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Covid-19: chaos au sommet

20 mars 2020, 20:48

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Covid-19: chaos au sommet

La communication

C’est le nerf de la guerre, celui qui est censé rassurer la population, montrer à celle-ci que les autorités sont en total contrôle, calmer les psychoses et les «fake news». La communication de Pravind Jugnauth sur le Covid-19 restera dans les annales comme l’une des plus abyssales. Dans 30 ans, les historiens raconteront comment le mercredi 18 mars 2020, à 21 heures, en direct du studio de la MBC, le ministre de la Santé insistait en pesant sur les mots sur le fait qu’il n’y avait aucun cas de Covid-19 dans le pays. Pendant ce temps, Pravind Jugnauth faisait poireauter les journalistes pour une conférence de presse annoncée pour 19 heures au bâtiment du Trésor. Finalement, le Premier ministre s’adresse aux journalistes pour donner une onde de choc à la population : contrairement à ce que venait de répéter Kailesh Jagutpal à la MBC, Pravind Jugnauth annonce que le pays compte trois cas de contamination au Covid-19. L’exercice de Pravind Jugnauth est une totale cacophonie : on voit le Dr Gujadhur, directeur de la santé, soi-disant l’informer à l’instant de l’existence de ces trois cas. Pravind Jugnauth dira plusieurs fois lors de cette conférence de presse «vous venez de le voir, je l’ai appris devant vous; le Dr Gujadhur vient de m’apprendre l’existence de ces cas». Et lors de cette conférence de presse, le Premier ministre a affirmé que «les écoles resteraient ouvertes à moins que la situation n’évolue». Or, cinq minutes après sa conférence de presse, le ministère de l’Éducation le désavoue dans un communiqué : «Écoles fermées jusqu’à nouvel ordre.» Qu’est-ce qui a évolué dans entre la fin de cette conférence de presse et l’émission de ce communiqué : on ne le saura pas. Le lendemain, soit hier, Pravind Jugnauth fait pire. Il invite les journalistes pour une conférence de presse à 14 h 30. À 15 h 15, Neeta Persand, de son équipe de communication, informe les journalistes que le Conseil des ministres est toujours en cours et que Pravind Jugnauth viendra juste après. Elle précise que «le Premier ministre ne répondra à aucune question». Cette phrase est répercutée par tous les médias en ligne et provoque l’indignation des internautes. 45 minutes plus tard, soit à 16 heures, on informe les journalistes que la conférence de presse est annulée. Et ce n’est même pas quelqu’un du service de communication qui vient l’annoncer: «Le Premier ministre va finalement s’adresser à la nation dans un message télévisé». À presque 22 heures...

Quarantaine et tests

Si vous pensiez que toute personne mise en quarantaine serait soumise à un test de dépistage du Covid-19, et bien c’est faux. À mercredi soir, il y avait 400 personnes en quarantaine, seules 121 personnes ont été soumises à un test depuis l’éclatement de la pandémie. Et c’est le Premier ministre lui-même qui a donné ces chiffres.

Pour deux des trois cas annoncés mercredi soir, il s’agit de deux personnes déjà en quarantaine. Mais le 3e cas a fait paniquer la population car il s’agit d’un homme au pays depuis le 7 mars, soit 11 jours, et qui a circulé librement avant de tomber malade. Partant du principe qu’une personne contaminée peut en contaminer une autre même si elle ne présente pas de symptômes, c’était la paranoïa généralisée. «Nous allons procéder à un contact tracing», a dit le Premier ministre dans une tentative de rassurer la population.

Pourquoi l’homme n’était-il pas en quarantaine ? Le Dr Gujadhur (celui qui suppute aux oreilles du Premier ministre) déclare que «ce n’est pas dans le protocole de l’Organisation mondiale de la santé. Nous plaçons en quarantaine uniquement ceux qui présentent les symptômes».

Ce n’est qu’à partir d’hier que la quarantaine systématique a été imposée. Trop tard ?

La fermeture des frontières

Lundi, Pravind Jugnauth annonce que les frontières seraient fermées pour les étrangers qui viennent d’Europe à partir de jeudi minuit (la nuit de mercredi à jeudi). Or, mercredi soir, il annonce que cette mesure s’applique également aux Mauriciens et que ceux-ci n’avaient que quelques heures pour rentrer (et ce seraient donc eux qui seraient concernés par la quarantaine systématique). Et là, c’est l’hécatombe ! Des dizaines de Mauriciens sont bloquées à l’étranger. Certains, comme les membres de la famille Ozeer (deux couples et deux enfants de moins de huit ans) qui ont témoigné sur lexpress.mu hier, avaient déjà check-in à Charles de Gaulle et avaient déjà leur boarding pass en main, mais n’ont pas été autorisés à embarquer. Pire : ils ne pouvaient même plus quitter le terminal car ils avaient déjà franchi la «frontière» française quand ils ont check-in. Un terrible drame familial, car les Ozeer étaient à Paris pour assister aux funérailles de leur mère. Ils sont aujourd’hui des apatrides!

Pravind Jugnauth a commis deux bourdes ici : fermer les frontières trop tard (il aurait dû le faire il y a trois semaines) et empêcher aux Mauriciens de rentrer tout en leur imposant une quarantaine systématique.

Les questions que «L’express» avaient préparées pour Pravind Jugnauth hier

Pravind Jugnauth a initialement refusé de répondre aux questions des journalistes avant de tout simplement annuler sa conférence de presse prévue pour hier, 14 heures. Mais la rédaction de l’express s’était déjà penchée sur les questions à lui poser. En voici quelques-unes:

Où en est le «contact tracing» du patient de 59 ans qui s’est promené dans le pays pendant 11 jours ?

Pourquoi ne prévoyez-vous pas un lockdown immédiatpour stopper la propagation du virus ?

Selon vous, combien de personnes sont potentielle- ment infectées sans le savoir et qui circulent dans la nature ?

Concédez-vous la gravité qu’un homme positif au Covid-19 puisse être autorisé à quitter l’aéroport libre ?

Combien, comme lui, sont passés entre les mailles du filet ?

Quelle est votre définition d’un pays et la notion de citoyen, notamment sur le droit d’y habiter et d’être protégé par son gouvernement ?

Face à cette interdiction brutale qui prend effet dans un délai de moins de 12 heures, que conseilleriez-vous aux citoyens de faire ? Le Premier ministre peut-il ou pas respecter la notion de citoyenneté ? Si cette notion reste floue, ne vivons-nous pas dans une anarchie totale.

Tout en comprenant le drame du Covid-19 et le besoin de s’organiser, en quoi est-ce que cette interdiction dans toute sa brutalité vient nous protéger ?

Avons-nous aujourd’hui des statistiques précises sur le nombre de Mauriciens qui étaient en phase de rentrer avant que cette interdiction au territoire ne frappe ?

Avez-vous une catégorisation de ces Mauriciens (nombre d’étudiants) venant d’où ? Et ils se retrouvent entre deux destinations et ils ne savent plus quoi faire ?

Est-ce vrai que votre épouse et votre fille sont rentrées à Maurice d’Angleterre cette semaine sans être placée en quarantaine, ou bien est-ce des rumeurs et des fake news que l’express, dans ce cas-là, dénoncerait autant que vous ?