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Dr Suren Naiken: «Pour que l’épidémie s’éteigne, un malade ne doit pas contaminer plus d’une personne en moyenne»

23 avril 2020, 23:55

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Dr Suren Naiken: «Pour que l’épidémie s’éteigne, un malade ne doit pas contaminer plus d’une personne en moyenne»

Notre compatriote le Dr Suren Naiken, 40 ans, chef de service de chirurgie et directeur médical au Pôle Santé Vallée de Joux, en Suisse, et consultant pour les Hôpitaux Universitaires de Genève, a récemment contracté le Covid-19 et en a réchappé. Il en parle et livre aussi des pistes pour contenir l’épidémie.

Comment avez-vous contracté le Covid-19 ? 
C’est connu que le personnel soignant est à risque de contracter le Covid-19. Les premières publications de Wuhan en Chine évoquaient même jusqu’à 63 % du personnel hospitalier infecté. Les données européennes citent, elles, des pourcentages variant entre 10 à 20 %, dépendant des institutions. Je n’ai aucune idée comment j’ai pu contracter le Covid-19 mais je suppose que j’ai dû baisser ma garde et ma vigilance a diminué.

Les premiers symptômes ont commencé à se manifester combien de temps après ? 
C’est difficile à dire car j’ignore comment et quand j’ai contracté le virus. Mais les médecins s’accordent à dire que la période d’incubation - le temps qui s’écoule entre l’infection et l’apparition des symptômes de la maladie – se situe entre un et 14 jours et le plus souvent autour de cinq jours.

Quand avez-vous su que vous étiez infecté ? 
Les premiers symptômes, le premier jour, étaient des céphalées (maux de tête), suivies de diarrhées le deuxième jour et de frissons et de fièvre le troisième jour. J’ai donc effectué une autoévaluation sur le site https://coronavirus.unisante.ch/. J’avais les critères correspondants à l’infection au Covid-19 et mes collègues ont procédé à un frottis naso-pharyngé qui, par la suite, s’est révélé positif. Dès lors, j’étais en auto-isolement à la maison.

Quand votre état a-t-il empiré ? 
Le quatrième jour, j’avais une fièvre persistante, des courbatures, une diminution de l’appétit et des épisodes de diarrhée. Le lendemain, la fièvre s’estompait avec la prise de paracétamol mais mon état général était toujours affaibli. Le sixième jour, j’ai développé une toux sèche avec essoufflement à l’effort et le septième jour, il y avait une détérioration de mon état général. On m’a alors diagnostiqué un sepsis pulmonaire au SARS-CoV-2 et un syndrome de détresse respiratoire aigu (ARDS) avec insuffisance respiratoire hypoxémique aiguë. C’est ce jour-là que j’ai été placé en soins intensifs.

À quoi vous a-t-on traité ? 
De ma propre initiative, j’avais pris du Plaquenil (chloroquine) dès le deuxième jour de l’apparition des symptômes. Ce traitement a été stoppé lors de mon hospitalisation. Devant une suspicion de surinfection bactérienne, une antibiothérapie a été initiée. Mais l’essentiel du traitement a été une oxygénothérapie, soit un traitement d’administration d’oxygène gazeux. Je suis resté en soins intensifs une semaine car mes paramètres biologiques se sont améliorés, de même que mon état clinique. Lorsque je suis sorti des soins intensifs, j’avais une saturation de 92 % avec trois litres d’oxygène. La norme se situe entre 98 % et 100 % de saturation, signifiant que chaque globule rouge contient 98 % à 100 % d’oxygène.

Donc, vous n’avez pas eu besoin d’être intubé ? 
Non. Même si tout pouvait basculer entre le deuxième et le troisième jour en soins intensifs. Je dois dire que j’ai été formidablement pris en charge par mes confrères médecins, mes collègues infirmières et aides-infirmières.

Il est dit que plus de la moitié des personnes intubées meurent. Est-ce vrai ? 
Je dirai faux. En Suisse, il y a plus des gens sauvés que décédés. Il m’est cependant difficile de répondre de façon globale car je n’ai pas connaissance du taux de mortalité des patients du Covid-19 intubées dans d’autres pays.

Conservez-vous des séquelles de l’infection ? 
Je suis toujours essoufflé à l’effort et je suis conscient que c’est le temps qui fera le reste. Les difficultés respiratoires peuvent persister jusqu’à trois à quatre semaines suivant le début des symptômes. La plupart (environ 80 %) des personnes guérissent sans avoir besoin de traitement particulier. Environ une personne sur six ayant contracté la maladie présente des symptômes plus graves, notamment une respiration altérée.

À quoi pense-t-on lorsqu’on est médecin et que l’on se retrouve alité et dans l’unité des soins intensifs ? 
Je pense que pour tout professionnel de santé, c’est difficile de se retrouver dans la position d’un patient. Lorsque le pronostic vital est en jeu, on s’imagine les pires scénarios possibles. Je l’avoue, j’ai eu très peur pour moi mais aussi par rapport à l’avenir de ma famille s’il m’arrivait quelque chose. Par la suite, j’ai ressenti aussi un sentiment d’injustice passager, qui me faisait me demander pourquoi j’avais contracté le Covid-19 ?

Quel est le protocole de traitement utilisé en Suisse ? 
Il n’existe pas de traitement spécifique validé. La prise en charge repose sur les soins symptomatiques et les soins de support (mesures de réanimation), avec administration d’oxygène, le traitement des surinfections bactériennes, des complications parfois graves telles que l’inflammation du muscle cardiaque ou le syndrome de détresse respiratoire aigu, avec prise en charge dans une unité de soins intensifs au besoin. Certains traitements expérimentaux actifs sur les coronavirus pourraient avoir une activité sur le SARS-CoV-2 (Covid-19), mais très peu de données cliniques sont disponibles. 

