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Père Jean-Claude Veder: «À Maurice, toutes proportions gardées, il y a le racisme systémique»

11 juillet 2020, 19:30

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Père Jean-Claude Veder: «À Maurice, toutes proportions gardées, il y a le racisme systémique»

Affirmative Action (AFAC) sort de son mutisme après plusieurs mois en placardant une très belle affiche d’une personne qui a l’air de suffoquer et sur laquelle on remarque la date du 19 juillet avec le titre Mo anvi respire. Pourquoi ce long silence ?

Même si le mouvement AFAC est resté silencieux pendant plusieurs mois, ses membres ont continué à se rencontrer et à réfléchir sur la façon dont il peut continuer à être un chien de garde. Notre dernier évènement était juste avant les élections générales du 7 novembre et nous avions présenté un manifeste aux partis politiques. Nous avions demandé à rencontrer le Premier ministre pour lui soumettre notre manifeste mais il n’a pas encore eu le temps de le faire jusqu’ici, même s’il y a eu des promesses. Nous avons élargi le groupe et un coach nous a conseillé comment mieux définir nos objectifs.

Nous avons commencé par définir nos lieux d’engagement et le premier point a été la question des terres et du logement. C’était bien avant tout le tapage médiatique récent. Il y a eu un groupe, qui s’est constitué autour du père Gérard Mongelard et aujourd’hui, ce comité travaille avec les squatters de Malherbes, de Pointe aux Sables, de Riambel et avec la National Housing Development Company et le ministère du Logement. Il y a un pont de communication et ça continue. Ce comité de logement a participé à la plateforme composée de plusieurs organisations non-gouvernementales et aussi de personnalités comme Jack Bizlall et Cassam Uteem. Nous avons réfléchi et fait un travail de discernement. Nous réfléchissons encore d’ailleurs, même si nous ne sommes pas toujours vocaux. Nous notons que le logement demeure un problème à Maurice. Il faut se rappeler que le mouvement AFAC est né à partir d’une question de logements et des propos racistes tenus alors par le ministre Soodhun.

Durant le confinement, des faits nous ont fait réagir et qui ont débouché sur l’évènement du 19 juillet. Il y a d’abord eu la mutinerie des prisonniers au début du confinement, les policiers en train de passer à tabac des gens à Vallijee, il y a eu la mort de Caël Permes et d’autres cas ne relevant pas tous de torture et d’abus policiers. Ensuite est venue la question des squatters, qui ont été boutés de leurs maisonnettes de fortune à la levée du confinement, puis la question de la Mauritius Broadcasting Corporation à l’effet que l’église et les sucreries doivent donner des terres aux squatters. Finalement, il y a la question des pêcheurs par rapport aux planteurs. Pourquoi, pendant le confinement, les planteurs ont été autorisés à planter et pas les pêcheurs à pêcher ? C’est une situation d’injustice.

Le PM n’a pas encore eu le temps de nous rencontrer.

Nous avons réfléchi à tout cela et la mort de George Flyod aux États-Unis est venue exacerber toutes ces injustices. Cela a révélé au monde entier que le racisme systémique existe, est avéré, installé, ancré et il est devenu normal. En France, SOS Racisme a enquêté et a vu que dans le cadre des recrutements pour un emploi, si quelqu’un a un nom à consonance maghrébine, sa candidature est automatiquement mise de côté et c’est pareil s’il habite tel ou tel quartier.

À Maurice, toutes proportions gardées, il y a aussi la discrimination systémique. Il n’y a qu’à voir comment le découpage électoral a favorisé l’ethnicité. Nous l’avions d’ailleurs montré avant les élections et le racisme systémique est bien installé ici aussi. Le contexte était donc mûr pour que nous agissions.

Agir a pris la forme de Mo anvi respire ?

