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Coronavirus: des mois de rééducation pour reconstruire les patients «depuis les fondations»

15 avril 2020, 19:57

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Coronavirus: des mois de rééducation pour reconstruire les patients «depuis les fondations»

«C’est comme un tsunami, ça vous emporte physiquement et moralement»: atteints par le coronavirus, ils ont frôlé la mort et entament désormais de longues semaines de rééducation, encore marqués par la réanimation mais aussi la solitude face à la maladie.

«C’est bien, très bien!». Ce mardi matin, une kiné de l’Institut universitaire de réadaptation Clemenceau, à Illkirch-Graffenstaden (Bas-Rhin), encourage Georges, 77 ans. Appuyé sur des barres parallèles, il se balance d’avant en arrière sur une planche posée sur des cylindres.

Si ses yeux pétillent d’humour derrière ses lunettes, le septuagénaire, qui a passé huit jours en réanimation, est vite essoufflé sous son masque chirurgical.

«Après ce qu’on a vécu, on revient de loin», raconte ce Strasbourgeois qui décrit les «visions apocalyptiques» du coma artificiel mais veut et peut désormais se projeter de nouveau dans le futur.

A la sortie de l’hôpital, «je croyais que je pourrais rentrer chez moi mais je reconnais que je n’aurais pas pu faire 10 mètres», constate-t-il, décrivant «une fatigue qu’on n’a jamais connue».

Dans la même pièce - une salle à manger récemment reconvertie pour les besoins de la pandémie - un autre patient fait tourner le pédalier d’un vélo de rééducation depuis son fauteuil roulant.

A l’Institut Clemenceau, qui a ouvert deux unités de 18 et 20 lits dédiées au Covid-19 dans ses centres d’Illkirch et de Strasbourg, kinés, ergothérapeutes, orthophonistes et autres psychologues s’activent pour remettre sur pied des patients très diminués par la maladie.

«Double peine»

Fonte musculaire massive, dénutrition, avec des malades ayant perdu 10 à 15% de leur poids, troubles de la déglutition liés à l’intubation, difficultés respiratoires... Pour les patients passés par la réanimation et orientés vers ce centre, le travail de rééducation prendra au mieux 6 semaines mais plus souvent trois à six mois.

«Ils ont la double peine: ils ont eu le Covid, avec une atteinte musculaire et neurologique, et en plus ils ont tous les effets liés à l’inactivité», explique le médecin chef Marie-Eve Isner. «En une semaine d’immobilisation, on perd 10% de sa masse musculaire».

Une équipe de médecins et d’internes est chargée de repérer aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg les patients de réanimation qui auront besoin de séjourner dans ce centre, après une transition en soins intensifs, qu’ils aient développé une forme particulièrement grave de la maladie ou souffrent d’autres pathologies compliquant leur rétablissement.

Le centre s’est réorganisé pour les accueillir, outre les patients qu’il suivait déjà pour un AVC, une sclérose en plaques ou une maladie de Parkinson, et qui ont contracté le Covid-19.

Ses médecins ont fait un gros travail de recherche documentaire pour définir la prise en charge la plus efficiente face à une maladie encore mystérieuse, des «tables de verticalisation» supplémentaires ont été acquises, les écoles d’infirmières et de kiné sont venues en renfort.

Certains convalescents qui arrivent au centre ne peuvent même pas tenir assis et tous doivent réapprendre les gestes de la vie quotidienne. «On passe par la position assise, la positon debout, la marche, l’entraînement à l’effort», détaille le responsable du plateau technique, Julien Przybyla, évoquant des séances très fractionnées pour limiter la fatigue.

«Je ne le souhaite à personne parce que vraiment c’est dur. C’est vraiment une saloperie, si je peux me permettre de dire ce mot», commente Abdesslam, 58 ans, pour qui le Covid s’est ajouté à l’asthme.

Mais la rééducation implique aussi de «repenser un projet de vie», insiste Marie Velten, coordonnatrice des soins.

Elle juge essentiel pour ces patients fragilisés psychologiquement par le confinement de nouer des relations avec le personnel soignant, alors que les visites restent interdites.

Outre les difficultés physiques, les patients «font beaucoup de cauchemars, ils ont une sensibilité de ce qui s’est passé en réanimation», complète l’infirmière Vanessa Beague. «On prend beaucoup de temps avec eux, ils ont besoin de parler».

Pour le professeur Isner, «on verra peut-être des séquelles neurologiques et cognitives, il y a un tropisme clair de ce virus pour le système nerveux», même s’il est trop tôt pour le dire avec certitude.

L’effort de l’institut pour aider les malades du Covid-19 à se reconstruire s’annonce en tout cas de longue haleine. Ses médecins s’attendent à voir arriver à la fin de la semaine prochaine des patients qui ont passé environ trois semaines en réanimation et dont la prise en charge sera plus lourde encore.