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Philippe Hao Thyn Voon: «Les Jeux Olympiques doivent être reportés»

23 mars 2020, 10:02

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Philippe Hao Thyn Voon: «Les Jeux Olympiques doivent être reportés»

Le président du Comité Olympique Mauricien (COM), Philippe Hao Thyn Voon, est catégorique : les Jeux Olympiques de Tokyo ne peuvent se tenir du 24 juillet au 9 août en raison de la pandémie de COVID-19 qui sévit actuellement. Le risque sanitaire est trop grand. Il plaide pour leur renvoi à 2021 voire 2022. Le COM, dit-il, prendra une décision finale quant à l’envoi d’une délégation mauricienne au Japon dans moins d’un mois.

Maurice n’est plus épargné par le COVID-19. Quel effet vous a fait l’annonce des trois premiers cas à Maurice dans la nuit de mercredi ?
C’est le « mindset » de tous les Mauriciens qui a changé d’un seul coup. Je suis en contact avec mes employés (Ndlr : au sein de PADCO) et avec les membres du COM. C’est notre mode de vie qui change tout d’un coup. Tous les Mauriciens vont devoir faire preuve de solidarité. Nous devons tous ensemble apprendre à combattre ce virus. Nous devrons faire preuve de sérieux, chacun devra prendre ses responsabilités.

L’entreprise que je dirige compte 800 employés. 75 d’entre eux sont au bureau ici. Il suffirait que l’un d’entre eux soit contaminé pour que la situation devienne compliquée pour l’entreprise.

J’ai parlé aux athlètes, ils sont tous solidaires, ils poursuivent leurs entraînements. Il faut être attentif aux consignes, respecter la distance de sécurité entre personnes afin de freiner la propagation de ce virus. Ils doivent poursuivre leurs activités car les Jeux Olympiques arrivent.

Le sport a été mis sur pause sur toute la planète. La sécurité des populations reste la priorité. Etes-vous de cet avis ?
Je pense à ceux qui se sont entraînés pour les Jeux Olympiques, qui essaient de se qualifier. Il y a la sécurité de la population mais aussi celle des athlètes. J’ai des responsabilités en ma qualité de président du COM. Si Tokyo campe sur sa position et décide d’organiser les Jeux, il nous faudra prendre une décision.

Je suis aussi deuxième vice-président de l’ACNOA qui regroupe 54 pays. Je suis en communication avec vingt-cinq de ces pays. Ils sont tous unanimes : il n’est pas souhaitable que les Jeux débutent le 24 juillet. Il est possible que ces pays n’y aillent pas.

Notre gouvernement décidera s’il nous faut y participer ou non. Le COM aussi peut décider s’il faut y aller ou non. Maurice autant que l’Afrique se trouve dans un tunnel. Plus aucun pays n’est épargné. Tous les jours pratiquement, un nouveau pays est atteint par le coronavirus. Il y a eu la Gambie, Maurice. C’est le commencement de l’épidémie en Afrique.

Nul ne sait quand nous sortirons de ce tunnel. Il faut en premier lieu qu’un antidote soit trouvé, qu’un vaccin soit conçu. Et même en cas de conception d’un vaccin, il faudra au moins un an pour vaincre cette maladie.

« Je ne peux exposer athlètes et dirigeants à une telle maladie. Cette pandémie n’est pas terminée. Elle va durer un certain temps encore. »     

Le confinement, de Wuhan en passant par l’Europe et l’océan Indien, est le seul moyen de lutter contre un ennemi invisible de 0,1 micron ?
Le confinement n’est pas une solution. Il permet juste de freiner la progression du mal. Confinement ne veut pas dire guérison.

Le virus ne se déplace pas tout seul. Il se déplace via les organismes humains qui lui servent de véhicules…
Oui, ce virus se déplace via les personnes qui se déplacent. Nous avons appris qu’une des trois personnes infectées habite Vacoas. Je me suis entretenu avec mes employés qui habitent à proximité. Ils ont tous peur. Ils m’ont confié que tout est fermé dans les environs.

Comment vivez-vous ces restrictions, ces annulations et ces reports qui sont désormais le lot de l’univers sportif ?
Il n’est pas possible dans ces conditions d’envisager d’aller chercher une qualification olympique ailleurs. Dix athlètes sont concernés. Tout est en suspens. Comment feront-ils, dans les conditions actuelles, si jamais le CIO et le Japon continuent d’insister pour la tenue des Jeux Olympiques ?

