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A quoi servent les commissions d’enquête ?

28 février 2020, 19:12

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A quoi servent les commissions d’enquête ?

Cela fait deux ans que «l’express» a dévoilé le scandale de la Platinum Card qui a coûté son poste à l’ancienne présidente de la République, Ameenah Gurib-Fakim. Une commission d’enquête a été initiée dans le sillage de cette affaire. On attend toujours la fin de l’histoire. Au Parlement, il y a 15 jours, Rajesh Bhagwan a proposé de mettre sur pied une commission d’enquête sur la mauvaise qualité de l’essence. Tout cela ne serait-il pas vain ?

Les commissions d’enquête trainent parfois en longueur, à l’instar de celle sur Britam. Des fois, elles accouchent d’une souris, comme dans le cas de la drogue. Et que dire de celle sur l’ex-présidente de la République !

Souvenez-vous. C’est l’express qui avait mis le feu aux poudres, le 28 février 2018, en faisant des révélations fracassantes sur les folles dépenses d’Ameenah Gurib-Fakim et sa proximité avec l’homme d’affaires angolais, Alvaro Sobrinho.

En réaction, l’ex-présidente avait pris l’initiative de mettre sur pied une commission d’enquête sur Sobrinho. Ce qui provoqua, le 23 mars suivant, l’établissement d’une autre commission d’enquête, cette fois décidée par le Premier ministre, pour faire la lumière sur les circonstances ayant mené Ameenah Gurib-Fakim à vouloir initier… une commission d’enquête.

Celle annoncée par Pravind Jugnauth est présidée par le juge Ashraf Caunhye. Elle a débuté ses travaux le 6 août 2018. Elle avait aussi comme attributions de faire la lumière sur l’affaire Platinum Card et Alvaro Sobrinho. Donc, une commission d’enquête de la plus haute importance sur le plan constitutionnel et politique.

Où en est-on 18 mois après ? Les audiences sont, semble-t-il, déjà terminées depuis la séance du 20 janvier. On en attend donc les derniers témoignages et la conclusion…Sans préjuger de l’issue de celle présidée par le juge Caunhye, généralement, les commissions d’enquête servent-elles à connaitre la vérité sur une affaire d’intérêt public ?

«Tout dépend premièrement de la personne appelée à présider la commission d’enquête», commente Faizal Jeeroobarkhan, observateur politique. «Si elle est proche des décideurs, croyez-vous qu’elle enquêtera et conclura d’une façon à déplaire ceux qui l’ont nommée ? Trop souvent, on a aussi vu les mêmes têtes à la présidence de plusieurs commissions d’enquête

 Conclusions oubliées

Même quand une personne respectée se trouve à la tête d’une commission d’enquête, force est de constater que ses conclusions sont oubliées et mises dans un tiroir, ajoute-t-il. Faizal Jeeroobarkhan s’insurge aussi contre le fait que parfois les décideurs vont même à l’encontre du rapport. «La commission Lam Shang Leen avait sévèrement blâmé l’Anti-Drug and Smuggling Unit (ADSU). Et que fait le Premier ministre, celui-là même qui a nommé la commission et qui en parle souvent dans ses meetings, eh bien, il ne rate aucune occasion pour féliciter l’ADSU !»

Justement, le Senior Counsel, Me Yousuf Mohamed, rappelle que, in fine, c’est uniquement le Premier ministre qui peut décider s’il faut ou non mettre sur pied une commission d’enquête, bien qu’officiellement, ce soit le président de la République qui la nomme. Il va jusqu’à affirmer «qu’une décision de nommer une telle commission est éminemment politique».

Avis partagé par l’avocat et ancien Attorney General, Rama Valayden. «Les commissions d’enquête servent à gagner du temps, à faire oublier un problème grave et surtout quand on n’a pas d’argument», nous dit-il. Faisant l’historique des commissions d’enquête, Rama Valayden argue que cette procédure, qui vient tout droit de notre système politique britannique, a été usée et abusée par les dirigeants anglais à l’époque coloniale, notamment en Inde. A quelles fins ? «Just to take some steam off the kettle, comme l’ont reconnu les Anglais par la suite.»

«To gain time»

L'avocat revient sur les différentes commissions d’enquête depuis l’Indépendance. Pour lui, à part celle dirigée par feu le juge Victor Glover, qui a poussé Badry et Dabee à la démission du gouvernement travailliste dans les années 70 et qui a mis en lumière les pratiques douteuses des politiciens, et celle présidée par le juge Ramphul qui a abouti à une révision des salaires, toutes les autres n’ont été que du ‘whitewashing’ ou ‘to gain time’ .

Même la commission Rault n’a pas convaincu Rama Valayden. «La mise sur pied de ce genre de commission d’enquête, comme celle de Paul Lam Shang Leen, est la preuve que notre police et notre justice ne fonctionnent pas comme il faut car elles sont incapables d’arrêter le trafic de drogue.» Comme le dit Ally Lazer «les remèdes de l’enquête Lam Shang Leen se font toujours attendre».Pour Rama Valayden, une commission d’enquête sert à situer les causes profondes d’un problème et à proposer des solutions. «Elle doit être un outil pédagogique et non politique.» Une commission d’enquête servirait-elle donc le politique ? «Rappelons-nous de la commission Britam qui, bien que demandée timidement par Paul Bérenger à l’époque, fut joyeusement acceptée et mise en place par Pravind Jugnauth en moins de deux

Dossier au DPP

Il rappelle qu’après les conclusions d’une commission d’enquête, la police doit tout recommencer et ensuite remettre le dossier au Directeur des poursuites publiques, qui décidera s’il y a matière à poursuite ou non. Si l’affaire va en cour et l’accusé est condamné, ce dernier pourra faire appel.

«Le problème, c’est qu’avec le temps, des témoins et des preuves auront disparu. Sans oublier la possibilité pour une personne blâmée dans une commission d’enquête de demander une révision judiciaire. Ce qui freinera l’enquête de la police.»Il s’agirait donc d’un immense gaspillage de fonds publics juste pour amuser la galerie ou apaiser la colère du citoyen ? «Dans un sens, oui», répond Rama Valayden.

Et la demande de commission d’enquête par Rajesh Bhagwan, ne sert-elle pas au contraire à aider le gouvernement à sortir du mauvais pas où il s’est engouffré avec l’affaire du carburant contaminé au manganèse ou, tout au moins, à lui permettre de gagner du temps? L’avocat a préféré répondre en général : «Il ne faut pas demander des commissions d’enquête à tort et à travers. Ciblons les vrais problèmes d’intérêt public. Je crois qu’il est grand temps de mettre sur pied une commission d’enquête sur les commissions d’enquête. Pour les évaluer !», conclut-il en guise de boutade… qui donne quand même à réfléchir.