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Dr Satish Boolell: «Il faut tenir un langage de vérité, car c’est une question de vie ou de mort»

6 avril 2020, 21:00

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Dr Satish Boolell: «Il faut tenir un langage de vérité, car c’est une question de vie ou de mort»

Les cas positifs au Covid-19 ne cessent d’augmenter sur le sol mauricien. Avec un bilan de sept morts à hier en fin de matinée. Pourquoi Maurice compte-t-il autant de décès mais pas La Réunion ou encore les Seychelles ? Pourquoi ne pas considérer la chloroquine comme traitement ? Fait-on une autopsie si une personne meurt des suites d’une infection au coronavirus à son domicile ? Le point avec le Dr Satish Boolell, ancien chef de la médecine légale.

D’après vous, les informations fournies quotidiennement par les autorités sont-elles fiables ? 
D’abord, je me dois de préciser que je ne veux pas faire de la politique sur le dos du coronavirus et de ses victimes. Je ne pense pas que les ministres et autres hauts fonctionnaires qui animent ces conférences de presse ont intérêt à cacher des informations car la vérité finira par éclater. Même s’il ne faut pas alarmer la population, il faut tenir un langage de vérité, car c’est une question de vie ou de mort. Par exemple, si l’on nous dit clairement que telle personne a été infectée sur tel avion, les passagers et les membres d’équipage de ce vol pourraient se faire tester.

Les informations données sur le nombre de cas positifs et de décès des suites du coronavirus sont-elles suffisantes pour évaluer l’impact de la pandémie au sein de notre population et l’effet des mesures prises ? 
Pour faire une évaluation, il faut beaucoup plus d’informations. Et de tests. Ce n’est pas parce que l’on n’a pas de thermomètre que l’on n’a pas de fièvre ! Sait-on, par exemple, combien de personnes ont été testées positives dans les centres de quarantaine ? On se contente de nous parler de Contact tracing. Et quid du nombre de personnes «libérées» de ces centres ? Sont-elles hors de danger pour elles-mêmes et pour les autres ? Cela dit, je comprends que la situation est nouvelle et qu’on ne peut composer qu’avec les moyens de bord.

Le nombre de morts est passé à sept jusqu’ici. Selon vous, existe-t-il un risque que d’autres personnes puissent être mortes à leur domicile des suites d’une contamination au coronavirus ? 
Normalement, toute personne infectée doit se faire admettre à l’hôpital. Toutefois, il est fort possible que d’autres préfèrent rester chez elles pour plusieurs raisons dont celle ayant trait à la peur ou au refus d’aller à l’hôpital. Certaines vieilles personnes notamment, pourraient, ne pas savoir qu’elles sont atteintes du Covid-19. Mais je ne crois pas qu’il y en ait beaucoup, et encore moins, qui décèdent ailleurs que dans un hôpital. Tous les cas de décès devraient, à mon humble avis, être rapportés au Chief Medical Officer de la Santé pour une évaluation de la cause du décès. En situation de pandémie, une autopsie ne s’impose pas.

Si une personne meurt des suites d’une infection au coronavirus à son domicile, le saura-t-on ? 
C’est difficile de le savoir. Si la famille ne veut pas qu’on le sache, malgré la situation actuelle, personne ne le saura. À moins que le médecin certifiant le décès n’en fasse état. Mais pour cela, il faut que le médecin pose des questions, fasse une petite enquête et au minimum examine le corps avant de délivrer les certificats d’usage. La responsabilité de ne pas pratiquer une autopsie incombe au Chief Medical Officer. J’espère que les Mauriciens ne sont pas si irresponsables au point de cacher une maladie telle que le Covid-19. Car ce faisant, l’entourage s’expose également. Mais il serait bon de voir si le nombre de décès en ce moment est normal. Savez-vous qu’ailleurs, ce n’est qu’en constatant le nombre de décès rapportés à l’état civil que l’on a découvert que les personnes âgées succombaient un peu trop à la canicule !

