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Aurèle André: «La Rod Trail Association est déterminée à organiser la 11e édition en novembre 2020»

3 juin 2020, 11:01

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Aurèle André: «La Rod Trail Association est déterminée à organiser la 11e édition en novembre 2020»

Rodrigues n’a pas vécu uniquement le confinement. L’île redécouvre l’isolement auquel avait mis fin l’avènement de l’aviation commerciale en 1972. Heureusement, la Covid-19 n’a pas atteint ses rives et malgré l’arrêt de la vie économique, le peuple rodriguais, qui a toujours vécu proche de la terre, s’investit pleinement dans cette valeur cardinale. Principale victime cette pandémie, le secteur touristique attend patiemment la reprise avec l’espoir que le 11e Trail de Rodrigues aura bien lieu le 8 novembre prochain.

Le vendredi 20 mars, le conseil exécutif de Rodrigues prenait la décision de placer en quarantaine à partir du samedi 21 mars à 6 heures tous les passagers débarquant dans l’île par avion. Idem pour ceux ayant opté pour un déplacement en bateau. Toutes les liaisons aériennes étaient aussi suspendues entre Maurice et Rodrigues. Comment est-ce que l’île Rodrigues a vécu la période de confinement ?
Très sage décision de la part du Conseil exécutif de Rodrigues de mettre en place les mesures et procédures nécessaires pour restreindre la propagation de la pandémie de Covid-19. Certes, il y a eu des moments de panique et de confusion mais tout s’est relativement bien passé dans les centres de quarantaine et de confinement. Tout le monde s’accorde aujourd’hui pour dire que le peuple rodriguais a été exemplaire dans sa façon de suivre les conseils sanitaires. L’île Rodrigues a vraiment montré sa capacité à surmonter les épreuves et sa résilience devant le choc sans précédent qu’est le coronavirus.

Heureusement pour l’île Rodrigues, aucun cas de Covid-19 n’a été enregistré. La peur s’était-elle installée au sein de la population malgré tout ?
Ce fut une chance inouïe ! Cependant, l’anxiété voire la peur au sein de la population était plus que palpable. Tout le monde était sur le qui-vive. Les réseaux sociaux explosaient et certaines «fake news» circulaient sur des cas suspects mais fort heureusement, le virus, l’ennemi invisible, fut gardé à distance grâce à la solidarité des Rodriguais, une valeur fondamentale qui leur est chère.

Depuis que le couvre-feu sanitaire a été levé le 15 avril, comment se déroule le quotidien des Rodriguais ?
La levée du couvre-feu sanitaire fut un grand soulagement malgré le fait que le confinement était toujours à l’ordre du jour. La vie économique reprenait lentement, soulevant de nombreuses questions et appréhensions quant au retour à la normalité. Comme si l’île se réveillait d’un sommeil profond et qu’il fallait tout recommencer de zéro. Le peuple rodriguais réalisa donc que rien ne serait comme avant. Il faut bien noter que le confinement a permis aux Rodriguais de réfléchir sur l’après Covid-19. La ligne de communication avec les opérateurs économiques est restée ouverte et les échanges ont eu lieu en permanence.

La date du 20 avril 2020 sera considérée comme un moment historique car les autorités régionales ont rencontré la population rodriguaise pour la consultation budgétaire 2020-2021. Les échanges ont été passionnants voire houleux mais ont eu lieu dans un esprit de fair-play. Pour en revenir à la question du déroulement du quotidien, les Rodriguais ont apprécié et réalisé que leur environnement naturel est capital pour la relance de l’économie de l’île. Les boutiques de semences et d’outils de base pour l’agriculture ont été envahies voire «dévalisées» tellement l’envie d’un retour à la terre mère nourricière était forte. L’autosuffisance alimentaire n’était plus un slogan mais une pratique.

Cette citation résume le changement de paradigme chez les Rodriguais : «Mother nature has sent us to our rooms. Many warnings she gave us but in the end she took back control. She has sent us to our rooms and when she is finished clearing up our mess, she will let us out to play again. How will we use this time?»

«Le peuple rodriguais a été exemplaire dans sa façon de suivre les conseils sanitaires.»

