Publicité

Protestations: à Maurice ou au Nigeria, les séquelles de la Special Anti-Robbery Squad

26 octobre 2020, 21:00

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Protestations: à Maurice ou au Nigeria, les séquelles de la Special Anti-Robbery Squad

Trois mois après le démantèlement de la Special Anti-Robbery Squad (SARS) à Maurice, le mouvement #EndSARS, né au Nigeria et qui a déjà gagné sa diaspora à travers le monde, interpelle. Un haut gradé de la police, qui compte des années de carrière parmi des éléments les plus intraitables des forces de l’ordre, a accepté de lever le voile sur la SARS, unité certes démantelée mais dont les ex-éléments ont aujourd’hui rejoint d’autres unités de la police.

Maurice n’est pas le seul pays à avoir comp- té au sein de sa force policière une unité spéciale nommée la Special AntiRobbery Squad (SARS). Depuis début octobre, la colère gronde dans la rue et sur les réseaux sociaux au Nigeria, où la population dénonce les violences policières sous le hashtag #EndSARS, en référence justement à l’unité de police accusée d’arrestations illégales, de racket des Nigérians, de torture et de meurtre.

Mardi dernier, de violentes manifestations à Lagos ont vu l’intervention de l’armée et de la police, qui ont tiré à balles réelles sur des manifestants faisant, selon un premier décompte d’Amnesty International, au moins 12 morts et des centaines de blessés. Au point où le président nigérian Muhammadu Buhari a interdit toute manifestation. Sauf que son peuple ne décolère pas et son ras-le-bol est relayé par des célébrités planétaires comme Beyoncé, Alicia Keys, l’actrice Viola Davis et Rihanna, pour ne citer qu’elles.

Ce qui se passe au Nigeria fait rappeler qu’à Maurice également, les méthodes des éléments de la SARS ont fini par avoir raison de cette unité, puisque son démantèlement, à partir du 22 juillet, a été parmi les premières décisions prises par le commissaire de police Khemraj Servansing, à peine avait-il succédé à Mario Nobin à ce poste, le 3 juin.

Un chef d’une unité de la police, qui compte des années de carrière parmi des éléments les plus intraitables des forces de l’ordre, explique, de prime abord, sous le couvert de l’anonymat, que des unités de police et militaires confondues se développent en milices, faute de mandat clairement défini par le chef de la police.

«Mais aussi parce qu’au préalable, elles sont créées ad hoc pour pallier certains manquements identifiés par le chef qui, lui, subit une pression de la part des politiques pour des résultats rapides. Les éléments de telles unités croient avoir toutes les latitudes. Parfois, ils en bénéficient vraiment, vu qu’ils n’ont aucune chaîne de commandement sauf sous le commissaire de police à Maurice», soutient notre interlocuteur.

«Ce ne serait pas étonnant que, dans quelques mois, une autre unité du même type sous un autre nom soit créée avec les hommes du chef actuel.»

Par contre, en faisant du copier-coller sans une réflexion et une planification au préalable pour contextualiser ces unités qui existent ailleurs, cela ne marche pas forcément, estime ce responsable. «Le problème c’est que dans les pays développés, les unités spéciales de police ont un mandat clair, recrutent des profils types et forment leur personnel. Sauf qu’en Afrique et chez nous, rien de tout ça. Aucune compétence recherchée mais plutôt une proximité avec le chef pour éviter des problèmes. Regardez la SARS Maurice, ses éléments n’avaient aucune compétence spécifique. Pourtant, ils aspiraient à faire des opérations de toutes les spécialités - NSS, ADSU, CID et MCIT – (NdlR : National Security Service, Anti-Drug and Smuggling Unit, Criminal Investigation Division et Major Crime Investigation Team)», regrette le responsable d’unité.

Pour lui, de telles équipes sont nécessaires, certes, pour mener des opérations hors du champ d’action d’autres unités et pour permettre à la police d’évoluer en zone grise «mais de façon pas vraiment morale, ni légale, non plus, puisque ce qui importe à ce niveau, ce sont les résultats uniquement et pas la manière».

Ainsi, le fait que ce genre d’unité n’ait pas de mandat clairement défini et opère sous le commandement direct du chef suprême, font que ses éléments se sentent intouchables.

