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Alphabétisation: ils ont appris à lire et à écrire après l’école

11 octobre 2020, 21:30

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Alphabétisation: ils ont appris à lire et à écrire après l’école

L’ONG Auxiliaire procède, en ce moment, à la remise de certificats de participation aux bénéficiaires du programme Alpha+ approuvé par la Mauritius Qualifications Authority. Une cérémonie s’est tenue au collège Curepipe, samedi 10 octobre.

L’express s’est entretenu avec certains participants du programme Alpha+. Il s’agit d’un niveau avancé de l’alphabétisation où les apprenants atteignent le niveau de grade 4. La prochaine étape : permettre aux apprenants de prendre part et de réussir au Primary School Achievement Certificate (PSAC).

Sahida Boodhoo, 52 ans : «Auparavant, je me faisais discrète»

Sahida Boodhoo, 52 ans, a toujours voulu apprendre à lire et à écrire, mais les circonstances de la vie ne lui ont pas permis de le faire. Mais, animée du désir de montrer des choses à son petit-fils, elle s’y est appliquée. «J’ai étudié jusqu’à la troisième (maintenant Grade 3). On n’avait pas les moyens à l’époque. Je devais aussi travailler pour subvenir aux besoins de ma famille. Lorsque je me suis mariée à l’âge de 20 ans, mes beaux-parents étant sévères, je ne pouvais pas réaliser mes ambitions. Après leur décès, j’ai pu commencer à aller suivre des cours au centre communautaire de la localité. Et d’ailleurs, c’est là où j’ai fait la demande pour suivre des cours d’alphabétisation», raconte cette mère de deux garçons âgés de 32 et 22 ans. La quinquagénaire n’oubliera jamais ce jour où, à la poste, une dame lui a demandé de remplir un formulaire pour elle, mais elle n’a pas pu, étant elle-même analphabète.

«Auparavant, je me faisais discrète à la banque, de peur qu’on me demande de remplir un formulaire. Mais maintenant, je vais de l’avant pour aider les autres. Je peux lire le journal et les sous-titres à la télé, faire ma liste de commissions, envoyer des messages, entre autres», s’enthousiasme cette résidente de Notre-Dame qui exerce comme baby-sitter.

Hevish Dinan, 20 ans : «J’ai découvert le monde»

Il a fait des classes prévocationnelles mais n’a pas pu suivre une formation qui allait déboucher sur un métier. Raison : il ne savait ni lire, ni écrire. Mais l’année prochaine, il compte bien entamer des études en plomberie. Lui, c’est Hevish Dinan, 20 ans. «Je suis à l’aise avec le français, maintenant je dois apprendre l’anglais davantage car les questionnaires sont préparés dans cette langue», nous confie-t-il.

Son meilleur ami lui a parlé des cours d’alphabétisation. Si, au début, il s’absentait beaucoup, grâce à son enseignante, cet habitant de Camp-Fouquereaux a pris conscience de l’importance d’être régulier. «On bénéficie d’une attention spécialisée, ce qui n’était pas le cas à l’école. D’ailleurs, j’avais des problèmes de vue et on me faisait m’asseoir à l’arrière de la classe bien que mon père en avait parlé à la direction de l’école. Puis, à l’époque, il y avait aussi des problèmes familiaux. Toutes ces circonstances font que je n’ai pas pu apprendre à lire et à écrire pendant mon enfance», raconte cet employé de rayon d’un supermarché sis à Phoenix.

Quatre ans plus tard, Hevish Dinan peut fièrement dire qu’il a «découvert le monde». Il a, notamment, appris à envoyer des messages sur Messenger et WhatsApp, il prend plaisir à lire tout ce qui lui tombe sous la main ou sous le nez. En se rendant aux épreuves pour obtenir un permis de conduire provisoire (learner), il dit avoir commis huit fautes, alors qu’il s’attendait à beaucoup plus.

Désormais, il souhaite parvenir au niveau de Grade 11 (anciennement la Form V). «Lorsque je ne savais pas lire et écrire, des proches parlaient de moi en mal. Je ne vais pas écouter des gens qui disent qu’il y a un âge pour apprendre. Mwa mo pou kontign aprann mem ziska laz 60 an», affirme Hevish Dinan.