Seul le bateau approvisionnant Rodrigues fait la liaison désormais entre l’île et Maurice. Rodrigues retrouve une solitude et un isolement qui la font remonter à plusieurs années en arrière…
C’est du jamais vu ! La résilience des Rodriguais s’est forgée dans la douleur des épreuves, la famine au début du 20e siècle sous l’ère Philibert Marragon, des catastrophes naturelles avec des cyclones répétitifs des années 1960 et la grande sècheresse des années 1970. Cependant, même dans ces périodes de crise, l’île était reliée physiquement avec la métropole, l’île Maurice. Depuis l’avènement de l’aviation commerciale reliant Rodrigues et Maurice en 1972, c’est la première fois que l’isolement est aussi long et pour corser l’addition, à ce jour l’incertitude règne toujours quant à une reprise. Comme si notre isolement, qui est une force, est devenu aussi une grande faiblesse. Si la social distancing entre les individus est devenue la norme imposée par la Covid-19, dans la République de Maurice, il y a social distancing entre les îles. Psychologiquement et émotionnellement, c’est extrêmement dur. L’Histoire nous dira quel est l’impact futur de cet état de choses. Les difficultés qui frappent l’aviation mondiale et surtout notre compagnie nationale n’arrangent pas du tout la situation. Heureusement que la liaison maritime a été maintenue avec des précautions strictes afin de restreindre le coronavirus.

La principale victime collatérale de cette tragédie qui frappe l’humanité est le secteur du tourisme, pilier de l’économie rodriguaise. Pouvez-vous nous faire un état des lieux ?
Les frontières étant fermées depuis plus d’un mois et demi et l’heure de la réouverture n’étant pas pour demain, le secteur touristique, qui est le principal marché de l’île - plus de 60% - est au fond du gouffre. Ce qui entraîne un ralentissement sans précédent de la vie économique de Rodrigues. Pour vous donner une idée de la morosité de l’économie de Rodrigues en ce moment, en avril 2019, le nombre de visiteurs était de 7 164 dont 5 564 Mauriciens (77,7%). En avril 2020, le taux de visiteurs est nul. Les mois à venir ne seront pas différents surtout que Maurice a étendu sa période de confinement jusqu’au 1er juin. Heureusement qu’il y a des initiatives qui sont en cours comme remède palliatif : instaurer une culture du tourisme parmi la population locale.

Les hôtels, auberges, tables d’hôtes, la Réserve François-Leguat sont à l’arrêt. Les employés sont-ils au chômage technique ?
Au niveau du secteur touristique, tout est à l’arrêt. Les revenus sont nuls mais les charges courent toujours. Le chômage technique est une réalité mais personne ne sait pour combien de temps encore. Tout est mis en œuvre pour prévenir les licenciements. Ensemble, les autorités locales, la société civile et le secteur privé se concertent pour éviter les fléaux liés aux licenciements massifs. La présentation du budget de l’Assemblée régionale de Rodrigues le 30 avril dernier nous donne une lueur d’espoir.

«Les boutiques de semences et d’outils de base pour l’agriculture ont été envahies voire «dévalisées» tellement l’envie d’un retour à la terre mère nourricière était forte.»

Quelles sont les mesures qui sont prises pour venir en aide à ce secteur et à ceux que l’isolation de l’île Rodrigues affecte plus particulièrement ?
D’abord, la première mesure, c’est de capitaliser sur la solidarité qui est une valeur sûre chez les Rodriguais. D’ailleurs, le nouveau budget 2020-2021 annonce cet esprit sous le thème : «L’Urgence de Reconstruire Ensemble Autrement». L’après Covid-19 ne pourra pas être «business as usual» ! Tout le monde l’a compris et c’est bien. Le changement de paradigme doit essentiellement traverser tous les secteurs de la vie de l’île et pourquoi pas commencer par un tour de force dans la façon dont le pouvoir est exercé.

L’ATR – l’Association du Tourisme Réuni de Rodrigues – consciente que les choses ne pourront plus être faites comme avant, l’a déjà proposé et elle est confiante que les choses vont changer. Charité bien ordonnée commence par soi. Chaque citoyen, chaque secteur et Rodrigues dans son ensemble doivent assumer cette noble responsabilité pour entrer de plain-pied dans un projet de développement durable et intégré. Les mesures pour venir en aide au secteur touristique sont légion. Déjà l’Assemblée régionale de Rodrigues a consenti d’assurer 50% des salaires pour la période du 16 au 30 avril 2020. Il y aura des emplois alternatifs visant à la protection de l’environnement naturel de l’île qui seront assurés par le secteur touristique. Il y aura aussi des exemptions sur les frais des licences et baux commerciaux. Cependant, nous attendons la mise sur pied du Tourism Joint Working Committee pour prendre connaissance des détails de l’implémentation de ces mesures.

