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Aux Seychelles, la découpe du «coco fesse»

27 février 2020, 22:05

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Aux Seychelles, la découpe du «coco fesse»

Un imposant coco de mer de 10 kilos coincé entre les pieds, Christophe Bristol assène de violents coups de maillet sur un ciseau à bois pour extraire la précieuse pulpe de cet icône seychelloise, dont la forme suggestive et les prétendues vertus aphrodisiaques font la renommée mondiale.

«La pulpe est revendue très cher en Chine, donc chaque morceau compte», explique l’expérimenté découpeur de la plus grande graine du règne végétal, dont les contours de bassin féminin ont donné son nom le plus usuel à ce symbole national qui se trouve même sur les armoiries du pays: le «coco fesse».

Dans cet entrepôt d’Au Cap, sur la côte est de Mahé, la principale île des Seychelles, de larges perles de sueur glissent sur le front de M. Bristol, qui s’affaire sur ce fruit mythifié des siècles durant et dont le braconnage n’a été endigué que très récemment.

Car le coco de mer, dont moins de 2 000 noix seulement sont exploitées chaque année aux Seychelles sous un très strict contrôle des autorités, ne se donne pas facilement.

«Pour ouvrir et vider un coco de mer, cela prend environ 20 minutes, c’est beaucoup plus difficile qu’une noix de coco traditionnelle», assure M. Bristol, maître d’un savoir-faire unique au monde, les impressionnants cocotiers de mer ne poussant que sur deux îles des Seychelles, Praslin et Curieuse.

Cette difficulté tient à la fois à l’extrême dureté de la coque, ainsi qu’à la nécessité de ne pas trop endommager cette dernière.

La coque est coupée en deux, le long du sillon lui donnant sa forme particulière, vidée à l’aide de ciseaux à bois dont le tranchant s’émousse rapidement, puis recollée en vue d’être vendue dans des boutiques de souvenir, pour un prix moyen allant de 3.000 à 4.000 roupies seychelloises (de 200 à 265 euros), accompagnées d’un certificat.

«Maintenant, on coupe le coco en deux avec une puissante scie électrique, mais avant on faisait cela avec une scie à bras, et cela pouvait prendre jusqu’à une demi-heure (rien que pour ouvrir la noix) tellement la coque est dure», souligne l’artisan. «Elle est plus dure que la plupart des types de bois».

- Liste rouge -

La pulpe, ou kernel, peut être vendue jusqu’à 100 dollars le kilo (91 euros), selon le ministre du Tourisme, Didier Dogley, ancien ministre de l’Environnement.

«Les Chinois, mais aussi certains locaux, ont des superstitions», raconte M. Bristol, évoquant les vertus aphrodisiaques prêtées à ce fruit. «Ils le moulent, le mettent dans de l’alcool comme le whisky, le boivent, et cela leur donne de la force. C’est le mythe», dit-il.

Le coco de mer fait l’objet de convoitises depuis des siècles. En Europe et en Asie, dès le XVIe siècle, il passait pour avoir des vertus curatives exceptionnelles.

A l’origine, on trouvait la noix à la dérive en pleine mer, ou échouée sur des plages de l’océan Indien. Ne l’ayant jamais vu pousser sur terre, les marins pensaient qu’elle provenait d’arbres enracinés dans les fonds marins - d’où son nom, coco de mer.

Ce n’est qu’au XVIIe siècle que le lieu d’origine du fruit géant fut déterminé.

Après avoir légèrement perdu de son attrait - notamment en raison de son goût moins sucré que la noix de coco classique -, le coco de mer a connu un regain d’intérêt après l’indépendance des Seychelles en 1976, en parallèle au développement du tourisme.

A tel point que les autorités seychelloises décidèrent dès 1978 d’en contrôler le commerce. Des mesures qui n’ont toutefois pas empêché le développement du braconnage, qui a longtemps menacé le cocotier de mer, classé depuis 2011 sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

Les autorités seychelloises ont finalement réussi à mettre un terme au braconnage en durcissant dans les années 2010 la surveillance des zones où ils poussent, comme la vallée de Mai, classée au patrimoine de l’Unesco, ainsi que la régulation du commerce du coco de mer.

- Interdiction d’exporter la graine -

«La situation du coco de mer, je la mets toujours en parallèle avec ce qui arrive à l’éléphant en Afrique», souligne Didier Dogley.

Seules quatre entreprises disposent d’ailleurs d’une licence pour le traitement et l’exportation de la pulpe, parmi lesquelles Island scent, pour laquelle travaille Christophe Bristol.

Soigneusement numérotés, les cocos de mer sont pesés avant la découpe. M. Bristol mesure ensuite séparément le poids de la pulpe extraite et le consigne dans un carnet qui sera passé en revue par les autorités.

Il découpe ensuite les larges morceaux blancs en très fines tranches qui seront séchées, conditionnées, exportées pour au final être revendues en Asie.

«On se sent vraiment seychellois quand on fait ce genre de travail. C’est unique au monde, donc j’en suis très très fier», témoigne M. Bristol.

Désireuses de capitaliser sur cette ressource unique, une des rares disponibles dans ce pays devant importer plus de 90% de ses biens, les autorités interdisent l’exportation de la graine non vidée, qui pourrait être plantée ailleurs, et encouragent la transformation de la pulpe afin d’augmenter la valeur ajoutée produite sur leur territoire.

Liqueur, mets gastronomiques, cosmétiques... le coco de mer est décliné de multiples manières.

Le dernier venu de la gamme «coco fesse» est un «brandy des îles» dont la marque a été lancée fin novembre, et sera vendu à plusieurs centaines d’euros la bouteille