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Frédéric Tyack anticipe un manque à gagner de Rs 5 milliards sur deux ans pour les malls d’Ascencia

8 mai 2020, 10:45

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Frédéric Tyack anticipe un manque à gagner de Rs 5 milliards sur deux ans pour les malls d’Ascencia

Le Chief Executive Officer (CEO) d’Ascencia et d’Enatt Ltd, qui gère les centres commerciaux tels que Bagatelle Mall, Bo’Valon, Riche-Terre et Phoenix Mall, dresse un constat de la situation liée au Covid-19, des relations avec les locataires eux aussi en grande difficulté. Frédéric Tyack fait une liste des mesures prises pour faire face à la crise.

Les centres commerciaux et autres commerces ne pourront pas ouvrir leurs portes avant le 1er juin. Après plusieurs semaines sans aucun activité économique, les obligations financières, elles, restent. Quel est votre constat de la situation ? 
Cette crise affecte l’ensemble du secteur retail, qui représente 11,6 % du PIB et qui emploie 96 000 salariés, soit près de 16 % de la population active. Les propriétaires, comme les locataires, n’y échappent pas, avec une chute des revenus encaissés de près de 100 % (sauf pour les commerces essentiels) depuis début avril. Il convient donc d’unir nos efforts pour traverser cette épreuve qui touche tous les acteurs du secteur, avec un «burden sharing» équitable entre chacun d’entre nous. 

Comment éviter la fermeture des magasins opérant dans les malls ? 
Tout d’abord, il est important de faire ressortir que les propriétaires ne sont qu’un des acteurs du secteur. Les fournisseurs étrangers sont ceux qui représentent la plus grosse part du chiffre d’affaires de nos locataires, avec un coût qui représente en moyenne 65 % de leurs revenus. Le loyer, quant à lui, représente en moyenne 8 % du chiffre d’affaires des locataires. Les autres acteurs importants sont les employés, soit 10 % du chiffre d’affaires des locataires, les institutions financières qui représentent environ 4 % de leur chiffre d’affaires et l’électricité, qui compte pour 3 %.
Cela étant dit, et conscient des difficultés auxquelles font face nos locataires depuis le début du confinement, nous avons proposé à tous ceux qui sont sévèrement touchés par la crise, l’annulation des «operating costs» et du «marketing fee» pour avril et mai. Cela représente plus de 15 % des loyers en moyenne. Cette mesure est accompagnée d’un moratoire sur les locations de ces deux mois. 

Nous avons donc mis en place un plan qui a  pour effet de soulager de façon substantielle la trésorerie de nos locataires pendant la période de confinement et de nous permettre de travailler avec eux de manière sereine, afin de trouver une solution sur le long terme pour le secteur. 

Dans cette optique, nous avons rencontré le collectif des locataires de nos centres en plusieurs occasions. Les discussions ont été extrêmement constructives. Nous sommes en train de préparer un document conjoint qui sera soumis au gouvernement dans le courant de cette semaine. Ce plan proposera des mesures exhaustives qui aideront le secteur du retail sur les 24 prochains mois. 

Le concept de location basé sur les chiffres d'affaires est préconisé à l’étranger. Pourquoi pas ici, en ces temps difficiles ?
La raison est relativement simple. D’une part, les propriétaires ont des engagements vis-à-vis de leurs bailleurs de fonds, qui sont pour l’essentiel fixes, et d’autre part, le propriétaire n’a ni la compétence, ni la possibilité d’influer sur le chiffre d’affaires du locataire. Il se retrouverait, dans ce cas, dans l’impossibilité de prendre ou de respecter ses engagements vis-à-vis de ses bailleurs de fonds, n’étant pas en mesure d’influer sur les revenus que le locataire percevrait. 

Ceci ne veut pas dire que le propriétaire n’est pas prêt à aider le locataire. Le plan d’accompagnement que nous avons travaillé avec les locataires va précisément dans ce sens. C’est la forme de cette aide qui est différente, ce afin d’établir un «burden sharing» équitable, qui prend en compte le rôle et les actions respectives des différents acteurs dans le secteur

Face à cette crise, Ascencia compte-t-elle continuer ses investissements ?
Nous avions déjà débuté l’agrandissement de Bagatelle Mall avant la crise. On continuera comme prévu. Pour ce qui est des nouveaux projets, le marché me semblait déjà saturé avant la crise. Je ne vois pas de nouveaux projets se matérialiser sur le moyen terme.

Lors de l’année financière 2018-19, la société a généré des revenus de Rs 1,4 milliard. Vous prévoyez une baisse de combien pour 2019-20 ?
Ascencia étant une entreprise cotée en Bourse, nous ne sommes pas en mesure de vous communiquer cette information. Ceci étant dit, nous nous attendons à une baisse sensible sur les secteurs non essentiels. 

