant Superintendent de la police et membre de l&rsquo;ADSU, lors d&rsquo;un webinaire, tenu cette semaine par les membres d&rsquo;ENACT. Il a mentionné qu&rsquo;une enquête nationale permettra de découvrir l&rsquo;âge de ceux qui prennent de la drogue synthétique, les types de drogues qu&rsquo;ils utilisent, ou encore les endroits où ils les revendent et se l&rsquo;approprient. &laquo;<em>Zéro tolérance face aux consommateurs et aux trafiquants</em>.&raquo; Il a également avancé qu&rsquo;au 15 octobre 2020, 951 délits liés à la drogue synthétique ont déjà été répertoriés. <em>&laquo;Nous sommes à deux mois de la fin de cette année, et je pense que l&rsquo;on va dépasser le nombre de 2019, qui est de 1 099.</em>&raquo; Pour l&rsquo;heure, il soutient que cette drogue attire essentiellement ceux âgés entre 14 et 40 ans.</p>