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Fermeture des frontières: d’où provient la drogue ?

30 août 2020, 21:39

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Fermeture des frontières: d’où provient la drogue ?

Deux jeunes sont morts d’une overdose, dimanche dernier à Sainte-Croix. En juin et juillet, des arrestations pour trafic d’héroïne ont eu lieu tandis que de nouvelles vidéos de Mauriciens sous influence de drogues synthétiques circulent sur la Toile. Comment ces substances sont-elles accessibles alors que nos frontières restent fermées ? Tour d’horizon en marge de la Journée mondiale de la prévention des overdoses.

«Pardonn mwa papa… pardonn mwa», hurle un homme, qui se jette à corps perdu dans une ruelle. Le regard vide, il sombre dans une transe après avoir fumé de la drogue synthétique. Il rampe, enlève ses vêtements au fil de ses déplacements à même le sol. Ses cris résonnent encore plus fort sous les yeux de ses voisins, qui essaient de le calmer… Cette énième vidéo de jeunes sous influence de stupéfiants fait le buzz sur les réseaux sociaux.

Outre les produits de synthèse, les drogues dures ont la dent tout aussi dure ces derniers temps. Durant les mois écoulés et jusqu’à dimanche dernier, des arrestations pour possession et trafic d’héroïne ont été enregistrées, ainsi que le décès par overdose de deux jeunes dans la vingtaine à Sainte-Croix. Mais comment les consommateurs et revendeurs y accèdent-ils puisque les frontières de notre territoire sont fermées depuis mars. Il y a matière à interrogation.

«À la fermeture des frontières, il y avait un grand stock de drogue disponible à Maurice car entré avant le confinement», déclare un policier de l’AntiDrug and Smuggling Unit (ADSU). C’est le même constat de plusieurs travailleurs sociaux. «La drogue provient de l’extérieur et est à Maurice depuis longtemps. Mais ce qui m’étonne, c’est qu’en dépit du confinement et de la fermeture des frontières depuis mars, la drogue circule toujours. Il n’y a pas de pénurie», constate Dany Philippe, coordinateur à Développement Rassemblement Prévention Information (DRIP).

De plus, la drogue est des plus pures, ajoute-t-il. En effet, précise-til, il y a 20 ans, seul un kilo de brown sugar entrait à Maurice. «Le trafiquant la coupait. Idem pour le dealer. Et cela continuait jusqu’au jockey. La pureté diminuait. Aujourd’hui, avec la quantité de drogues disponibles sur le marché, ces derniers n’ont même pas le temps pour ça. Les prix ne sont pas forcément plus chers en raison de l’abondance», explique Dany Philippe. D’après lui, ces substances affichent un taux de 70 % de pureté, ce qui entraîne un fort risque d’overdose. Le travailleur social soutient que les trafiquants ont toujours une longueur d’avance. «Ils ont dû assurer leurs stocks par voie maritime ou aérienne. Ils ne manquent pas de moyens pour ces entrées. Il faut une politique nationale et une étude sur tous les types de drogues disponibles ici», ajoute-til. Car hélas, la palette s’enrichit, allant de la méthamphétamine à l’héroïne et à la cocaïne, entre autres.

Se référant à l’Integrated Biological and Behavioral Surveillance Survey de 2017, Imran Dhanoo, directeur du Centre Idrice Goomany, affirme qu’à l’époque, Maurice comptait 6 000 toxicomanes par voie intraveineuse. En 2020, ce taux avoisinerait les 10 000. Ils s’injectent du brown sugar. «En moyenne, un tel usager consomme trois doses par jour. Ceci équivaudrait à 30 000 doses quotidiennes de cette drogue qu’on utilise dans ce pays. S’il n’y en a pas, les toxicomanes vont se révolter et entrer partout. Durant le confinement, ils ont continué à se droguer car les stupéfiants étaient disponibles dans l’île», ajoute-t-il.

