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Coronavirus: loin du buzz, la Pr Ader dirige un essai clinique crucial

29 mars 2020, 20:02

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Coronavirus: loin du buzz, la Pr Ader dirige un essai clinique crucial

Se tenant loin des controverses suscitées par le Pr Raoult, la Pr Florence Ader explique à l’AFP comment les leçons d’Ebola ont été tirées. Elle pilote à Lyon un essai clinique visant à trouver un traitement contre le coronavirus.

Des yeux bleus derrière des lunettes rondes, la professeure Florence Ader répond aux questions de l’AFP depuis l’hôpital de la Croix-Rousse des Hospices Civils de Lyon (HCL), «son élément». Elle est depuis un mois au cœur d’un «projet fou», loin de son quotidien habituel d’infectiologue-pneumologue.

D’emblée, elle balaie les questions polémiques autour de l’efficacité supposée de la chloroquine vantée par le Pr Didier Raoult. «Il faut s’extraire du buzz et privilégier les démarches de recherche médicale», coupe-t-elle. La Pr Ader est une des rares femmes présentes dans le débat médical actuel et choisit la discrétion face à certains de ses tonitruants confrères.

Elle préfère donc parler de la «prouesse» que le service public français a, selon elle, réussi à mettre en place avec Discovery, un essai clinique coordonné par l’Inserm qui doit tester quatre traitements, dont l’hydroxychloroquine, sur 3.200 patients en Europe, dont au moins 800 en France. Uniquement des patients hospitalisés et gravement atteints.

«C’est l’une des grandes leçons de la crise d’Ebola de 2014. Le seul et unique essai randomisé avait été mis en place trop tard, avec seulement 72 patients».

Aujourd’hui, «pouvoir monter en temps réel un essai clinique de ce type est vraiment porteur d’espoir». La France est capable en même temps de «déployer sur le territoire un maillage médical pour traiter les patients et de coordonner une organisation de recherche nationale pour apporter une réponse la plus rapide possible».

L’Hexagone est d’ailleurs le premier pays européen à avoir mis sur pied et lancé un tel essai, insiste-t-elle. Son budget : quelques millions d’euros, financé par la Direction générale de l’offre de soins du ministère de la Santé. L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) doit aussi lancer son grand essai, «Solidarity», mais il en est encore à la phase préparatoire.

«Aucune concession»

Discovery a commencé depuis une semaine. Il inclut à ce jour 123 patients dans sept centres hospitaliers. Certains médecins ont fait part à la presse, ces derniers jours, de problèmes pour convaincre des malades du Covid-19, qui voulaient du Plaquénil (dérivé de la chloroquine) et rien d’autre. Mais non, assure-t-elle, il n’y a «pas de difficultés» à trouver des volontaires.
 
Chaque participant se voit allouer l’un des quatre traitements testés ou des soins standard, de manière aléatoire, après une randomisation numérique.

Sont testés : le remdesivir (antiviral conçu initialement pour Ebola), le lopinavir en combinaison avec le ritonavir (des anti-VIH), la même combinaison mais associée à l’interféron bêta pour tenter de baisser le processus inflammatoire et l’hydroxychloroquine (cousin de la chloroquine, mais présentant moins de risque de toxicité, cet anti-paludéen a l’avantage d’être connu et bon marché).

Et elle insiste: «nous n’avons pour l’heure aucune confirmation de la réalité de l’efficacité de ces traitements. Nous n’avons que des données disparates sur ces molécules. On a des données in vitro pour certaines, pas pour d’autres; des données sur des modèles animaux pour certaines, mais pas pour toutes, d’autres données sur des petites séries de patients, pas pour d’autres».

D’où pour elle l’importance de ne faire «aucune concession» et assurer le même niveau d’exigence malgré l’urgence d’une pandémie qui a déjà tué quelque 30.000 personnes dans le monde, selon un bilan établi par l’AFP.

«Plus les résultats seront significatifs et méthodologiquement robustes, plus le niveau de preuves sera élevé et plus on rendra service aux gens», assume Florence Ader.

Pas d’échéance précise

Même s’il est lourd, elle assure que cet essai est mené avec toute la rapidité et l’adaptabilité nécessaires au contexte.

La Pr Ader est entourée d’une vingtaine de personnes qui travaillent d’arrache-pied. D’abord une cheffe de projet qui gère la très lourde logistique depuis un centre dans le sud : quel traitement ? Envoyé à quel patient ? Dans quelle ville ? Et quand ?

Sur le terrain, des centaines de techniciens, d’attachés de recherche, de médecins d’essai clinique collectent les données. Et charge à l’équipe de méthodologie de l’Inserm de les exploiter.

Les premières évaluations de patients vont commencer après 15 jours de traitement, dans une semaine environ. On pourra notamment estimer si leur état clinique s’est amélioré, s’ils ont toléré le traitement.

Après analyse de ces premières données, il est possible que l’essai abandonne les tests d’un ou plusieurs des quatre traitements visiblement inefficaces pour en tester de nouveaux. Mais «il n’y a pas encore d’échéance précise, des analyses intérimaires seront régulièrement menées», conclut la Pr Ader, maintenant la pression à bonne distance.