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Archana Kotecha: utiliser le système juridique pour faire la différence dans la vie des victimes

18 octobre 2020, 16:03

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Archana Kotecha: utiliser le système juridique pour faire la différence dans la vie des victimes

La Mauricienne Archana Kotecha, issue d’une longue lignée d’hommes de loi de la famille Gujadhur, aurait pu poursuivre une carrière fructueuse comme conseillère juridique en entreprise à Londres. C’était sans compter un besoin vital de ressentir de la satisfaction au travail et de relever d’autres défis intellectuels. Une affectation au Haut-commissariat pour les réfugiés (HCR) des Nations unies l’a mise sur la voie des violations des droits de l’Homme dont le trafic des êtres humains et elle en a fait sa spécialité.

Depuis les sept dernières années, cette belle femme de 44 ans travaille comme chef du département légal et directrice pour la région Asie à Liberty Shared, une organisation de lutte contre le trafic des êtres humains, basée à Hong Kong mais au rayonnement international. Elle conseille aussi régulièrement les gouvernements, d’autres organisations non gouvernementales et le secteur privé sur les violations des droits humains dont la traite d’humains. Il y a deux ans, le Financial Times l’a nommée comme une des avocates les plus innovatrices de la région Asie Pacifique et elle est régulièrement citée comme une des actrices du changement les plus influentes dans cette partie du monde. Cette année, elle figure sur la liste de la diversité pour Hong Kong, qui reconnaît et valorise les membres influents des minorités ethniques vivant à Hong Kong. «Mon parcours jusqu’ici a été incroyable. Il a compris des hauts et des bas mais a été extrêmement didactique», raconte-t-elle par mél.

Moi, je veux bâtir un empire reposant sur la restitution d’une part de ce que j’ai reçu à la société. C’est ainsi que je voudrais que l’on se souvienne de moi.

Archana Kotecha est née à Maurice. Sa mère est Padmini Gujadhur, fille de Kamlakar, qui a épousé le Dr Rabindra Prasad Sinha. Elle a passé une grande partie de sa vie au Champs de Mars à Port-Louis dans la maison de son grand-père mais aussi chez ses parents à Quatre-Bornes. Elle a fréquenté le Lorette de Port-Louis au primaire et a effectué sa scolarité secondaire dans cet établissement scolaire et l’a terminé au collège Dr Maurice Curé.

Lorsqu’on est issue de la famille Gujadhur, qui compte plusieurs hommes de loi réputés en son sein, il est difficile de ne pas avoir une aisance à s’exprimer publiquement et de ne pas se sentir naturellement attirée par le droit. «C’est une profession à laquelle j’ai été exposée depuis toute petite et à laquelle je suis familière. Les hommes de loi de la famille qui m’ont influencée sont le défunt Madun Gujadhur, Queen Counsel, le défunt Moorli Gujadhur et mon oncle Jaykar Gujadhur, les trois étant de fins hommes de loi. Ils ont vraiment été des modèles pour moi. À l’école, j’aimais participer aux débats et j’avais toujours quelque chose à dire. De ce fait, devenir avocate m’a paru la chose la plus naturelle qui soit», répond-elle.

C’est à la London School of Economics et sciences politiques qu’elle étudie le droit et obtient son diplôme qu’elle complète avec un Bar Vocational Course au Inns of Court School of Law. «Je suis aussi membre du Middle temple Inn», dit-elle. Elle est également détentrice d’une maîtrise sur la compréhension et la garantie des droits humains qu’elle a pris auprès de l’université de Londres. Lorsqu’Archana Kotecha prête serment en tant qu’avocate, c’est le conseil juridique en entreprise qui l’attire. «En tant que jeune avocate à Londres, j’aimais cette vie professionnelle et l’indépendance financière qui venait avec. Cette filière m’a donné des compétences très valables que j’ai pu mettre à profit au cours de ma carrière par la suite.»

Mais au bout d’un moment, Archana Kotecha réalise qu’elle aspire à autre chose, notamment à ressentir la satisfaction professionnelle et à pouvoir relever d’autres défis intellectuels. Elle tombe sur une annonce relative à un poste vacant au HCR et postule car elle se dit que si sa candidature est retenue, elle sera en contact avec un monde très différent de celui dans lequel elle évoluait jusque-là. Elle obtient le poste qui est sous contrat à durée déterminée, soit neuf mois.

Et là, au contact d’individus venus des quatre coins du monde, Archana Kotecha découvre effectivement d’autres réalités. Elle est confrontée à des cas monstrueux de violations des droits humains. «Pour la première fois dans mon existence, j’ai été exposée à la fois à la face la plus hideuse et obscure de l’humanité sous forme de transgresseurs des droits humains d’un côté et de l’autre à la beauté de l’âme humaine et à la résilience des survivants. C’est là que j’ai réalisé que je voulais exercer comme avocate et faire la différence dans la vie de personnes, de communautés, d’œuvrer en faveur de l’humanité. Les gens bâtissent des empires de richesses qu’ils laissent à leurs enfants et à la génération suivante. Moi, je voulais bâtir un empire reposant sur la restitution d’une part de ce que j’ai reçu à la société. C’est ainsi que je voudrais que l’on se souvienne de moi. Cette expérience au HCR a été le début d’une carrière extrêmement difficile mais tellement enrichissante en matière de droits humains.»