Macha Solay, 29 ans : «Je vais ouvrir mon salon de beauté...»

Âgée de 29 ans, Macha Solay a étudié jusqu’en Grade 6, et depuis elle est restée à la maison. «Sans vouloir critiquer, à l’école, il y a trop d’élèves. L’enseignant ne peut pas accorder une attention individualisée», relève-t-elle. Une dizaine d’années plus tard, à travers une religieuse, elle devait apprendre que des classes d’alphabétisation sont dispensées par l’ONG Auxiliaire.

La peur au ventre, celle qui exerce comme coiffeuse et aide-chauffeur, s’y est inscrite. «On était un groupe d’amis. Et on avait tous peur qu’on se moque de nous car on ne savait pas lire et écrire. Or, l’enseignante nous a mis en confiance. Elle nous a rassurées en nous déclarant qu’il ne fallait pas avoir honte de lui dire ce qu’on ne savait pas afin qu’elle puisse nous aider. Elle avait la patience et l’amour voulus pour nous enseigner. Et, ces cours ont porté leurs fruits. Ils m’ont beaucoup aidée dans le cadre de mon travail, particulièrement. Auparavant, j’avais des difficultés à lire ce qui était écrit sur les produits. Maintenant, je peux le faire sans difficulté», témoigne cette Rosehillienne.

Grâce à cet accomplissement, Macha Solay peut rêver plus grand. Celle, qui ambitionne d’avoir son propre van scolaire, a obtenu son learner et en décembre prochain, elle devrait passer son test de conduite. «Lorsque j’aurai réussi, le matin, je vais aller chercher des enfants à domicile pour l’école, et les déposer chez eux dans l’après-midi. Au cours de la journée, je vais continuer à exercer le métier de coiffeuse. D’ailleurs, j’attends d’atteindre le niveau du PSAC pour ouvrir mon salon de beauté. Mais déjà, je me contente de pouvoir lire la Bible, ce qui ne m’était pas possible autrefois. Et je suis plus confiante pour prendre part aux épreuves», confie la jeune femme. Elle ajoute qu’après elle, c’est au tour de sa sœur de 15 ans de s’inscrire à ces cours d’alphabétisation.

Jacqueline Laprovidence, 55 ans : «J’ai vu la lumière au bout du tunnel»

Elle a cessé sa scolarité après le Certificate of Primary Education (CPE). La seule matière que Jacqueline Laprovidence, 55 ans, avait réussie : le français, ayant obtenu la note «B». Elle n’a pas eu l’occasion de refaire le CPE, et dû aux circonstances de la vie, elle a oublié tout ce qu’elle avait appris sur les bancs de l’école.

Aujourd’hui, mère de trois enfants de 30, 31 et 37 ans, et grand-mère de quatre petits-enfants âgés d'un mois à sept ans, elle nous confie : «Toultan dan mo la tet, mo ti dir mo pou peye pou  mo al aprann lir.» Car elle savait seulement écrire son nom. Cette Curepipienne avait même peur de s’exprimer. «Rant dan la bank ou dan enn biro, mo ti pe gayn tranbleman. À présent, je peux lire la Bible et participer à un groupe de prières. J’ai vu la lumière au bout du tunnel», se réjouit-elle.

Praveen Sajeewon, 42 ans : «Je souhaite apprendre davantage»

Il a pris part aux examens du CPE à deux reprises, mais il a échoué. Et il n’y avait personne non plus chez lui pour l’aider dans son éducation. C’est l’histoire de Praveen Sajeewon, 42 ans. Son père étant tombé malade alors qu’il était enfant, ce Vacoassien se met à partager les responsabilités de sa mère qui avait trois autres fils.

Celui qui est employé dans un casino raconte qu’il a «travay partou kot gagne» mais au fil des années, il commence à avoir des difficultés à trouver du travail. «Je voulais apprendre mais des amis m’ont dit qu’à mon âge, je n’allais pas trouver une opportunité. Mais finalement, l’occasion s’est présentée. Je ne pouvais pas lire l’indicatif sur un autobus ou encore remplir des formulaires à la banque. Maintenant, je le peux. Et je souhaite apprendre davantage encore», partage-t-il.