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Échouement du «MV Wakashio»: littoral sud-est, noir désespoir

11 août 2020, 14:14

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Échouement du «MV Wakashio»: littoral sud-est, noir désespoir

Le littoral sud-est était toujours en ébullition hier, au quatrième jour de la marée noire causée par le vraquier Wakashio. Si l’île-aux-Cerfs, Anahita et le Four Seasons Resort ont été fort heureusement épargnés à hier, Quatre-Soeurs, Pointe-aux-Feuilles, Pointe-du-Diable, Bois-des-Amourettes et Vieux- Grand-Port ont eu moins de chance. D’ailleurs, à plusieurs de ces endroits, l’air marin a laissé la place à la forte odeur du fioul. 

Les premiers impactés, d’ailleurs à l’oeuvre sur le terrain, sont des gens de la mer comme des pêcheurs, des plaisanciers mais aussi des restaurateurs, hôteliers et opérateur de ferme aquacole. Entre colère, grogne, exaspération et débrouillardise citoyenne, témoignages. 

Quatre-soeurs 
Des pêcheurs las du manque d’équipements 

La montre indique 11 heures. À Quatre-Soeurs, c’est la grogne parmi des membres de l’association des pêcheurs du village. Au sol, des serpentins de pailles de canne qui attendent d’être installés en mer. L’heure passe. Ces pêcheurs disent être sur place depuis très tôt le matin sauf qu’ils ne bougeront pas tant que des représentants du ministère de la Pêche ne viendront pas marquer leur présence. 

«Depuis hier, les autorités nous ont demandé de ne pas sortir en mer et de ramasser nos bateaux», raconte Clency Pepin, 58 ans, pêcheur. 

Senee Gurbhuurun, également membre de cette association, confie finalement : «Nous sommes en colère. On nous a promis des équipements pour aller installer ces barrages mais nous attendons toujours. Certains pêcheurs impatients sont déjà rentrés chez eux.» 

Pointe-aux-Feuilles 
«Pann gagnn enn sou ek gouvernma» 

Pointe-aux-Feuilles. Un village plus loin en direc-tion de Mahébourg, un autre attroupement. Une dizaine d’hommes, pieds dans l’eau, littéralement, agence tant bien que mal, avec les moyens du bord, des boudins en tissus. Ils sont tous plaisanciers. Parmi eux, ceux originaires de Trou-D’eau-Douce qui prêtent main-forte après ce désastre écologique. 

«Nou pe fer seki nou kapav depi sa katastrof la. Nou pann gagn ni enn sou ni okenn ekipman ek gouvernma», tonne Gutty Gooroodev, 55 ans. Cet opérateur de bateaux de plaisance vit des sorties touristiques sur l’eau. Il se retrouve aujourd’hui avec un double coup du sort. Après le Covid-19 et la fermeture des frontières, une partie de sa zone d’opération se retrouve souillée de fioul. 

Ferme marine de Mahébourg 
Pierre Yves Semaesse: «Cinq ans de travail risquent de partir en fumée» 

Leur siège social, la Compagnie Mauricienne de Textile, a dû leur envoyer du renfort en termes de main-d’oeuvre. À la Ferme marine de Mahébourg, située à Pointe-aux-Feuilles, les employés sont sur le qui-vive depuis jeudi et ne dorment quasiment plus. Des rouleaux et encore des rouleaux de barrages confectionnés à partir de tissus et de polythyrene sont acheminés par un chariot élévateur d’un hangar, côté montagne, en face de la mer, pour être installés autour des cages de la ferme aquacole. 

Pierre Yves Semaesse, le directeur rencontré sur place, hier, se veut d’abord rassurant. «Nous n’avons fort heureusement aucun poisson mort jusqu’ici. Nous avons activé notre protocole bien établi et nous avions déjà des matières premières en stock ici pour la confection des barrages que nous avons déjà placés autour de la moitié de nos cages.» 

Toutefois, cette ferme d’aquaculture, dont les 110 cages sont installées en mer dans cette partie de l’île et qui comprend actuellement une production de 3 800 tonnes de poisson (quasiment la même quantité de fioul qu’avait le Wakashio dans ses réservoirs), est grandement exposée si jamais le pire se produit. 

«Cinq ans de travail risquent de partir en fumée. Ce qui équivaut à Rs 700 millions de valorisation de travail», fait ressortir Pierre Yves Semaesse. 

