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Par temps de confinement: ils creusent les fosses pour enterrer les morts malgré les risques

18 avril 2020, 20:11

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Par temps de confinement: ils creusent les fosses pour enterrer les morts malgré les risques

Nuit et jour, ils ont un pied dans la tombe. Munis de pioches et de paniers, ils creusent les fosses pour enterrer les morts durant le confinement. En dépit des risques de contamination au Covid-19.

«Avec ce virus, on risque notre vie. On expose aussi celle de notre famille. Mais on ne peut pas laisser les morts comme ça. Il faut les enterrer. Si on devait attendre le déconfinement, ça ferait bien trop de dépouilles. Lerla, nou pou mor ar travay», confie Gaëtan Ng Fok Sue, 59 ans. Cet habitant de Chebel est fossoyeur au cimetière de St-Jean. Cela fait 24 ans qu’il exerce ce métier.

Ancien employé d’une usine de peinture qui a fermé ses portes après dix ans, Gaëtan Ng Fok Sue a cumulé les petits boulots avant de franchir le seuil du cimetière. Veuf et père de deux fils âgés de 35 et 40 ans, il s’attelle assidûment à son métier malgré les conditions actuelles liées au Covid-19. «Dès 6 heures, j’arrive au cimetière. Avec la maladie et le couvre-feu, on travaille à environ sept personnes. Habituellement, on est 12. On essaie de se protéger au maximum. C’est un dur métier, mais il faut s’adapter…»

Comme lui, sa collègue Francesca Nancy, 31 ans, ne manque pas à l’appel. En dépit du confinement, cette mère de deux garçons et d’une fille monte dans le premier autobus de Beau-Vallon pour venir travailler à St-Jean dès 7 heures. «Elle travaille avec nous depuis plusieurs années. Elle procède aux fouilles, même les plus dures, avec courage. Il y a quelques jours, alors que nous n’avions pas encore reçu de masques, elle n’a pas hésité à venir bosser», confie Gaëtan Ng Fok.

Idem pour Jesika Arlanda, 36 ans. Cette habitante de Rose-Belle est fossoyeuse depuis sept ans. Maman de deux enfants âgés et 16 et sept ans, elle a découvert ce métier grâce à une amie. «Je ne crains pas de travailler avec les morts. Au contraire, là, je suis triste de ne pouvoir me rendre au boulot. Je n’ai pas de transport et je ne peux pas me déplacer. Mon travail me manque. Je reste confinée chez moi. On maintient toutes les précautions comme se laver les mains

Alors que ses homologues masculins s’occupent des roches à briser, Jesika Arlanda, elle, se met au nettoyage et à la fouille. «Pa fasil sa travay-la. Nou bizin manz ar li. C’est surtout la tristesse des familles qui pleurent leurs proches morts qui nous affectent…»

Ce quotidien, Kevin le vit aussi nuit et jour. Âgé de 43 ans, ce père de trois enfants de sept ans, neuf ans et 17 mois est fossoyeur dans les cimetières de la capitale. Il exerce ce métier depuis une vingtaine d’années. «Travay-la li hard. Ces cimetières sont délicats. Dès qu’on creuse, l’eau immerge la tombe. Et plus on continue, plus l’eau s’accumule. Et lorsque le cortège funèbre arrive avec le cercueil, il faut repartir creuser», indique-t-il.

En cette période de confinement, les conditions sont encore plus difficiles. Car, selon Kevin, les fossoyeurs n’ont reçu que deux masques vers le 23 mars. Et jeudi dernier, un autre petit masque et des gants de maçon leur ont été remis. «C’est insuffisant pour nous protéger. C’est comme un bout de tissu avec deux élastiques. Surtout qu’on se salit vite, étant donné qu’on creuse la terre. Il faut jeter les masques immédiatement. Nous prenons nos T-shirts ou autres tissus pour nous protéger. Nous sommes beaucoup plus à risque», lance-t-il. Travaillant au sein d’une équipe de trois fossoyeurs, il souligne que l’un d’eux doit assurer une permanence de 9 heures à 17 heures. Et dès qu’un enterrement est prévu, les deux autres viennent lui prêter main-forte.

Notre interlocuteur affirme avoir procédé à une trentaine d’enterrements depuis le confinement. Muni de bottes et de combinaison, Kevin s’arme de détermination pour continuer son travail. «On ne cesse de féliciter les médecins et la police. Qu’en est-il des fossoyeurs et des éboueurs ? Quelle est notre valeur ? On prend tous des risques, surtout pour nos proches», soutient-il. D’autant qu’il est également sollicité pour le service funéraire de nuit.

Kevin doit être paré à toute éventualité. Une fois à la maison, il passe par une porte menant directement à la salle de bains pour se protéger du virus. Il a aussi changé son alimentation pour booster son système immunitaire et prévenir le Covid-19. «Je le fais surtout pour ma famille. Je m’assure aussi que mes enfants n’entrent pas en contact avec mon matériel de travail.»

Quid du salaire des fossoyeuses en cette période de confinement ? Il reste mensuel, comme à l’accoutumée. Des allocations de risques liés à la pandémie demeurent incertaines, estiment nos interlocuteurs. «Ce serait pourtant nécessaire, vu le degré de risques que nous prenons actuellement», confie Kevin. Pour sa part, Gaëtan Ng Fok Sue dit qu’il attendra la fin du mois d’avril pour être fixé. Entre-temps, il ne compte pas lâcher les défunts…