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Six mois de «débrouille» : Des professionnels à bout

22 septembre 2020, 21:45

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Six mois de «débrouille» : Des professionnels à bout

20 mars–22 septembre. Six mois qu’ils n’exercent pas leur activité professionnelle. Dans divers secteurs, ces travailleurs sont forcés d’avoir recours au système D. Tous soulignent que les Rs 5 100 du Self Employed Wage Assistance Scheme ne suffisent pas «pou pey det». Alors, ils puisent dans leurs économies et confient à quel point ils ont de la chance de pouvoir compter sur leur famille.

Les artistes d’hôtels ont perdu leur place dans la lumière

La réouverture des frontières s’accompagne d’une question brûlante pour Joëlle Coret, artiste de carrière du circuit hôtelier. «Est-ce que les artistes d’hôtels vont retrouver leur place dans la lumière ?» Elle explique : quand des établissements ont rouvert leurs portes à la clientèle mauricienne, pour assurer l’animation, ils ont majoritairement fait appel aux artistes connus sur le plan local. Ceux qui ont un nom dans la musique locale.

Ces artistes mainstream ont pour ainsi dire remplacé les artistes d’hôtels, qui ont, eux, un répertoire de standards internationaux. «Quand les clients étrangers reviendront, quel est le plan des hôteliers ? Est-ce qu’ils vont reprendre des artistes comme moi qui travaillent dans le circuit depuis des années ? Pou fer boul ar nou la?»

Des propriétaires de «contract vans» rattrapés par le leasing

Ils ne savent plus vers qui se tourner. Cela fait quelques jours déjà que ces chauffeurs de van ont reçu du papier timbré les sommant de s’acquitter des sommes dues pour l’achat de leur véhicule. C’est le cas de Parwez, qui n’a pas souhaité en dire plus sur son identité. Il achète un van à crédit en mars 2018. Ses clients : des employés de centres d’appels. «Mais depuis le confinement, ils n’ont pas repris le travail. Je me suis retrouvé sans ressources.»

Toutefois, il ne se laisse pas abattre et cherche un autre créneau afin de subvenir à ses besoins. «Je transporte des employés des magasins vers les centres commerciaux». L’argent obtenu lui permet de rembourser le prêt du véhicule. «J’ai trouvé un accord pour pouvoir rembourser les arriérés des trois mois de confinement.»

Tout semble aller pour le mieux, jusqu’au jour où Parwez reçoit un papier à en-tête qui lui ordonne de s’acquitter de ses dettes dans la semaine qui suit. «Où est-ce que je vais trouver autant d’argent pour payer pour ces trois mois ?» se lamente-t-il. «Pé met kouto anba lagorz.» Pourtant, il soutient n’avoir jamais été en retard dans ses paiements. Désormais, il ne sait plus à quel saint se vouer.

Certains de ses collègues se trouvent dans la même situation. «J’avais un contrat avec un hôtel situé dans le Nord. Depuis le confinement, c’est fini, je ne travaille plus. Qui va m’aider à rembourser l’emprunt que j’ai pris pour l’achat d’un van ?» confie un autre chauffeur de van. Il demande au ministre du Transport, Alan Ganoo, d’intervenir en faveur de tous les chauffeurs qui sont dans la tourmente actuellement.

Sangaysingh Oodit, plaisancier : «Je suis à deux doigts de demander à mon fils d’arrêter ses études de médecine»

La mer n’a plus de secret pour Sangaysingh Oodit. Plaisancier à Trou-d’Eau-Douce, il compte 30 ans de carrière. «Le premier bateau enregistré comme pleasure craft, le 001, c’est le mien», dit-il avec fierté. Des tempêtes, il en a connu plusieurs, mais l’année 2020 restera gravée comme l’une des plus terribles de mémoire de plaisancier.

«Si depuis janvier, entre les cyclones et les anticyclones, impossible de sortir en mer.» Situation aggravée par le confinement. Le déconfinement n’y a rien changé. «Et pour nous achever, il y a eu le Wakashio.» Si avant l’épisode du naufrage du vraquier japonais, certains Mauriciens retenaient leurs services pour des balades en mer, depuis l’échouement, tout a basculé. «On se retrouve sans travail. L’État nous verse Rs 5 100 par mois, mais cette somme est vite engloutie dans les dépenses courantes. Les économies se sont envolées depuis belle lurette.»

Mais ce qui l’inquiète le plus, c’est son fils. Ou plus exactement les études universitaires de ce dernier. «Il est en troisième année de médecine. Je ne sais pas où je vais trouver les Rs 300 000 pour payer ses frais d’études. Je suis à deux doigts de lui demander de tout arrêter…» Sangaysingh Oodit affirme avoir frappé aux portes des autorités concernées. «Nous sommes toujours en attente des Rs 10 200 que le gouvernement nous a promis. Pendant combien de temps allons-nous devoir attendre des réponses du Deputy Prime minister, Steven Obeegadoo ?