«Ils ont la protection du chef. Le cas de Résidence Vallijee (NdlR : où des éléments de la SARS notamment se sont acharnés sur deux membres d’une famille durant le confinement) en est un exemple flagrant car de tous les policiers qui ont participé à cette opération, un seul a été inquiété. C’est aberrant !» fustige ce responsable de la police.

En effet, cette affaire, dont les images avaient fait le tour des réseaux sociaux, avait choqué tout le pays. Le Premier ministre, Pravind Jugnauth, qui disait condamner tout acte de brutalité policière, a toutefois confirmé au Parlement, le 9 juin, qu’un seul policier a été arrêté pour «torture». Ce dernier avait retrouvé la liberté conditionnelle après avoir fourni une caution de Rs 5 000 et signé une reconnaissance de dettes de Rs 25 000. Depuis le 27 mars, il est suspendu de ses fonctions.

En tout cas, plusieurs au sein de la force policière sont convaincus que la SARS a été démantelée seulement parce que ses éléments étaient les hommes du chef précédent. «Rien d’autre que ça. Ce ne serait pas étonnant que, dans quelques mois, une autre unité du même type sous un autre nom soit créée avec les hommes du chef actuel.»

Pendant ce temps, les méthodes de l’ex-SARS ne se sont-elles pas perpétuées au sein des départements qui ont accueilli ses anciens éléments ? À cette question, notre interlocuteur réplique : «Ils n’agiront jamais comme auparavant parce qu’au sein de l’ex-SARS, ils agissaient en équipe et bénéficiaient de l’appui du chef alors qu’ailleurs, ils sont esseulés, donc auront peur des répercussions.»

Ce n’est pas pour autant que les méthodes de la SARS, moins visibles certes, ne prévalent pas au sein d’autres uni- tés de la police, admet le responsable.

Khemraj Servansing : «le démantèlement, une décision mûrement réfléchie»

<p>Sollicité hier, le commissaire de police Khemraj Servansing assure que les problèmes qui se posaient avec l&rsquo;unité SARS ont été réglés avec le démantèlement de l&rsquo;unité. <em>&laquo;C&rsquo;est une décision mûrement réfléchie qu&rsquo;on a prise en démantelant la SARS. Les anciens membres de cette unité ne font plus le même travail aujourd&rsquo;hui. Certains sont affectés dans des postes de police. Donc, aucun risque qu&rsquo;ils perpétuent les méthodes de la SARS là où ils sont aujourd&rsquo;hui&raquo;,</em> affirme le n&deg;1 de la police. À la question de savoir si on ne risque pas de voir émerger une autre unité spéciale pour pallier les manquements des autres départements de la police, Khemraj Servansing se veut ferme. <em>&laquo;Les Divisional CID font un travail formidable. Auparavant, elles souffraient d&rsquo;un manque de ressources mais aujourd&rsquo;hui elles ont les ressources nécessaires pour faire leur travail correctement. Donc, nul besoin d&rsquo;avoir une unité supplémentaire.&raquo;</em></p>

De Rottweiler à SARS

<p>Pour la petite histoire, à la base, une équipe nommée Rotweiller avait été créée par l&rsquo;ex-commissaire de police, Mario Nobin, afin de surveiller les policiers indisciplinés et mafieux. Il s&rsquo;agissait d&rsquo;éléments de la SSU qui sillonnaient l&rsquo;île à moto. Notre interlocuteur raconte qu&rsquo;il y a eu un incident où un des hommes a été blessé. C&rsquo;est ainsi que le nom de l&rsquo;unité a changé pour la SARS. Par la suite, chaque division de la police a voulu s&rsquo;équiper d&rsquo;une équipe similaire. Voilà comment la SARS a pris de l&rsquo;ampleur.</p>

Maurice impressionne des policiers et militaires nigérians

<p>Une délégation du Nigeria Defense College, composée de hauts officiels de la police et de l&rsquo;armée nigériane en visite à Maurice du 18 au 25 mai, avait salué Maurice pour son faible taux de criminalité. C&rsquo;est ce qu&rsquo;avait indiqué Mario Nobin face à la presse après sa rencontre avec les visiteurs aux Casernes centrales, le 20 mai. L&rsquo;ancien CP s&rsquo;était alors vanté d&rsquo;une force policière qui travaille jour et nuit pour faire baisser la criminalité.</p>