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Wakashio: Un échouement qui suscite des interrogations

27 juillet 2020, 09:38

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Wakashio: Un échouement qui suscite des interrogations

Comment le «Wakashio», vraquier japonais battant pavillon panaméen, s’est-il échoué sur la côte à Pointe-d’Esny, d’autant plus que le radar de Pointe-du-Diable l’a bel et bien détecté ? Si les autorités n’écartent aucune piste, même une possible mutinerie à bord, en revanche, les écologistes se font un sang d’encre. 

Depuis tôt hier matin, dimanche26 juillet tous les regards sont braqués sur le lagon de Pointe-d’Esny où le vraquier Wakashio, avec dans sa cale 3 800 tonnes d’huile lourde, s’est échoué sur le récif dans la soirée de samedi. Si les autorités s’attellent à trouver des solutions, les écologistes n’hésitent pas exprimer leurs inquiétudes.  

Hier, des curieux sont venus immortaliser le bateau
Les gardes-côtes ont installé des barrages flottants pour éviter toute marée noire. 
Le «Wakashio» vu de nuit, samedi soir

«C’est clair que nous irons vers une catastrophe écologique si les 3 800 tonnes métriques de fioul provoquent une marée noire.» C’est l’avis de l’écologiste Yan Hookoomsing d’Aret Kokin Nu Laplaz (AKNL) après le naufrage du Wakashio au large de Pointe-d’Esny dans la soirée de samedi. 

 Il estime que les dégâts ne concernent pas uniquement Pointe-d’Esny mais également le parc marin de Blue-Bay, un site Ramsar déjà en situation critique. «Les écologistes sont inquiets. Les autorités ne nous rassurent pas du tout. Il faut prendre les mesures qu’il faut dans un endroit aussi sensible.»  

Sébastien Sauvage, de l’association Eco-sud, abonde dans le même sens. «Le risque est énorme pour toute la réserve de pêche, pour toute la côte est. Ce sera une catastrophe.» 

La présence du vraquier n’a pas empêché les kitesurfeurs de sortir.

 Ce qui intrigue les écologistes, c’est qu’en quatre ans, un autre vraquier chavire près de notre côte. L’on souvient du MV Benita, le pétrolier libérien, qui s’est échoué au Bouchon en 2016. «Il y a une défaillance dans le système de surveillance maritime. C’est extrêmement grave. On annonce un Oil Spill Management Plan, mais c’est l’action qui compte. Il y avait eu d’énormes dégâts avec Benita. Les pêcheurs ont beaucoup souffert», confie Yan Hookoomsing. 

 Selon lui, il faudrait un système de surveillance pour protéger nos lagons. «Nous ne pouvons être aussi impuis- sants face à ce genre de situation. Les dégâts écologiques sont inestimables et irréversibles.» Il estime que les autorités devraient rechercher l’aide extérieure ou régionale pour gérer cette catastrophe. 

 Sébastien Sauvage prévient que si rien n’est fait promptement, ce sera le pire désastre écologique qu’aura connu le pays. Il ne blâme pas les garde-côtes car, pour lui, aucune loi n’interdit aux navires de s’approcher trop près de nos côtes. «Depuis 20 ans, on demande que l’on interdise aux navires qu’ils soient pétroliers ou autres de passer par l’est du pays. Les vents sont parfois trop forts et toute panne, même temporaire, du moteur ferait le navire dériver vers notre littoral avec risque bien sûr de s’échouer sur les récifs», déplore-t-il.  

Le «Wakashio» suivait la trajectoire habituelle des navires quand il a subitement dévié pour s’échouer sur les récifs, à 900 m de la côte, samedi.

Il trouve étrange que le Wakashio se soit dirigé sur Pointe-d’Esny à une vitesse d’environ 11 nœuds sans que rien n’ait été fait. «Après le naufrage du Benita et le navire transportant du riz qui avait échoué au Nord-Est, il semble que l’on n’a pas tiré les leçons. Si on a échappé au désastre avec le Benita et si on échappe à celui du Wakashio, pendant combien de temps encore serions-nous à l’abri d’une telle catastrophe ?» Il rappelle qu’une catastrophe écologique le sera aussi pour l’économie, notre pays dépendant beaucoup du tourisme.  

Naufrage prémédité?

L’écologiste Sébastien Sauvage se demande aussi pourquoi le navire s’est dirigé directement sur des récifs. «La trajectoire du navire est pour le moins troublante. Le pilote ne voyait-il pas grâce à son radar et autre GPS qu’il allait s’échouer sur les rochers ? Pourquoi n’a-t-il pas jeté l’ancre ?» Un habitué de ce genre de situation va même jusqu’à soupçonner un naufrage prémédité pour obtenir l’assurance surtout que le navire se serait dirigé à grande vitesse sur le récif. «Avec la récession qui frappe surtout le commerce et le transport du pétrole et, par conséquent, les pétroliers, il est possible que certains armateurs choisissent de provoquer un accident bidon pour ne pas envoyer leur navire à la casse !»  

Pour Osman Mahomed, porte-parole du dossier de l’environnement au Parti travailliste, le fait que la cale du vraquier était vide, c’est-à-dire ne transportait aucun cargo sauf 3 800 tonnes de fioul pour sa consommation, pose question. «Même ces 3 800 tonnes de fioul sont dangereuses pour nos lagons.» Il rappelle que le naufrage du Benita a affecté la faune et la flore du parc marin de Blue-Bay et des environs. Il demande que le propriétaire du tanker s’arrange au plus vite pour le sauvetage et le remorquage de l’épave et aide à contenir toute fuite qui pourrait gravement endommager notre environnement marin et même la côte. Et qu’une enquête soit faite pour savoir pourquoi ce navire sans cargo s’est aventuré si près de nos côtes.  

Autre interrogation : le navire s’était-il délesté de son ballast. «Le vraquier est monté tellement haut sur les rochers que l’on peut se poser la question», nous dit un professionnel. Ce qui ne facilitera pas le remorquage du navire. Pour Sébastien Sauvage, ce genre d’incident fait réfléchir: «Que le gouvernement revoie ses priorités et fasse attention avec les projets de hubs pétroliers et de construction de port à Mahébourg ! C’est triste surtout en ce Mangrove Day !»  

Sollicité pour une réaction, Sunil Dowarkasing, consultant en environnement et ex-Global Strategist de Greenpeace, affirme que «c’est bien qu’il n’y ait pas eu de déversement de pétrole mais un tel incident est très grave pour l’écosystème marin, y compris les récifs coralliens, les organismes marins, entre autres». Cependant, une question l’interpelle. «Sur quoi les autorités se basent-elles quand ils affirment que la situation est sous contrôle ? Je ne mets pas en doute les compétences des autorités concernées mais il faut savoir s’il y a eu une évaluation des dégâts au navire à ce stade et une évaluation des éventuels risques.» Autres questions qui le taraudent ? «Qu’est-ce que ce bateau est venu faire si près de notre lagon ? Pourquoi a-t-il dérivé de son trajet pour se rapprocher du littoral?»