Quels ont été les défis pour vos équipes ces dernières semaines ? 
Tous nos repères ont été chamboulés. Nous avons eu à nous adapter au travail à distance, tout en étant à la maison. Tout ceci demande des ajustements majeurs, y compris au sein de nos foyers. Je ne vous dirai pas que ça été simple, mais l’énergie et l’engagement de nos équipes pendant le confinement ont été exceptionnels. Un petit coup de chapeau à nos conjoints aussi pour qui ça n’a certainement pas dû être simple.

Quelles sont les mesures pour redresser la barre à la réouverture ? 
Tous les acteurs du secteur sont unanimes à dire que l’enjeu principal sera la vitesse à laquelle la consommation redémarrera à la réouverture. Ceci sera bien évidemment lié à la reprise de l’économie dans sa globalité et la confiance retrouvée des consommateurs et des entreprises. Pour notre part, de concert avec les locataires et les autres propriétaires de centres commerciaux, nous nous préparons depuis fin mars à la reprise. 

Mis à part le plan d’accompagnement, nous travaillons sur des initiatives importantes, dont le #safeshopping. Cela se déclinera comme suit : désinfection du centre dans son intégralité tous les matins, contrôle des visiteurs, fournisseurs et employés, prise de température et port du masque obligatoire à l’entrée du centre, des mesures barrières, dont la distanciation sociale, le lavage des mains et autres recommandations de l’OMS dans les centres. 

Il y aura un protocole à mettre en place par les locataires et le propriétaire. Toutes ces mesures seront soumises aux autorités compétentes pour validation avant d’ête mises en oeuvre. L’organisation d’événements additionnels dans nos centres à la réouverture sera aussi contrôlée pour maintenir un niveau d’affluence. Ces mesures ont déjà été communiquées depuis le lundi 4 mai par voie de presse et seront financées par les propriétaires. 

On parle de mort lente des centres commerciaux dans de nombreux pays, l'industrie étant en déclin. L’e-commerce est-il un adversaire à considérer ?
Les centres commerciaux, comme d’autres acteurs, doivent s’adapter continuellement dans un monde en constante évolution. Avant la pandémie, nous avions le «online shopping» qui était déjà un concurrent sérieux. Cela étant dit, même dans les pays où le «online shopping» est beaucoup plus présent qu’à Maurice, les centres commerciaux existent toujours. On voit même des compagnies comme Amazon ouvrir des magasins. L’explication est simple, la vente des produits se fait selon une stratégie omni canal et non pas par le remplacement, pur et simple, d’un canal de distribution par un autre. 

La pandémie est un nouveau changement auquel le secteur doit faire face. Les habitudes de consommation vont, en toute probabilité, évoluer. Le «consommer local» va prendre de l’essor ; l’e-commerce, à Maurice, prendra de l’ampleur. Nous avons réfléchi à ces différents sujets et avons, d'ores et déjà, un plan pour y répondre. Les centres commerciaux ne disparaîtront certainement pas même si leurs offres et leurs fonctions seront appelées à évoluer. 

Sans visibilité sur le futur, avec l’évolution du Covid-19, comment envisagez-vous l’avenir ?
Nous prévoyons une baisse supérieure à 40 % pour nos locataires (excluant les services essentiels) sur l’année calendaire 2020, suivie d’une baisse de 15 % sur l’année d’après. Ce qui représente un manque à gagner qui va être supérieur à Rs 5 milliards sur les 24 prochains mois. Il est essentiel que tous les acteurs du secteur s’unissent pour trouver une réponse appropriée, de façon à faire face à cette crise. Cela passe obligatoirement par un dialogue constructif entre acteurs du secteur et des mesures adaptées. Le travail effectué ces dernières semaines entre propriétaires et locataires, couplé à la gestion de la pandémie par les autorités, sont des signes encourageants. 

Il nous faut maintenant dérouler un plan efficace pour faire de l’île Maurice une «Safe Island». Si nous y arrivons, on pourrait bien être étonné par la vitesse de la reprise. C'est une vraie opportunité. Maurice a su relever de grands défis par le passé, il n’y a aucune raison pour que nous ne puissions mobiliser nos énergies pour sortir grandis de cette crise.

Pensez-vous que les autorités font assez pour une reprise du secteur dans les plus brefs délais ?
Nous attendons avec impatience le Covid-19 Bill qui sera présenté au Parlement dans les prochains jours. Nous espérons que les autorités intégreront les mesures proposées conjointement par les locataires et propriétaires pour accompagner le secteur. Pour ce qui est du déconfinement, je réitère mon souhait de voir tous les acteurs de la société mauricienne unir leurs efforts pour permettre à notre pays de sortir grandi de cette crise, à travers un projet national autour du concept de «Safe Island».