Il y a plus de mille athlètes dans le monde qui sont à la recherche d’une qualification olympique. Comment feront-ils dans ces conditions ? Si le CIO et le Japon insistent, ils se heurteront à la commission des athlètes qui a voix au chapitre au sein du CIO. Cette commission a des antennes sur tous les continents. Si ses membres disent que participer aux Jeux est dangereux, elle dira à ses athlètes de ne pas s’y rendre.

« Même si l’épidémie diminuait, elle serait toujours là en juillet. Même si un vaccin est trouvé demain, il faudra au moins un an pour que les résultats positifs se fassent sentir. » 

Il y a une question qui taraude le monde sportif : les Jeux Olympiques doivent-ils se tenir malgré tout au Japon du 24 juillet au 9 août ? Doivent-ils être reportés ou annulés ?
Les Jeux Olympiques doivent être reportés. Le pays organisateur a fait d’énormes dépenses pour préparer ces Jeux, à tous les niveaux, il a fait de gros investissements, c’est pour cela que je suis d’avis qu’il faut reporter ces Jeux de la XXXIIe olympiade et les redonner au Japon dans un ou deux ans. C’est au CIO de décider de l’année car il y a Paris 2024. Peut-être 2021 ou 2022.

Chaque décision vaut son pesant d’or. Ils sont onze boursiers olympiques qui bénéficient d’une bourse jusqu’à la fin de juin. Si les Jeux sont reportés, continueront-ils à bénéficier d’une bourse ? Il y a des boursiers olympiques dans 206 pays. Ces bourses seront-elles étendues jusqu’en 2021 ?

Autre question cruciale : le volet antidopage géré par la WADA. Cette instance est supposée faire son travail sur le terrain avant les Jeux de Tokyo en allant contrôler les sportifs n’importe où dans le monde. Elle est en panne car certains pays sont inaccessibles.

Pouvons-nous, dans ces conditions, donner la garantie que les Jeux de Tokyo seront clean ? Sans tests antidopage préalables, comment en être sûr ? Un pays peut toujours protester à ce chapitre.

Il y a un mois, la Chine a fait ressortir dans un communiqué que la WADA ne venait pas chez elle. Sans tests antidopage, nous nous retrouvons dans une situation d’illégalité.

Nous sommes en face d’un choix difficile mais d’un choix logique pour nombre de personnes : la sécurité des populations ou le triomphe du sport coûte que coûte ?
Il est impossible de tenir les Jeux dans ces conditions. Le virus continue de se répandre. L’OMS a dit hier (Ndlr : mercredi) que les Africains devaient se préparer à vivre des moments difficiles.

Les véritables enjeux qui pourraient primer sur la sécurité des populations sont les enjeux financiers, les retombées économiques d’un big business ?
Ce virus a tout chamboulé. Je possède un hôtel dans le Nord, un hôtel de vingt-cinq chambres. Il a fermé ses portes. C’est un hôtel qui emploie douze personnes.

Nous sommes en récession. Nous avons un ennemi en face : le coronavirus. Nous devons unir nos forces pour voir comment faire pour qu’il ne se propage pas. Il faut oublier l’argent. L’argent ne veut plus rien dire. Il est devenu secondaire.

« Personne ne peut obliger un sportif à reléguer sa sécurité au second plan. »

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Avez-vous abordé la question de la sécurité des athlètes avec les fédérations locales ? Quel est leur avis sur le sujet ?
Pas encore ! J’ai eu des entretiens téléphoniques avec les membres. Ils sont tous inquiets. Douze fédérations sur vingt-quatre sont concernées. Personne ne veut y aller. Il y a un stage d’escrime prévu à Lausanne le mois prochain. Le principal concerné ne veut pas s’y rendre.

Quelle famille voudrait envoyer son enfant en Europe en ce moment ? Les sportifs sont les enfants des fédérations.

Le président du Comité olympique international (CIO), par la voix de  son président Thomas Bach, s’est de nouveau voulu rassurant mardi, réitérant sa « confiance » dans des JO de Tokyo « réussis ». Partagez-vous cet avis ?
Non, je ne partage pas son avis. Je dis un non catégorique ! Je ne peux exposer athlètes et dirigeants à une telle maladie. Cette pandémie n’est pas terminée. Elle va durer un certain temps encore. Le président Macron a dit que ce n’est que le commencement. Les spécialistes de la santé disent qu’il faut s’attendre à quelque 30 000 morts.

