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Les «Froggies» sautent sur les grenouilles françaises... encore trop rares

9 octobre 2020, 15:00

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Les «Froggies» sautent sur les grenouilles françaises... encore trop rares

Pionnier de l’élevage de grenouilles dans l’Hexagone, Patrice François fournit de nombreuses tables, du 3 étoiles au bistrot, mais malgré les 100 000 batraciens de sa ferme drômoise, les restaurateurs restent en mal de cuisses fraîches «made in France».

Il n’existe qu’une poignée d’élevages en France. «La raniculture, c’est dur !», explique à l’AFP le patron de François Production, au milieu des dizaines de bassins grouillant de grenouilles installés sous 2.500 m2 de serres dans une touffeur tropicale.

En fond sonore, les coassements des mâles, «assourdissants au printemps, haute saison des amours !»

«Ca commence à bien marcher mais je n’en vis pas», confie le quinquagénaire, qui a installé ce tout premier élevage français en 2010 à Pierrelatte (Drôme). Il est par ailleurs poissonnier à Roanne (Loire), à 300 kilomètres de là.

De rares téméraires ont depuis suivi son exemple en Normandie, dans le Puy-de-Dôme ou l’Ain.

«99% des grenouilles consommées en France proviennent des pays de l’Est ou de Turquie pour les fraîches, d’Asie pour les congelées», détaille-t-il.

Méritant bien leur sobriquet de «Froggies», mangeurs (de cuisses) de grenouilles, les Français en dévorent quelque 4 000 tonnes chaque année, selon l’Agence de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses, 2017).

Ce sont des espèces protégées depuis 2007. Les prélèvements commerciaux dans la nature sont interdits.

Parmi les prises récentes de M. François, Bocuse, le prestigieux restaurant étoilé de Collonges-au-Mont-d’Or, près de Lyon, qui les a inscrites à son menu dégustation d’automne. «C’est eux qui m’ont contacté, une belle reconnaissance», souligne fièrement l’éleveur.

Le chef Gilles Reinhardt, depuis 22 ans chez Bocuse, s’en félicite: «auparavant, faute d’autres solutions, on se fournissait à l’étranger. Mais ces grenouilles françaises ultra-fraîches, ça n’a rien à voir. Les clients les adorent !», assure-t-il à l’AFP .

«La chair est beaucoup plus délicate, les grenouilles plus charnues, plus fermes, avec de la mâche tout en restant fondantes», décrit-il.

«François Production nous livre deux fois par semaine 200 pièces, soit 400 cuisses», explique le chef. «On écoule tout, malgré le contexte de Covid et la quasi-absence de clients étrangers».

«On fournit aussi par exemple le restaurant étoilé de Georges Blanc dans la Bresse», indique M. François.

Cannibales 

A chaque étape, ses «piscines»: reproduction, incubation des œufs, têtards de 1,5 gramme, métamorphose, grenouillettes, grossissement et au bout d’un an environ, adultes de 50 à 100 grammes qui finiront dans nos assiettes.

«On contrôle toute la chaîne, précise le raniculteur, de la reproduction à l’abatage, après anesthésie par le froid, dépeçage et expédition».

«Notre objectif, c’est d’avoir des bassins les plus homogènes possibles pour éviter le cannibalisme, les plus grosses mangeant les plus petites».

Pour la reproduction, «beaucoup de facteurs entrent en jeu, comme la lune ou la météo». Par ailleurs, elles stressent facilement. Grégaires, les grenouilles se collent aussi les unes aux autres et peuvent s’étouffer.

La ferme vend aussi des cuisses fraîches aux particuliers.

Ici, on élève des grenouilles vertes (Pelophylax ridibunda), issues de la souche «domestiquée» Rivan 92, obtenue en 1992 grâce aux travaux d’André Neveu de l’INRA de Rennes.

Cette souche sélectionnée est capable de se nourrir d’éléments inertes, en l’espèce des granulés pour truites. Condition sine qua non pour l’élevage.

«Les grenouilles sauvages mangent des proies vivantes, des insectes, tout ce qui bouge», relève l’éleveur de 56 ans.

«L’INRA reste détenteur de la souche. Je suis un licencié et ne peux les relâcher ni les vendre vivantes».

L’accouplement dans les bassins reproducteurs a lieu de décembre à août, avec un pic au printemps.

Le mâle couvre la femelle afin de stimuler la ponte. Quand elle expulse des chapelets de 1 000 à 1 500 oeufs, il libère sa semence pour les fertiliser. Le succès de cette fécondation externe est variable... «de 0% à 100% !», sourit l’éleveur.

«Chez nous, sur un million d’oeufs, 100 000 deviendront grenouilles, soit 10%».

«Dans la nature, seules deux sur 1 000 survivent, victimes des prédateurs et du cannibalisme».

Emblème de la gastronomie française, ce batracien amphibie se consomme traditionnellement dans les régions d’étangs et de marais. Mais les mangeurs de grenouilles se retrouvent bien au-delà.