C’est une situation qui va durer tant que ne seront pas rétablies les liaisons aériennes et que le tourisme ne sera pas redevenu une activité normale. Rodrigues pourra-t-elle tenir le coup financièrement ?
Il n’y a aucun doute que les liaisons aériennes seront capitales dans la reprise des activités du secteur touristique à Rodrigues et le plus vite cela se fera, mieux ce sera. La Covid-19 est tellement imprévisible que personne n’a de baguette magique pour affirmer quand cette reprise sera une réalité. Donc, faire provision pour des soutiens financiers est une nécessité. La question est : est-ce que Rodrigues pourra tenir ? Tout dépendra du temps que cela prendra pour acter la relance. Mgr Harel, l’Evêque de Rodrigues, a fait une belle réflexion dans ce sens quand il parle de la subsidiarité. Personne n’a le monopole du savoir, ni des solutions. Il faut tout rassembler pour faire un et la Covid-19 est venue nous rafraîchir la mémoire à ce niveau : l’avancement des sociétés ne peut se faire qu’ensemble dans un esprit de solidarité et de respect des spécificités des uns et des autres. Si la détermination est de mise, ce qui entraîne une manière éthique de faire les choses autrement et différemment, les moyens financiers viendront.

Les Rodriguais ont toujours été proches de la terre, ils pratiquent toujours l’élevage et la pêche. Sont-ils mieux armés malgré tout pour faire face aux difficultés inhérentes à cette période de restriction qu’impose la crise sanitaire liée à la Covid-19 ?
Le monde a compris qu’il faut être proche de la terre et les Rodriguais ont retrouvé ce qui fait leur identité et leur force. La Covid-19 n’a pas été qu’un malheur mais une opportunité pour s’arrêter et réfléchir dans le confinement. Le sentiment est général, le Rodriguais a repris son courage et sa destinée en main et saura remonter la pente malgré les difficultés. Les Rodriguais sont des coriaces, raisonnables et raisonnés. Donc leurs armes, ce sont eux-mêmes. Bien sûr, il faut mettre à leur disposition plus de moyens techniques et financiers.

La question qui taraude le monde sportif : la onzième édition du Trail de Rodrigues aura-t-elle lieu cette année ? Les moyens financiers le permettront-ils si jamais les liaisons aériennes ont été rétablies entre-temps ?
Le Trail de Rodrigues est aujourd’hui un événement phare dans le paysage sportif de Rodrigues. Jusqu’à preuve du contraire, la Rod Trail Association est déterminée à organiser la 11e édition en novembre 2020. Nous sommes confiants que les moyens financiers seront certainement réduits au strict minimum car nos partenaires font face à des crises économiques. Comme dit l’adage, l’argent ne fait pas le bonheur, le Trail de Rodrigues est, avant tout, un confluent d’hommes et de femmes qui, dans les sentiers, souhaitent vivre pleinement la vie, la camaraderie et l’amour de la nature. Il y aura probablement moins de participants étrangers à cause de l’impact de la Covid-19 mais le retentissement du Trail de Rodrigues continuera à résonner au-delà de nos frontières immédiates.

Malgré l’absence de compétitions sportives, les sportifs rodriguais, tous sports confondus, parviennent-ils à se maintenir en forme ?
Victimes collatérales de la situation mondiale, les sportifs rodriguais ressentiront les effets mais ils sauront rebondir au moment voulu. Notre chance est que le virus n’a pas atteint l’île, donc se maintenir en forme ne pose pas de problème. D’ailleurs depuis le 1er mai, les sportifs rodriguais ont repris le chemin de l’entraînement tout en observant la distanciation sociale. Ils seront donc en bonne forme quand les compétitions régionales et internationales reprendront le rythme normal.

Les trailers, quant à eux, ont-ils le droit d’arpenter les sentiers ?
Oui, certainement. D’ailleurs depuis le 15 avril, les trailers, tout en respectant les consignes sanitaires, arpentent les sentiers et tout est mis en œuvre pour reprendre les activités prévues dans le calendrier 2020 au plus vite.

Quand on sait le nombre d’années de travail nécessaire pour bâtir une manifestation telle que le Trail de Rodrigues, pensez-vous qu’il retrouvera son allant rapidement si jamais cette manifestation devait être mise sur pause cette année ?
Au cours de ces dix dernières années, le Trail de Rodrigues s’est forgé une résilience solide. Les difficultés qu’il a rencontrées ont été surmontées. Donc, il n’y a aucune raison de penser que cette année, le Trail de Rodrigues fera une pause. Quand un événement est porté par la population, il y aura toujours un moyen de le réaliser.

Quand est-ce qu’une décision finale sera prise quant à la tenue ou non du Trail de Rodrigues ?
Toute la communauté des trailers et la population en général suivent la situation de près afin de saisir toutes les opportunités qui permettront d’organiser la 11e édition du Trail de Rodrigues dans les meilleures conditions possibles. La Rod Trail Association continue d’espérer qu’une maîtrise du coronavirus sera un fait accompli d’ici octobre prochain. L’optimisme est grand.

Enfin, Rodrigues est probablement l’une des très rares places dans le monde où la Covid-19 n’a pas fait de victimes. C’est une force extraordinaire pour l’île et les Rodriguais sauront tirer avantage de cette aubaine.