De nombreuses personnes ont le sentiment d’être étouffées à Maurice. J’écoutais le pasteur, qui prêchait pour les funérailles de George Floyd et qui disaiten anglais l’équivalent créole de «Tir to genou lor mo likou». Aujourd’hui, des tas de choses nous étouffent et nous avons envie de respirer. Mo anvi respire prendra la forme d’un rassemblement de trois heures le dimanche 19 juillet au stade Philippe Rivalland à Beau-Bassin. Ce sera trois heures de réflexion mais pas que ça. Nous n’allons pas être dans la revendication ou être contre l’État. Nous invitons plutôt les personnes et la société en général et pas seulement les créoles, je le précise, à venir réfléchir pour voir comment cette société pourrait déraciner ce racisme systémique qui la pourrit.

Le Parlement européen, le 19 juin 2020, a reconnu l’existence du racisme et de la discrimination et a invité le gouvernement et les États-Unis à prendre des actions décisives pour combattre le racisme et la discrimination. Le Défenseur des droits de la République française, dans un document très récent, a écrit qu’en matière de discriminations envers les personnes d’origines étrangères, il est urgent d’agir pour réduire les inégalités. Il faut mettre en place davantage de lois pour protéger ceux qui subissent la discrimination et le racisme à Maurice aussi.

Ce rassemblement est la suite logique de la comparution d’AFAC devant le comité sur l’élimination de la discrimination raciale des Nations Unies à Genève car malgré toutes nos démarches, rien n’a été apporté comme changement dans le pays. Le 19 juillet, le rassemblement débutera à 13 heures et prendra fin à 16 heures. Ce jour-là, nous avons une demande à faire à l’État car nous présenterons le rapport de la Commission Justice et Vérité, qui avait été commandité par l’ancien Premier ministre Navin Ramgoolam, qui est arrivé ensuite entre les mains de Xavier-Luc Duval, qui était alors Premier ministre adjoint et pourtant les recommandations de cette commission n’ont jamais été appliquées.

Or, c’est un atout pour le gouvernement actuel de mettre ce rapport sur la table car il est toujours d’actualité. Je n’aurais pas voulu qu’il devienne un document que l’on ne trouve que dans les bibliothèques universitaires. Ce rapport traite de l’esclavage et de l’engagisme, deux faits qu’il faut regarder en face. Des recherches scientifiques ont été faites dans ce rapport et s’il est appliqué, ce sera un grand pas pour la société mauricienne.

Ce rassemblement ne comprendra que de la réflexion ?

Non. Des personnes qui ont vécu la discrimination viendront témoigner. Il y aura aussi de la musique avec la présence d’artistes engagés comme The Prophecy, Bruno Raya, Maista, Jean-Jacques Arjoon, le Créole Jazz Band, le sportif Stéphane Buckland. Il y aura un fil conducteur mais il sera entrecoupé de chants, de témoignages et des messages seront transmis sur un grand écran.

Combien de personnes attendez-vous au stade Philippe Rivalland ?

Le stade peut contenir 3 000 personnes. Ce premier rassemblement sera suivi d’une série d’autres à travers l’île et tous auront le même objectif : lutter contre la discrimination systémique.

AFAC devient un groupe de lobbying ?

Il faut que l’on se considère comme un groupe de lobbying et pas comme un groupe socioculturel. On peut aussi dire que nous sommes un groupe de pression mais nou pa pe rod nou bout. Nou vinn rod nou part. J’ai l’habitude de dire que quand il y a un gâteau à partager au sein d’une famille, le père fait le partage et il s’arrange même pour que le plus petit, voire le plus faible, ait une part légèrement plus grosse. Nous ne demandons pas la plus grosse part mais la juste part, qui doit revenir à chacun. Je voudrais aussi qu’il n’y ait plus tous ces préjugés par rapport à la communauté créole. Il y a des créoles qui ont réussi et qui réussissent encore aujourd’hui et il faut faire prendre conscience que pour que le créole soit éduqué, il faut qu’il y ait un chemin tracé pour lui. Il faut lui donner non seulement une gaulette mais aussi tout ce dont il a besoin pour qu’il arrive à pêcher.