Les autorités mauriciennes ont-elles tort d’avoir dit que le port du masque n’est pas nécessaire, que c’est du gaspillage ? 
Le masque a l’avantage d’empêcher de cracher et aussi de limiter le toucher de la bouche et du nez avec la main. Il rassure les autres et a un effet psychologique mais pour protéger contre le virus, il faut surtout éviter toute situation de contact physique et même de proximité. Le masque protège surtout les travailleurs de santé, qui soignent une ou plusieurs personnes infectées ou suspectées d’être porteuses du virus. J’ai été membre d’une équipe internationale à Bangkok pour le management du SRAS il y a une dizaine d’années. Je note que les conditions de gestion d’une attaque virale n’ont pas beaucoup évolué.

Comment savoir si notre interlocuteur est infecté car c’est aujourd’hui connu qu’une personne infectée peut être asymptomatique comme ce fut le cas pour ces jeunes qui ont travaillé sur des bateaux de croisière ? Cette personne peut infecter une autre personne avant que les symptômes ne se développent chez elle ? 
Les porteurs du virus sont aussi asymptomatiques que symptomatiques. C’est pour cela que le screening doit maintenant passer à un échelon supérieur. Tout dépend de nos moyens logistiques, bien sûr, mais je fais confiance à nos professionnels de santé. C’est toujours plus facile de conseiller que d’agir.

Estimez-vous que les autorités parlent de l’inutilité du port du masque simplement parce qu’il n’y en a pas suffisamment en stock ? 
Une fois de plus, j’espère que ce n’est pas le cas, que l’on n’essaie pas de jouer avec la vie des citoyens. S’il manque des masques, qu’on nous le dise. Les citoyens trouveront bien le moyen de se protéger. J’ai lu sur l’express que certaines personnes portent des masques faits maison. Cela peut toujours servir. Et on me dit que c’est lavable ! Un masque fait maison a un effet de bouclier, même si les puristes disent le contraire.
 
L’hydroxychloroquine, médicament contre le paludisme, a fait l’objet d’un débat scientifique et médical, suivi d’un débat politique avec des querelles personnelles en France. Votre avis sur cette molécule. 
La chloroquine a encore un bout de chemin à faire avant d’être homologuée comme traitement, avec ou sans l’azythromycine. Il faut aussi avoir des indications précises quant à la gravité des cas à être traités et le stade de la maladie avant de prescrire la chloroquine. Au moment où je vous parle, il n’y a aucune réponse scientifiquement valable à ce sujet. Je connais quelqu’un qui n’est pas malade du tout et qui voulait la prendre de façon prophylactique, c’est-à-dire à titre préventif, tout comme ceux qui partent dans des zones de malaria. [...] Je demanderai à tout un chacun, qui donne des conseils sur la chloroquine, d’étayer ses recommandations par des preuves concrètes et dignes de foi avant de s’y hasarder !

En l’absence d’autres options qui ont fait leurs preuves, ne vaudrait-il pas mieux utiliser la chloroquine, qui vient d’être autorisée en France ? 
Je suis navré mais je n’aime pas me servir des malades comme cobayes !

Pensez-vous que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) aurait dû donner des consignes claires par rapport à la chloroquine ? 
On a tort de penser que l’OMS est l’autorité suprême par rapport aux traitements. Dans certains cas, l’OMS a fait des suggestions valables. Mais ce sont les autorités nationales qui donnent finalement le feu vert. Comme la Food and Drug Administration aux États-Unis ou l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé en France. L’OMS fait plutôt des méta-recherches statistiques et des recommandations en se basant sur ses propres experts, qui, à leur tour, se basent, sur les travaux d’experts nationaux. Je ne dis pas qu’il ne faut pas écouter l’OMS mais chaque pays est souverain et maître de son destin. Voyez les Pays-Bas, qui ont adopté la mesure d’immunité collective, complètement à l’opposé de ce qui se fait partout. Le Herd immunity a ses adeptes mais c’est plutôt une solution à long terme.

