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A la prison de Fresnes, le graff s’immisce dans le destin des détenus

10 juillet 2020, 15:27

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A la prison de Fresnes, le graff s’immisce dans le destin des détenus

 

Depuis quelques mois, la prison de Fresnes se peuple de fantômes colorés. Résistants, écrivains provocateurs, industriels déchus... Sous les coups de bombes du graffeur C215, d’anciens pensionnaires réapparaissent sur les murs centenaires et questionnent les détenus actuels sur leur destinée.

Sous les coursives sévères de cet établissement pénitentiaire construit fin XIXe siècle, Christian Guémy, alias «C215», semble aussi à l’aise qu’à l’air libre. D’une main, il plaque au mur ses pochoirs minutieusement conçus, qu’il asperge de l’autre avec ses aérosols bariolés.

 

Rose, orange, turquoise se superposent aux ombres noires, pendant que l’artiste-peintre fredonne la chanson «Déshabillez-moi». Soudain, le visage de son interprète, Juliette Greco, surgit entre deux cellules de la maison d’arrêt des femmes.

«C’est trop beau», souffle Marine*, qui observe ce ballet inhabituel. Détenue depuis neuf mois, cette Toulousaine ignorait que Greco, dont la mère était résistante, a elle aussi été incarcérée à Fresnes.

«Ça m’intrigue», poursuit la trentenaire, touchée par ce portrait bigarré.

«Avec ce tag, ça va être beaucoup plus chaleureux», se réjouit celle qui avoue s’être sentie «complètement perdue», lorsqu’elle a débarqué dans cette prison régulièrement dénoncée pour son insalubrité.

Ces moments d’émotion, C215 les savoure, lui qui espère «humaniser la prison» et «apporter un peu d’évasion», aux détenus comme aux surveillants.

Grilles, cellules, barbelés: «l’univers carcéral est mécanique, cadencé. J’essaie d’apporter une arythmie, de casser ce système aseptisé», explique à l’AFP ce grand nom du street-art, qui a déjà peint dans plus d’une quinzaine de prisons.

Il graffe bénévolement, comme certains «détenus ont besoin de gratter les murs, d’inscrire leurs noms sur les chiottes, pour renverser le rapport de domination du contenant sur l’humain.»

A Fresnes, l’une des plus anciennes prisons de France, au sud de Paris, le pochoiriste a trouvé un canevas exceptionnel. En convoquant plus d’un siècle d’histoire, il a disséminé les visages de détenus emblématiques, choisis pour inciter à une «réflexion sur la prise de risque et la détermination de soi».

Parmi la trentaine de portraits, l’artiste de 46 ans rend notamment hommage à des figures de la Résistance: le communiste arménien Missak Manouchian, le journaliste Pierre Brossolette ou le poète Robert Desnos, tous emprisonnés à Fresnes pendant l’Occupation. «Ca peut réconforter de se dire: tiens, il y a un résistant qui a galéré ici comme moi.»

- «Rebondir» -

A l’inverse, Pierre Laval, pilier du régime de Vichy incarcéré et fusillé à Fresnes, et l’industriel Louis Renault, accusé de collaboration économique avec les Allemands, rappellent que «même un grand peut tomber».

Il y a aussi ceux qui ont sublimé leur passage à Fresnes. L’acteur Alain Delon, jamais emprisonné mais qui jouait enfant dans la cour, car le mari de sa nourrice était maton. L’écrivain Jean Genet, incarcéré pour de menus larcins, dont le séjour derrière les barreaux a alimenté l’œuvre provocatrice. Ou l’ex-président algérien Mohamed Boudiaf, captif en France lorsqu’il faisait partie des chefs du FLN, avant l’indépendance de son pays.

Ces œuvres «permettent aux détenus d’amener un peu de relativité à leur détention, en visualisant d’autres personnes qui ont été à leur place», espère le directeur de la prison, Jimmy Deliste, qui voit «beaucoup de délinquants par habitude et peu de criminels» parmi les presque 1.700 détenus de son établissement.

«J’ai pas envie que la prison soit un lieu d’abandon, ouvrir des pistes de réflexion culturelles ici, c’est essentiel», reprend C215.

Un discours que l’artiste, qui a aussi peint des figures historiques de la défense des droits comme Nelson Mandela ou Robert Badinter, porte lors de rencontres avec les détenus.

«Ici, ça peut être un endroit pour rebondir, on peut avoir du temps pour réfléchir au sens de sa vie», lance-t-il à plusieurs d’entre eux. «Ces portraits sont là pour que vous ne vous sentiez pas seuls, si vous avez envie de prendre le chemin de la réinsertion.»

Pour Habib, le message résonne. «Quand on se retrouve ici, c’est qu’on n’a pas forcément fait les bons choix», confie ce détenu. A 31 ans, il a repris ses études en prison et espère ouvrir un salon de coiffure à sa sortie, mais craint de se voir infliger une forte amende lors de son futur procès. «Si j’ai trop de dettes, est-ce que je vais replonger ?»

*Les prénoms des détenus ont été modifiés