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St-Louis Gate-CEB: la surdépendance aux énergies fossiles subsiste

23 juin 2020, 22:25

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St-Louis Gate-CEB: la surdépendance aux énergies fossiles subsiste

«Si Maurice le voulait, il attendrait les 50 à 60 % de production énergétique renouvelable d’ici quatre ans. On a d’ailleurs toutes les technologies nécessaires. C’est incompréhensible que l’île ne s’y mette pas, surtout dans le contexte où les devises nous manquent et que tous les pays du monde migrent pour ces ressources naturelles», déclare un expert en énergie. D’autant que ces productions créeraient des emplois locaux et généreraient des économies sur l’importation.

Or, le pays semble bien accroché à ses vieux fossiles. Charbon, huile lourde, entre autres matières, sont toujours prioritaires en production énergétique du Central Electricity Board (CEB). Pourquoi ? «Avant, on accusait les énergies renouvelables d’être chères à produire. Désormais, celles-ci coûtent deux fois moins que les fossiles», observe-t-il.

Dans cette lignée, Sunil Dowarkasing, ancien Global Strategist de Green Peace, évoque diverses raisons à la surdépendance aux énergies fossiles. «Le CEB balance toujours l’argument de la sécurité entourant la fourniture énergétique. Pour eux, le charbon incarne cette sécurité, contrairement à l’énergie renouvelable qui est interminable. Mais ceci n’est plus un problème», indique-t-il.

Citant le cas de l’Allemagne, une des nations les plus industrialisées au monde, il soutient que ce pays est passé à 100 % de production aux énergies renouvelables. Aussi, renchérit-il, le fournisseur national ne peut se cacher derrière le prétexte de sécurité énergétique. À ce propos, en 2017, Joël de Rosnay, ancien conseiller du Premier ministre et chargé du projet Maurice Île Durable (MID), critiquait déjà la faible ambition du CEB d’atteindre 35 % en production d’énergie renouvelable en 2030.

Alors que nous sommes en 2020, les compteurs d’énergie verte n’ont pas pour autant accélérer. «Cela ne devrait pas être 35 %, mais 50 % ou 60 %. Pourquoi Maurice, pays qui est comme une grande ville avec son million et demi d’habitants, n’aurait-il pas la même ambition ?» s’interrogeait Joël de Rosnay, qui s’active actuellement à la sortie de son nouveau livre «Petit Eloge du surf» aux Éditions François Bourin.

Pour lui, l’absence de vision politique, la difficulté de la prise de décisions, la pression des lobbies et le poids des habitudes ont joué au détriment du MID. Pourtant bien parti pour insuffler une volonté d’insuffler une nouvelle vague énergétique à la nation, ce concept s’est essoufflé quelques années plus tard, n’étant «plus une priorité». «Le gouvernement n’a pas su impliquer, mobiliser, responsabiliser les Mauriciens sur leur avenir énergétique. Un leader écologique aurait fait du bien. Il n’a pas émergé», reprend-il.

D’où le fait que les énergies fossiles perdurent toujours. Sunil Dowarkasing distingue notamment une «cartellisation» pour l’importation du charbon. «Plus on en importe, plus l’organisme empoche des sous. Cela a aussi fait l’objet de questions parlementaires. Le CEB est partie prenante de cette pratique qui protège parallèlement un business à côté», avance-t-il. Troisièmement, le spécialiste souligne une forte résistance des ingénieurs et techniciens aux changements. Puisqu’ils évoluent dans un système fonctionnel, pourquoi en changer ? De plus, notre interlocuteur s’interroge sur une possible collusion des Independent Power Producers (IPP) et le CEB par rapport à la production électrique via le charbon.

Pour Khalil Elahee, professeur associé à la faculté d’ingénierie de l’université de Maurice, la prise de décision tout comme la mise en œuvre des projets sont dominées par ceux qui «n’ont aucun intérêt à promouvoir les énergies propres et l’efficacité énergétique. Il en est de même pour les intermédiaires, technocrates ou autres courtiers qui n’ont rien à gagner avec les renouvelables ou les économies d’énergies», déclare-t-il. Allant plus loin, le professeur associé affirme que les «multinationales des énergies fossiles et les géants de l’automobile ont une assise de plus d’un siècle sur notre société et notre économie». Khalil Elahee distingue paradoxalement une main invisible agissant contre la gestion de l’énergie et gonflant la demande artificiellement avec des projections exagérées.

D’après le député Patrick Assirvaden, également ancien président du CEB, l’organisme œuvre principalement à éclairer le pays. «Il n’a pas pour vocation de produire de l’énergie renouvelable. Ce n’est pas sa philosophie. Par contre, c’était celle du projet MID, qui fonctionnait quand même très bien. D’où mes interrogations dans mes interventions parlementaires sur la transition énergétique. Où est-elle donc ? Cela ne viendra donc jamais ?» se demande-t-il.