Près de 200 cas de contamination et sept morts à Maurice en moins de deux semaines. Pourquoi autant de morts ici et pas à La Réunion ni aux Seychelles ? 
Je ne sais pas si les Seychelles ont les moyens de faire des dépistages. Une chose est sûre cependant : leur population est bien moindre. Je dirai que Maurice étant un des pays les plus surpeuplés de la région, avec des zones d’habitations très denses, la propagation sera plus rapide et effective. Si des mesures préventives strictes sont appliquées comme à Singapour ou à Hong Kong, pays pourtant plus surpeuplés que Maurice, les chiffres diminueront. Mais soyons honnêtes envers nous-mêmes : nous ne sommes pas assez disciplinés.

Si les menaces d’arrestation, d’amendes ne marchent pas, ni les campagnes de sensibilisation, comment faire la population réaliser que la situation est grave ? 
Je remercie les chefs des obédiences religieuses et ethniques, et un en particulier, pour avoir recommandé des plans d’actions sociales. L’heure est à la solidarité et en tant que enn sel nasion enn sel lépep, il nous faut réagir.

Croyez-vous que le gouvernement a pris une bonne décision en rouvrant les supermarchés et autres petits commerces ? 
Écoutez, il ne faut pas affamer la population non plus, ce qui mènerait à une mort certaine, si ce n’est à des émeutes de la faim ! L’acheteur doit respecter les consignes pour sa sécurité et pour celle des autres. Si tel n’est pas le cas, on se retrouvera sans provisions pour encore plus longtemps. Cela dit, il y a un élément de risque. Je suis sûr que les autorités ont bien évalué le pour et le contre. Mais la population doit réagir de façon responsable. C’est pour cela que Paul Bérenger a demandé que tous mettent la tête ensemble pour trouver des solutions, qui font consensus.

En tant que médecin légiste, quelles sont les précautions à prendre avec les cadavres de ceux décédés des suites du Covid-19 ? 
Vous n’êtes pas sans savoir que dans un corps infecté de tuberculose ou de VIH, les virus et bacilles restent actifs pendant un bon nombre d’heures, dépendant des conditions ambiantes comme la température et le taux d’humidité. Nous sommes partis pour un nouveau contrat social avec le coronavirus. Les autorités ont défini les paramètres pour les enterrements. Respectons-les. Vu la nouveauté avec le coronavirus, je ne peux pas dire si le virus reste actif dans l’organisme d’un cadavre et pour combien de temps.

Êtes-vous pour des tests à grande échelle, comme cela se pratique ailleurs et est-ce un moyen de voir la courbe se stabiliser enfin ? 
Oui, je le suis et plus on tarde, plus on expose la population, y compris ceux qui vont réaliser ces tests. Mais je conçois que les autorités manquent de moyens logistiques et de ressources humaines. Peut-être qu’il faudrait lancer des appels aux volontaires pour aider les employés du ministère de la Santé, qui sont déjà submergés.

La majorité des morts ont plus de 50 ans, sauf pour la fille de 20 ans. Croyez-vous qu’un retard dans le diagnostic y est pour quelque chose, hormis les antécédents médicaux que peuvent avoir les uns et les autres ? 
Il faudrait peut-être essayer plus tard de comprendre pourquoi certaines personnes à risque n’ont pas été testées ou si elles l’ont été, pourquoi les résultats n’ont pas été positifs. Bon, il semble maintenant que toute personne venant d’un pays à risque soit automatiquement mise en quarantaine et soit soumise à des tests et à un suivi régulier. Il vaut mieux tard que jamais ! Tout le monde apprend de ses erreurs mais malheureusement l’apprentissage se fait parfois au prix de vies humaines.