Ces droits étant un vaste domaine, après son passage au HCR, elle décide d’en savoir plus et d’engranger de l’expérience dans d’autres facettes du sujet. C’est ainsi qu’elle rejoint l’Immigration Advisory Service et puis Stop Trafficking UK. À l’Immigration Advisory Service, elle côtoie une première victime de trafic d’êtres humains. «J’avais déjà travaillé sur d’horribles cas de violations aux droits de l’Homme mais ce premier cas de trafic d’un être humain, qui était un crime haineux, m’a bouleversée et m’a prise aux tripes. C’est là que j’ai décidé d’en faire mon domaine d’expertise.»

Les cas qui l’ont le plus marquée ont trait aux enfants. «Depuis que je suis parent (NdlR : elle est mariée à Vikeash Kotecha et mère d’un garçon nommé Aaran et d’une fille appelée Aarya), je trouve difficile de faire abstraction de mes sentiments vis-à-vis de mes propres enfants et de mon côté protecteur envers les enfants avec qui je travaille. Quelques-uns des pires cas impliquaient de la brutalité physique et sexuelle et l’exploitation des femmes, d’enfants et d’hommes et cela laisse des cicatrices que ces victimes, leurs familles et les communautés portent à vie. Ces formes d’exploitation les fragilisent davantage et les mettent à risque d’être encore plus exploités. D’où mon désir de comprendre et de lutter contre ce crime.»

Elle s’est établie à Hong Kong depuis les 11 dernières années. Et depuis sept ans, elle travaille pour Liberty Shared où elle exerce comme chef du département légal et directrice de la région Asie. Au cours de sa carrière, elle a conçu deux manuels sur le trafic des êtres humains et les signes permettant d’identifier les victimes. Elle a eu aussi eu l’occasion d’œuvrer pour les travailleurs migrants opérant dans des chaînes d’approvisionnement «et dont l’exploitation est horrible aussi. La seule différence est que la nature de l’exploitation diffère. De plus, le travail des migrants est auréolé d’une légitimité construite sur des modèles de business fondés sur le travail forcé. Les travailleurs migrants que j’ai aidés sont exténués, sévèrement endettés. Ils se voient souvent voler leur salaire, sont battus, leur passeport est confisqué et leur liberté restreinte. Le niveau de ce type d’exploitation dans le monde est effrayant. Je ne me ferai jamais à l’idée que les vêtements que nous portons, ce que nous mangeons et la technologie que nous utilisons proviennent de la sueur et des larmes de travailleurs migrants à travers le monde. Le travailleur migrant qui a échoué et qui rentre chez lui sans ressources vit la perte de confiance de sa propre famille et de sa communauté. Il va alors chercher d’autres opportunités d’emploi qui peuvent l’exploiter davantage. C’est un véritable cercle vicieux et chacun d’entre nous a le devoir de contribuer à y mettre un terme», dit-elle.

Ce qu’elle apprécie le plus dans cette lutte, c’est d’avoir pu aider une victime à naviguer dans le système judiciaire et obtenir un dédommagement, de même qu’utiliser son expérience et son expertise pour faire changer des lois et adapter des politiques et ainsi faire la différence dans la vie des personnes vulnérables. «J’ai aussi contribué à rediriger l’axe de cette lutte sur l’argent et les gains commerciaux que cette traite d’humains génère et contribué à formuler les règlements locaux et internationaux y relatifs.»

La pandémie du Covid-19 est venue aggraver les vulnérabilités humaines par rapport au trafic d’êtres humains dans les pays faisant partie de l’association des nations de l’Asie du Sud-Est et a rendu encore plus précaire la situation des travailleurs migrants. Ce qui est malheureux, dit-elle, c’est que «l’ampleur de l’exploitation à travers les chaînes de distribution mondiales représente un nombre significatif de victimes dont la plupart ne sont ni identifiées, ni soutenues.»

À l’en croire, la traite des êtres humains a encore de beaux jours devant elle, malgré tous les efforts des autorités et des organisations non gouvernementales. «La plupart des efforts fournis pour lutter contre le trafic des êtres humains ont reposé sur les enquêtes alors qu’il faut une approche globale pour interrompre ce business illicite. Les causes profondes du trafic humain telles que la pauvreté, le manque d’opportunités économiques, une protection légale faible pour les travailleurs, doivent être toutes traitées et l’approche de la justice pénale doit faire partie d’un mouvement plus vaste de justice sociale pour que l’interruption de ce trafic humain illégal soit plus systémique.»