«Des actions immédiates»

Cela dit, il faut aussi considérer les réalités. Pour le député rouge, le CEB a notamment un problème au niveau de la demande. Par exemple, entre 9 h 30 et 17 heures, l’électricité est en «base load», c’est-à-dire en continu. Au-delà de 17 h 30, on est en «peak demand». «Ceci implique qu’il faut des machines pour fournir de l’électricité en 30 minutes. Au cas contraire, si on devait utiliser un climatiseur à 19 heures et que cela prenait deux heures pour générer la puissance nécessaire à sa mise en opération avec un autre système de production, le client devrait l’allumer depuis 17 heures», confie-t-il. Une situation impensable, surtout aux heures de pointe. Pour Patrick Assirvaden, le CEB fait face à cette contrainte. «Les IPP produisent bien l’électricité en continu, mais il nous faut aussi des machines qui le font rapidement car la demande augmente en soirée», précise-t-il.

Fort de ces restrictions, sacrifie-t-on finalement les ressources naturelles et les enjeux du changement climatique sur l’autel des millions et milliards ramenés par les énergies fossiles ? «L’urgence climatique demande la prise en compte du long terme mais exige des actions immédiates. Le système dominant favorise une compétition sauvage et des retours maximaux d’investissement sur le court terme à travers des mécanismes souvent douteux», déclare Khalil Elahee. Pour lui, ce modèle ne promeut pas une juste transition énergétique. Il estime que ce mode de développement est dévastateur pour les hommes, ce qu’ils érigent ainsi que pour l’environnement. «L’énergie propre et la sobriété de la demande ont peu de chance dans un tel enfer consumériste et ultra-matérialiste où do- mine l’argent du plus offrant (…)», critique-t-il.

Une incompréhension additionnelle qui accable l’expert en énergie. D’après lui, il est urgent que Maurice passe à l’étape supérieure. «On dirait que le CEB et juge et arbitre. Pourtant, il faut une vraie volonté politique, voire faire entrer des petits planteurs dans les sociétés pour intégrer ces énergies renouvelables», ajoute-t-il. Quant à Sunil Dowarkasing, il est d’avis que brûler du charbon n’a pas de conséquences graves sur le réchauffement planétaire. «Nous n’émettons que 0,01 % de dioxyde de carbone, ce qui est très minime.» Néanmoins, indique-t-il, «si on cesse cette pratique, les habitants respireront mieux et amélioreront leur qualité de vie». En revanche, la transition vers «la low carbon energy» est remise en question par ces grands projets d’huile lourde ou de charbon choisis par le CEB.

D’après lui, un investissement de Rs 4 milliards dans le renouvelable pourrait toucher pratique- ment 25-30 % de la population. Comment atteindre une production énergétique plus efficiente ? Pour ce spécialiste, une décentralisation du réseau s’impose. «La solution est simple. On doit concevoir quatre à cinq petits réseaux connectés entre eux. Imaginons qu’à Plaines-Wilhems, on ne peut produire de l’énergie à cause de la pluie et qu’on a un excès de production dans le nord, il suffit de le basculer vers le centre», déclare-t-il. Il déplore cette absence de vision. «Le CEB est-il disposé à démocratiser l’accès à la production de l’énergie ? Si on permet au solaire d’entrer, aux gens d’en produire, on y arrivera. Hélas, c’est ce que l’opérateur national ne semble pas vouloir», conclut-il.

Documentary evidence-BWSC: «Our latest project in MauritiuS (St Louis II) was among other projects subject of the investigation

En attendant que les autorités mauriciennes parviennent à mettre la main sur le rapport d’investigation de la BAD sur les travaux à la centrale de St-Louis, une lettre du CEO de Burmeister & Wain Scandinavian Contractor (BWSC), qui circulent depuis quelques jours, vient alimenter la polémique. Dans le premier paragraphe, le CEO Nikolaj Holmer Nissen écrit ceci à S. Mukoon, ex-General Manager du CEB : «I can confirm to you that our latest project in Mauritius (i.e. St Louis II) was among other projects subject of the investigation. However, we intentionally did not specify this in the press release to protect the reputation of clients such as CEB.» Nous avons essayé en vain de solliciter une réaction du CEB par rapport à cette lettre qui est désormais du domaine public. Réagissant sur cette lettre, le PTr, par l’intermédiaire de Patrick Assirvaden, fait un appel au Premier ministre pour «sanctionner Ivan Collendavelloo afin de sauvegarder la réputation du pays».