Pradeep Roopun:
«Je mets la main à la pâte tous les jours. Je fais du jardinage et nettoie chez moi» 

Le président de la République est descendu au Vieux Grand-Port hier pour un constat des lieux. À la question de savoir s’il est prêt de mettre la main à la pâte, Pradeep Roopun a fait savoir qu’il le fait tous les jours chez lui. «Je fais du jardinage et je nettoie chez moi» a répondu le président. 

En ce qui concerne la catastrophe écologique, Pradeep Roopun affirme qu’il aide en sa capacité de chef de l’État en contactant les diplomates pour avoir l’aide des pays amis. 

Quant à Kavy Ramano, le ministre de l’Environnement, il a refusé de commenter la situation. 

La Case du pêcheur 
«Nous avons dû évacuer la trentaine de clients» 

Scène de désolation à la Case du pêcheur à Bambous-Virieux. Palétuviers noircis d’huile lourde, barachois bordé d’une épaisse couche de ce fioul et chambres pieds dans tout ce mazout. 

Maryline Aliphon, gérante, raconte que le vent du sud-est n’a pas épargné ce resto/chambres d’hôte dans la nuit de samedi à dimanche. «J’avais beaucoup de réservations dimanche. La veille, dans la nuit, nous avons eu beaucoup de vent et lorsqu’on s’est réveillé le matin, on s’est retrouvé quasiment envahi par cette marée noire et l’odeur avec.» 

Avec seulement quatre membres du personnel, elle a dû évacuer une trentaine de clients qui étaient là et depuis le resto/chambres d’hôtes est fermé. 

«On ne sait pas quand on pourra rouvrir. D’un seul coup c’est arrivé pendant la nuit de samedi à dimanche. J’ai appelé les Coast Guards et la police pour les alerter. Dimanche matin, un officier de la NCG est venu et est reparti en me disant qu’il fera un rapport. Depuis, aucun retour. Personne du côté des autorités n’est venue nettoyer», fustige Maryline Aliphon. 

Fort heureusement qu’elle a pu compter, hier, sur l’aide des bénévoles dont des membres d’Aret Kokin Nou la Plaz. Dans leur PPE, munis de seaux, ceux-ci ont commencé peu après la mi-journée à faire une chaîne humaine pour débarrasser la bordure du barachois de tout ce fioul. 

Malgré cela, la gérante de la Case du Pêcheur est désemparée à l’idée de penser au sort des crabes, huîtres et crevettes du barachois.



Les volontaires ne demandent que des cheveux

Depuis l’échouement du MV Wakashio, la soli-darité mauricienne se poursuit de plus belle. Une grosse mobilisation démarrée par Françoise Ga-chet a vu la participation de plus d’une centaine de volontaires engagés et concernés par la cause, qui ont récupéré des cheveux dans plusieurs salons de coiffure de l’île. Néanmoins, des volontaires ont eu la désagréable surprise de tomber sur des cheveux qui étaient mélangés à de la saleté. 

Aisha R, jeune femme engagée auprès de Françoise Gachet, raconte qu’elle était au tri des cheveux et qu’elle a eu des surprises. Elle a eu la surprise d’y découvrir aussi des mégots de cigarette, des lames de rasoir, des emballages de gâteaux et d’autres déchets. Sans compter des préservatifs, certains coiffeurs ayant mis les cheveux coupés dans les mêmes poubelles où ils jettent les déchets quotidiens de leur salon. 

Par conséquent, les volontaires lancent un appel aux Mauriciens. Le don des cheveux est toujours accepté mais il ne faut pas qu’ils soient mélan-gés à des déchets. Car qui dit cheveux propres dit gain de temps pour fabriquer un plus grand nombre de boudins.



Le vent d’est risque de pousser l’huile encore plus vers les côtes 

La météo risque encore de donner du fil à retordre aux volontaires. Depuis le début de la fuite d’huile, c’est-à-dire, jeudi dernier, le vent venant du sud-est changera cette fois de direction. Il soufflera de l’est, ce qui influencera le temps dès ce mercredi et ce sera ainsi jusqu’au week-end. D’ailleurs, cette prévision est confirmée par un météorologue de la station de Vacoas. C’est un faible anticyclone qui en est responsable. 