Plus de 352 essais cliniques randomisés sont en cours dans le monde (www.covid19-trials.org), dont plus de 70 sur des antiviraux (Remdesivir, Lopinavir/ Ritonavir). L’utilisation d’hydroxychloroquine n’étant pas justifiée de manière systématique, vu l’absence d’études cliniques démontrant de manière robuste son efficacité, les médicaments contenant cette substance active sont toutefois utilisés en milieu hospitalier, lorsque l’évaluation médicale de la situation individuelle d’un patient le justifie.

Qui sont ceux qui doivent être dépistés ? 
Il est toujours prioritairement demandé aux médecins de tester les personnes symptomatiques à risque de faire une maladie sévère, les patients dont l’évaluation clinique rend ce diagnostic nécessaire, et le personnel soignant symptomatique exposé à des patients ou des personnes à risque. Il faut cependant prendre en compte le fait qu’une personne symptomatique peut être faussement négative. Les raisons en sont multiples.

Quelle est la fiabilité des tests de dépistage et que recommandez-vous ? 
En laboratoire, le test d’écouvillon appelé PCR a pour but de déceler la présence de matériel génétique du virus dans le frottis. Pour que le diagnostic soit incontestable, le prélèvement doit être irréprochable. Afin d’éviter les faux négatifs, le prélèvement doit être fait à l’aide d’un écouvillon introduit par le nez jusque dans le nasopharynx et que l’on tourne à plusieurs reprises. Si le test se trompe, ce n’est donc pas la faute du test, mais celle de la matière analysée. C’est aussi pour cette raison que l’on recommande le frottis du nasopharynx et non le frottis de gorge. 

Au sein notre établissement, nous avons interdit le frottis de gorge comme moyen de dépistage du Covid-19. L’autre possibilité pour expliquer un «faux négatif», soit un résultat négatif chez un patient qui est pourtant bel et bien infecté serait une charge virale très faible dans son nasopharynx. Selon la littérature, on compte environ 30 % de faux négatifs avec les tests PCR.

Et quid des tests rapides utilisant une goutte de sang et dont le résultat est connu en 20 minutes ? 
Ces tests rapides ont un intérêt clinique pour la santé publique mais de nombreuses questions sont en suspens les concernant : la légitimité de leur utilisation, leur fiabilité, leur interprétation et l’implication des résultats, la protection réelle conférée par les anticorps notamment. Le test rapide indiquera si la personne a contracté le virus ou pas. Par contre, ce test ne peut être utilisé qu'en tenant compte du délai d'apparition des anticorps appelés Immunoglobulines, soit environ 15 jours à partir de l'apparition des premiers symptômes. En Suisse, nous réservons l'utilisation du test à deux configurations : la première, pour confirmer ou infirmer un diagnostic de Covid-19 possible/probable en cas de deux résultats de PCR négatifs ou discordants et la seconde pour détecter et isoler un cas de Covid-19 récent avec symptômes dans les 30 jours précédents un PCR au résultat négatif ou une absence de résultat au PCR. Nous réservons ce test à des indications cliniques strictes ou à des études de recherche avec protocoles et validés par notre comité d'éthique.

Vous qui suivez l’actualité mauricienne, pensez-vous que le gouvernement mauricien ait pris les bonnes mesures ? 
La première phase de l’épidémie n’a pas, selon moi, été trop mal maîtrisée. Le confinement est intervenu assez tôt et a donc permis de ralentir la propagation de l’épidémie, de protéger les personnes à risque accru de complications, c’est-àdire les personnes particulièrement vulnérables et de permettre aux services de santé de pouvoir gérer les cas sévères. Cependant, je lance un appel aux autorités gouvernementales afin qu’elles fassent de la protection de son personnel soignant une priorité car ce sont des frontliners et donc exposés à un risque accru de contamination. Je demande aussi aux Mauriciens de respecter strictement les consignes de confinement, de distanciation physique et d’avoir confiance en notre système de santé publique. Je demande aux politiciens et aux médias de soutenir le personnel soignant mais aussi les stratégies mises en place par le gouvernement car il n’y a pas de bonne décision. Il faut choisir les moins mauvais scénarios pour revenir à une certaine normalité dans un délai acceptable. Nous vivons une situation sanitaire sans précédent !

Avec une certaine stagnation des cas avérés à Maurice, pensez-vous que l’on puisse procéder à la levée du confinement bientôt ? 
Il faut bien garder en tête que si l’on opère un déconfinement prématuré, le risque de retour rapide du lockdown est grand. Pour que l’épidémie s’éteigne, il faut absolument maintenir l’indice de contagion en dessous de 1, c’est-à-dire qu’une personne malade ne contamine pas plus d’une personne en moyenne. Si on procède à des mesures d’assouplissement, il faudra donc proposer le port obligatoire des masques ou une politique de tests massifs ou encore de traçabilité, mais il faut de toute manière trouver des moyens de maintenir l’épidémie à des niveaux contrôlables. 

Il faut continuer à protéger la santé de la population et aussi réduire, à un strict minimum, les répercussions économiques. Cependant, ce serait rêver que de penser parvenir à retrouver rapidement une situation antérieure à l’épidémie et il faut toujours être prêt à faire un pas en retrait.