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Manger à l’ère du coronavirus: la sécurité alimentaire mondiale en question

1 avril 2020, 17:18

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Manger à l’ère du coronavirus: la sécurité alimentaire mondiale en question

Perturbations des marchés des denrées agricoles, manque de bras dans les champs, protection déficiente des salariés de l’agroalimentaire face au coronavirus: dans un rare communiqué commun, les dirigeants des trois organisations multilatérales chargées de l’alimentation, de la santé, et du commerce, FAO, OMS et OMC, mettent en garde contre un risque de crise alimentaire mondiale.

Si certains pays exportateurs de céréales de base étaient tentés de retenir leurs récoltes par crainte de manquer ou pour faire baisser les prix, d’autres, plus fragiles, à l’autre bout de la chaîne alimentaire mondialisée, risquent de traverser des pénuries graves, préviennent les trois organisations.

«Les incertitudes liées à la disponibilité de nourriture peuvent déclencher une vague de restrictions à l’exportation», provoquant elle-même «une pénurie sur le marché mondial», soulignent le Chinois Qu Dongyu, qui dirige l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’Ethiopien Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur-général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et le Brésilien Roberto Azevedo, dirigeant de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

Selon eux, il est «important» d’assurer les échanges commerciaux, «afin d’éviter des pénuries alimentaires» notamment dans les pays les plus pauvres.

Peut-être visée par cet avertissement, la Russie, premier exportateur mondial de blé, dont le ministre de l’Economie et celui de l’Agriculture ont défendu en début de semaine un projet de limiter les exportations russes de céréales à 7 millions de tonnes entre avril et juin, ont indiqué à l’AFP plusieurs cabinets de courtage sur le marché européen du blé.

Mercredi, dans l’attente de l’approbation par le gouvernement de cette proposition, la Russie a décidé de vendre un million de tonnes de blé issu de ses propres stocks de réserve sur son marché domestique pour limiter la hausse de ses prix intérieurs, rapportait le cabinet Agritel mercredi matin. De quoi faire redescendre la pression.

Pour les experts de la FAO, l’agence onusienne chargée de l’agriculture et de l’alimentation, les «restrictions à l’exportation» débouchent parfois sur des famines dans d’autres coins du globe.

«Emeutes de la faim»

Après la crise financière de 2007, «quelques pays producteurs de riz comme l’Inde et le Vietnam ont placé des restrictions à l’exportation car ils s’inquiétaient de la hausse des prix, ce qui a en retour fait augmenter les prix mondiaux, et contribué à créer des émeutes de la faim dans certains pays en développement» rappelle Abby Abbassian, économiste principal de la FAO, interrogé par téléphone par l’AFP à Rome.

Les trois organisations internationales s’inquiètent d’autres facteurs menaçant la chaîne alimentaire mondiale.

Le «ralentissement de la circulation des travailleurs de l’industrie agricole et alimentaire» bloque de nombreuses agricultures occidentales. Avec la fermeture des frontières due au coronavirus, elles se découvrent toutes en même temps dépendantes de main d’oeuvre venue d’ailleurs: latino-américains aux Etats-Unis, Maghrébins pour récolter les fraises en Espagne, backpackers européens en Australie, travailleurs agricoles d’Europe de l’Est dans les champs d’asperges en Allemagne...

Autre maillon suscitant l’inquiétude, les «retards aux frontières pour les containers» de marchandises, qui entraînent un «gâchis de produits périssables et une hausse du gaspillage alimentaire».

Au plus fort de la crise du coronavirus en Chine, des bateaux chargés de containers de lait en poudre venant d’Europe n’ont même pas pu être déchargés par manque de main d’oeuvre dans les ports, par exemple.

Par ailleurs, alors que des salariés de l’emblématique magasin bio américain Whole Foods, propriété d’Amazon, se mettent en grève pour leur santé face au coronavirus, les trois organisations internationales s’inquiètent aussi du besoin de «protection» du personnel de la production alimentaire ou de la distribution.

Leur souci est aussi bien de «minimiser la propagation du virus» dans ce secteur que de «maintenir les chaînes d’approvisionnement alimentaire». Par temps de pandémie, l’alimentation est devenue prioritaire pour des centaines de millions de personnes confinées dans le monde.

«Lorsqu’il est question de protéger la santé et le bien-être de leurs concitoyens, les pays doivent s’assurer que l’ensemble des mesures commerciales ne perturbe pas la chaîne de l’approvisionnement alimentaire», résument les chefs de la FAO, de l’OMS et de l’OMC.

«C’est dans des périodes comme celles-ci que la coopération internationale est essentielle», soulignent-ils.

«Nous devons nous assurer que notre réponse face à la pandémie de Covid-19 ne crée pas, de manière involontaire, des pénuries injustifiées de produits essentiels et exacerbe la faim et la malnutrition», concluent-ils.

«Nous ne sommes qu’au début de cette crise», juge l’économiste Abby Abassian, selon lequel il ne s’agit pas d’une crise de production, mais surtout d’une crise de transport et de logistique.

Selon lui, la situation en Inde va être déterminante pour la suite. «Les récoltes commencent dans quelques semaines, la fluidité des marchandises doit être assurée» dit-il.