Outre un approvisionnement «assuré avant le confinement», d’autres possibilités sur de récentes rentrées de drogue ne sont pas à écarter. Par exemple, lorsque les mules arrivent, elles ne sont pas seules. Si l’une d’elles est interpellée, d’autres traverseront, poursuit Imran Dhannoo. Évoquant les points d’entrée comme l’aéroport et le port pour ces stupéfiants, il décrie la forte accessibilité par voie maritime, élément d’ailleurs étayé par la Commission Lam Shang Leen. «Est-ce qu’au déconfinement, la drogue continue à se faufiler ? On ne sait pas. La mer est restée ouverte. Confinement ou pas, des policiers sont censés en contrôler l’accès», déclare-t-il.

L’épisode du MV Wakashio en rajoute une couche. Le fait que ce navire ait dérivé dans nos eaux territoriales, sans autorisation préalable, illustre l’étrange perméabilité de nos eaux. «Nos lagons, de même que l’océan Indien, ne sont pas suffisamment surveillés. Les autorités maritimes doivent être plus efficaces. Regardez : dans toutes les rues, il y a des caméras intelligentes, qui n’ont même pas encore été mises en opération. Quelle surveillance existe-t-il pour la mer? C’est sûr que les trafiquants sont toujours en quête de nouvelles façons pour faire entrer la drogue à Maurice. Évidemment, ils utiliseront cette voie», déclare Brigitte Michel, coordinatrice de l’association Aide, Infos, Liberté, Espoir et Solidarité (AILES).

De plus, ajoute-t-elle, avec la fermeture des frontières, seuls les cargos sont autorisés à Maurice. Que se passe-t-il à ce niveau puisqu’il y a énormément de drogues dures dans le pays, se demande notre interlocutrice. «Une méthode de surveillance plus sophistiquée avait été recommandée par la commission sur la drogue. Rien n’a été fait. De plus, les radars sont toujours en panne car leur réparation coûte cher. Mais pour payer des gens sur un comité national, on dépensera Rs 300 000. Le public est révolté face à tout cela. Entretemps, la drogue s’infiltre davantage dans tous les quartiers, pauvres comme riches. Cela fait mal de voir la jeunesse s’engouffrer davantage dans la consommation et la revente de drogue», précise-t-elle.

Dans la même lignée, les vols privés et de rapatriements suscitent des interrogations. Pour Imran Dhannoo, les passagers devraient être soumis aux mêmes protocoles de vérification qu’en période normale. D’après le policier de l’ADSU, toutes ces pistes sont actuellement explorées. «Nous étudions les éventualités que des navires, entre autres, fassent rentrer de la drogue. Les opérations pour les saisies se poursuivent aussi bien avant qu’après le confinement. Tous nos effectifs sont sur le terrain», affirme-t-il. À l’aéroport également, ajoute-t-il, la douane et l’unité antidrogue poursuivent leurs contrôles réguliers.

 

 

En chiffres

<p>Au 31 juillet 2020, Rs 269 446 250représente la valeur de la drogue saisie, selon l&rsquo;ADSU. Comparativement à 2019, le montant était de Rs 2 296 605 000. En termes de volumes saisis, l&rsquo;héroïne décroche la palme comparée aux autres drogues dures. Les quantités saisies étaient de 46,6 kg en 2019 et 11,9 kg à juillet 2020. Cependant, pour les sept premiers mois de l&rsquo;année, la plus grosse saisie concerne le cannabis avec 51,7 kg contre 23,7 kg en 2019. Le nombre d&rsquo;arrestations pour héroïne est en hausse. En effet, du 1er janvier au 15 août 2020, 640 personnes ont été arrêtées contre 599 en 2019 et 354 en 2018. Les drug-dealing cases prennent égalementl&rsquo;ascenseur, passant de 448 en 2018 à 608 en 2019 et 930 pour la même période en 2020. Parallèlement, au 15 août 2020, 785 personnes ont été arrêtées pour possession ou trafic de drogues synthétiques. En 2019, la police avait procédé à 1 132 arrestations pour le même délit alors qu&rsquo;en 2018, 1 134 personnes avaient été arrêtées pour possession ou trafic de ces drogues</p>