Avec le retour des touristes, les marchands de plage s’interrogent sur leur sécurité

La plage n’a plus le même attrait pour ces marchands. Là où elle était synonyme de gagne-pain, aujourd’hui, elle n’évoque que tristesse. S’il y a une catégorie de travailleurs à attendre impatiemment la réouverture des frontières, c’est bien celle des marchands de plage. Ce qui ne va pas sans son lot d’appréhensions. Il va même en grandissant.

«Est-ce que nous serons à 100 % protégés ? Quelles sont les conditions qui seront attachées à notre travail ? Il ne faut pas oublier que nous aurons un contact direct avec les touristes», souligne Joomeet Aubeeluck, président de l’association des marchands de plage. «Nous nous demandons s’il y a des mesures prises pour nous aider. Mais, pour l’heure, nous n’avons eu aucun retour. Est-ce qu’à la réouverture des frontières, nous allons avoir la permission pour travailler ou pas ? Personne ne nous a encore donné la réponse.»

Il confie que les jours sont de plus en plus sombres pour cette industrie. D’autant plus qu’avec les Rs 5 100 du Self Employed Wage Assistance Scheme, «ce n’est pas évident de subvenir aux besoins du quotidien». Justement, certains de ses collègues n’ont d’autre choix que de se lancer dans d’autres secteurs, en attendant l’arrivée des touristes. «Il y en a qui exercent comme maçons, d’autres comme peintres. Certains ont essayé de se reconvertir en pêcheurs, mais après l’épisode du MV Wakashio, ils se sont retrouvés de nouveau au chômage.»

Location de voiture : un secteur en panne

Ça ne roule plus dans le business de la location de véhicules. Surtout si, jusque-là, les voitures étaient surtout destinées à la clientèle touristique. C’est le quotidien d’Ajay Jirjadhan, propriétaire de Taj Car Rental. Il explique qu’il a une flotte d’une soixantaine de véhicules. Sa clientèle est composée uniquement de touristes. «Ma chance, c’est que j’ai pu avoir un contrat avec des Sud-africains qui sont en tournage pour Netflix. Ils ont loué une vingtaine de voitures.»

Toutefois, avant d’obtenir ce contrat, Ajay Jirjadhan confie avoir galéré. «J’ai dû payer le leasing et l’assurance des voitures.» Certes, quelques étrangers qui sont encore bloqués à Maurice continuent à louer ses voitures, confie-t-il. «Mais ils cassent les prix et on est obligé de s’y faire. Sans quoi, cela aurait été encore plus dur pour rembourser les prêts et de payer les assurances.» Il avance qu’il a aussi dû s’acquitter d’une facture pour une quinzaine de nouvelles batteries. «Comme les voitures ne roulent pas, les batteries étaient à plat. Des dépenses se sont encore accumulées.»

Marchands de produits d’artisanat : La «new wing» du marché de Port-Louis désertée

«Si mo pa ti éna enn ti lékonomi, pa koné kouma mo ti pou fer…» Cri du cœur de Varuna Runghen, qui fait partie de ces quelque 200 marchands de produits d’artisanat du marché de PortLouis. Des marchands qui occupent la «new wing», ainsi que la mezzanine de ce haut lieu touristique qu’est le marché de la capitale.

Si au début du confinement, il pouvait compter sur les Rs 5 100 versées par la Mauritius Revenue Authority, Varuna Runghen affirme n’avoir rien reçu depuis fin juin. «Pourtant, j’ai déjà soumis des demandes le 31 juillet et le 8 septembre.» Désormais, les «al manz enn ti manzé restoran», les fêtes d’anniversaire où on ne peut pas arriver sans un cadeau, ou même les «ti sorti al lamer» ne sont plus possibles. «Népli éna mwayin.» Il ne veut pas non plus être un «fardeau pour ses grands enfants de 25 et 29 ans. Ils ne peuvent pas m’aider comme avant nous on aidait nos parents».

Et dire qu’après le confinement, il se réjouissait de rouvrir son échoppe de chapeaux de paille, de paniers et autres accessoires importés de Madagascar mais aussi fabriqués à Maurice. Avec ses collègues, ils se sont mobilisés pour ne pas avoir à payer le loyer de leur stand au marché de Port-Louis. Une demande qui leur a été accordée.

Sauf que, souligne Varuna Runghen, il y a une condition. «Mais nous n’avions pas été informés en écrit. C’est plus tard qu’on l’a su…» Si un marchand qui n’a pas à payer de loyer pendant cette période ouvre son échoppe, «ne serait-ce que pour un jour, il doit payer un mois de location.» Résultat : «Avan, pa ti gagn létan res ar fami. Aster, mo lakaz mem.»