Pour Thomas Bach, il n’est question ni d’annulation, ni de report, encore moins de plan-B malgré un bilan du coronavirus qui dépasse les 3 000 morts ?
Ce n’est pas normal. Le CIO et le Japon ne peuvent tenir des Jeux dans ces conditions. La plupart des pays ne se rendront pas au Japon. Les athlètes ne veulent pas y aller. Si jamais le gouvernement et le Comité olympique d’un pays demandent à leurs sportifs d’y aller, ils ont le droit de refuser. Personne ne peut les obliger d’aller à Tokyo. Tout le monde est inquiet et dans le cas de Maurice, l’inquiétude est plus grande encore aujourd’hui.

Quid de la quinzaine de « test-events » qui doivent encore se tenir au Japon avant l’ouverture des JO ? Le seront-ils à huis clos ?
Je ne vois pas comment ils seront organisés. Qui s’y rendra ? La moitié des 54 pays membres de l’ACNOA est inquiète. En Europe, comme l’a dit Emmanuel Macron, c’est la guerre, une guerre sanitaire. Personne ne pense aux Jeux Olympiques. Ils sont devenus secondaires. La priorité, c’est la guerre à livrer au coronavirus. Nous sommes en état d’urgence. C’est un cas de force majeure. Peut-on imaginer se rendre aux Jeux avec des masques ? Les Jeux de Tokyo doivent être reportés.

Nous dirigeons-nous, peut-être, vers des Jeux Olympiques à huis clos ?
C’est une bonne question ! La viabilité financière des Jeux Olympiques dépend du sponsoring, des droits télévisuels et de la billetterie. Si les Jeux devaient se tenir à huis clos, comment est-ce que cela se passerait pour les sponsors et les droits télévisuels ? Quid de la publicité dans les stades vides ?

Au-delà des paroles rassurantes de Thomas Bach, qui peut donner la garantie que les Jeux de Tokyo seront « des Jeux sûrs et sans danger » ?
Même si l’épidémie diminuait, elle serait toujours là en juillet. Même si un vaccin est trouvé demain, il faudra au moins un an pour que les résultats positifs se fassent sentir. Je ne suis pas pessimiste. Mais je ne peux faire preuve d’un optimisme qui mettrait en péril la vie des sportifs et des dirigeants.

Les Mauriciens poursuivent donc leur préparation comme Thomas Bach les encourage à le faire ?
Oui, ils poursuivent leur préparation. Hier (Ndlr : mercredi), nous avons confirmé les chambres qui nous sont allouées, contre paiement, pour les VVIP. Il fallait faire un versement de 30%. Nous avons réservé deux chambres pour les VVIP. Les organisateurs poursuivent leur travail sur le plan administratif.

Cette préparation se fait en confinement puisque les déplacements sont interdits et du coup les échanges pour jauger du niveau et les sparring-partners sont exclus du programme ?
Les athlètes sont contraints de s’entraîner à Maurice. Le CIO en est conscient. Il a publié un communiqué dans lequel il a soutient qu’il tient en ligne de compte la situation sanitaire et l’impossibilité pour certains athlètes d’aller prendre part à des compétitions de qualification olympique. Kate Foo Kune est dans cette situation. Beaucoup de disciplines sont concernées.

En général, dans la course à la qualification olympique, le ou la meilleure se qualifie. Valeur du jour et compte tenu de la situation, le CIO retiendra vraisemblablement les deux meilleurs. Il sera un peu plus souple.

Toutefois, cela voudra dire que le Japon devra accueillir plus de sportifs que prévu, plus de 250 athlètes additionnels. Cela représentera un coût supplémentaire.

Est-ce que le jeu en vaut la chandelle ?
Je ne le pense pas. Les Jeux Olympiques sont synonymes de fair-play, de Jeux propres. Sera-ce le cas cette fois ? Nous sommes dans l’illégalité. Il faut s’attendre par ailleurs à un refus massif de la part de nombre de sportifs de se rendre au Japon. Personne ne peut obliger un sportif à reléguer sa sécurité au second plan.

Ne serait-il pas plus sage d’opter pour une année sportive sabbatique, ce qui permettrait de concentrer tous les efforts sur la santé et la protection des populations ?
Tout concourt à ce qu’une telle décision soit prise. Toutes les manifestations sportives ont été annulées, sur tous les continents. Pourquoi est-ce que les Jeux Olympiques, eux, sont maintenus ? Il y a trop d’implications sur le plan de la santé pour que ces Jeux aient lieu cette année.

Et s’il vous faut trancher quand prendrez-vous une décision finale ?
Nous allons demander l’avis du ministère de la Jeunesse et des Sports et du représentant de l’OMS à Maurice. Nous devons effectuer le paiement final dans moins de deux mois. Les qualifications seront terminées alors. Nous trancherons dans moins d’un mois.