Quelle est donc l’impact d’un vent de l’est sur le mouvement d’huile? D’après l’océanographe, Vassen Kauppaymuthoo, les hydrocarbures qui flottent toujours dans le lagon, visibles sur les photos aériennes notamment à l’ouest de l’île-aux-Aigrettes, vont s’échouer sur les plages. Dans tous les cas, ils vont être plus proches de nos côtes. «Avec un vent de l’est, l’huile lourde se dirigera en direction de la Point-du-Diable comme nous avons vu ces derniers jours, mais il y aura beaucoup plus d’hydrocarbure qui va s’échouer dans les régions déjà affectées comme Mahébourg», explique-t-il. De plus, il craint que les plages de Pointe-d’Esny et de Blue-Bay soient affectées. 

L’ancien directeur de la station de Maurice Soobaraj Sok Appadu explique que même un vent faible venant de l’est génère des ressacs à la surface de l’eau. «Elles suivent la direction du vent. Donc, il faut attendre que l’huile suive également la tendance. Je pense que les mousses créées par l’hydrocarbure iront sur la côte, plus au sud, en provenance du large et de la région de Grande-Rivière-Sud-Est», dit-il. D’ailleurs, l’ancien patron de la météo de Vacoas ne cache pas sa peine en disant que la gestion de cette pollution ne se fait pas correctement. 

D’ailleurs, un ancien scientifique du gouvernement affirme que deux choses risquent de se produire avec un vent de l’est. D’abord, dit-il, la pollution n’arrivera pas jusqu’à la Grande-Rivière-Sud-Est. «L’huile tourbillonnera dans la baie de Grand-Port et la mousse formée à la surface de l’eau ira vers les plages du Sud» explique-t-il. Par ailleurs, s’il ne croit pas que la Grand-Rivière-Sud-Est sera affectée au cas où le vent commence à souffler vers le sud-est, il conseille quand même de placer des «booms» au large de l’embouchure. «L’huile lourde ne traversa pas la rivière, mais arrivée devant l’embouchure, le courant va la disperser vers d’autres régions.» 



Hydrocarbure : plus on y est exposé, plus c’est nocif 

L’hydrocarbure est toxique. Elle est non seulement néfaste à dame nature mais aussi à notre santé. Quels sont les risques des émanations ou encore d’être en contact avec ? Des médecins nous expliquent. 

«L’exposition à ces substances peut présenter des symptômes variables dépendant des organes affectés et de la durée du contact», précise le Dr. N.Ghunowa, généraliste. Il avance qu’en inhalant ou en aspirant l’hydrocarbure, un individu peut avoir des difficultés à respirer (l’asthme), il peut souffrir de la toux, de vertige, de maux de tête, de vomissement, se sentir faible, ou encore ressentir des palpitations, entre autres. Si la peau entre en contact avec l’hydrocarbure, une irritation ou une cloque ou une ampoule peut se développer. Les yeux deviennent aussi rouges, se larmoient et l’on peut avoir des troubles de la vision. 

Le Dr. B. Goolaub, aussi généraliste, abonde dans le même sens. «Au premier contact, l’individu peut se sentir nauséeux, s’étouffer, ou même ressentir des brulures subséquemment. En respirant cette odeur, la vapeur inhalée n’est pas absorbée par le sang mais elle peut se poser dans le sinus, les bronches ou encore les poumons.» Et d’ajouter qu’au changement de température, la vapeur inhalée peut se condenser, et éventuellement affecter le système respiratoire. 

«Dans l’ordre général, c’est mauvais pour tout le corps car les effets secondaires tels que l’affaiblissement du système immunitaire, entre autres, sont probables. Un empoisonnement général du corps peut aussi avoir lieu», poursuit notre interlocuteur. 

Aux dires du Dr. B. Goolaub, plus on est exposée à de l’hydrocarbure, plus c’est nocif à la santé. Et une exposition de plusieurs jours peut occasionner un empoisonnement chronique. C’est la raison pour laquelle, dit-il, des masques et autres équipements de protection sont nécessaires pour se protéger. Il est aussi important de connaître les composants du produit. En outre, on ne peut déduire exactement les effets des hydrocarbures sur le long terme, mais on peut prédire que cela peut développer un cancer. 

Notre interlocuteur affirme que les plus vulnérables sont les enfants, les personnes âgées et aussi ceux qui souffrent déjà d’un problème de santé comme la bronchite, qui peut s’aggraver en une pneumonie assez rapidement. Autre point qu’évoque le Dr. B. Goolaub est que manger un produit qui contient de l’hydrocarbure peut occasionner un empoissonnement chez le consommateur.