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Dimmytri Baboo: la coqueluche des pêcheurs au gros

22 février 2020, 14:57

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Dimmytri Baboo: la coqueluche des pêcheurs au gros

Pour un coup d’essai de la part du skipper Dimmytri Baboo et de son client, l’Anglais Keith Tiley, à qui le Mauricien a appris à pêcher, il s’agit d’un coup de maître. À leur première participation à la South Indian Ocean Billfish Competition, organisée par Le Morne Anglers Club, ils ont ramené un marlin de 418 livres et ont pris la première place. Portrait d’un skipper, qui ne vit que pour la mer.

Une quinzaine de jours se sont écoulés depuis que Dimmytri Baboo, son client Keith Tiley et leurs deux aides Vishan Rutney et Askhay Nepal ont remporté le premier prix de la compétition de pêche au gros 2020, organisée annuellement par Le Morne Anglers Club. Mais le skipper mauricien, qui pilotait son bateau, le Fishing Master, une pirogue de plus de huit mètres, est toujours sur son petit nuage rose. «Je savais que nous pouvions bien faire mais je ne m’attendais pas du tout à l’emporter», confie ce robuste gaillard de 32 ans, qui depuis l’âge de trois ans est fasciné par la mer au point de continuellement gribouiller des dessins de bateaux et de poissons.

Il faut dire que Dimmytri Baboo a été à la bonne école car son père et son grand-père sont des pêcheurs émérites. Son grand-père, Baruth Isram, a démarré avec la pêche artisanale, posant des casiers et pratiquant la pêche coulée dans le lagon à bord de sa pirogue nommée Ingrid. Puis dans les années 70, lorsque les hôtels ont commencé à se développer sur la côte du Morne, le pêcheur s’est orienté vers la pêche au gros, équipant Ingrid d’un moteur et se taillant une solide réputation de skipper auprès des touristes, en particulier après que lui et un de ses clients, un Australien, ont ramené un marlin de 960 livres.

«Je savais que nous pouvions bien faire mais je ne m’attendais pas du tout à l’emporter»

C’est ce même grand-père, aujourd’hui âgé de 77 ans, qui l’a emmené pour la première fois pécher dans sa pirogue. Dimmytri Baboo n’avait alors que cinq ans. Une expérience, qui s’est répétée systématiquement depuis, en particulier en période de vacances scolaires. «Mon grand-père m’a tout appris en matière de pêche. Il m’a appris à connaître le temps, les marées, les passes à emprunter et même à me repérer en observant les montagnes. On allait pêcher vers l’ouest-sud-ouest, en face du Morne et parfois en face d’Albion.»

Si Dimmytri Baboo se prend de passion pour la mer et la pêche, il s’intéresse aussi à la pâtisserie-boulangerie et nettement moins à ses études au collège St Mary’s où il est en classe de Prévoc. «J’ai étudié jusqu’en Form IV puis j’ai laissé tomber. Je voulais d’abord me faire boulanger-pâtissier», raconte-t-il. Il a alors fait un long stage à l’hôtel Dinarobin puis à London Way. Jusqu’à ce que son grand-père tombe malade. C’est alors qu’il a décidé de prendre la relève. C’est à bord d’Ingrid que Dimmytri Baboo a emboîté le pas à son grand-père. Sa base d’opération autorisée était et est toujours devant les hôtels Le Paradis Beachcomber, le Dinarobin et Lux* Le Morne.

Il n’oubliera jamais sa première journée de pêche au gros avec un adolescent de 16 ans. «Je n’étais pas plus âgé que lui car j’avais 19 ans. Son père lui avait payé sa première journée de pêche. Il s’appelait Thomas et rêvait de prendre un marlin. Le premier jour, nous sommes rentrés bredouilles. Idem pour les second et troisième jours. Comme Thomas était tenace, il est revenu le quatrième jour, qui était aussi celui de son départ. Nous avons d’abord pris un thon que nous avons mis à vif et deux heures plus tard, on a eu un départ de marlin (NdlR : ce qui signifie que le marlin a mordu à l’hameçon). Nous avons lutté pendant une heure et demie et finalement Thomas a ramené un marlin de 400 livres. Il n’y avait pas plus heureux que lui. Et moi j’étais heureux pour lui.»

Dimmytri Baboo a alors enchaîné les excursions, comme l’indique son permis de la Tourism Authority (TA). Au bout de cinq à six ans, il a contracté un gros emprunt pour acheter une pirogue de plus de huit mètres qu’il a baptisé Fishing Master et il a dessiné les plans de son réaménagement, y ajoutant une cabine ouverte, des chaises à combat, un Global Positioning System, un radar, des pompes, des gilets de sauvetage et même des toilettes.

Et lorsque la TA a officialisé la formation pour les skippers, il a suivi le cours et a obtenu son brevet local, qui l’autorise à aller jusqu’à 12 000 miles nautiques de la côte. Pour rassurer ses clients touristes, il a aussi pris le permis international, qui lui donne l’autorisation d’aller jusqu’à 24 000 nautiques de la côte, soit pêcher dans les eaux internationales. C’est surtout après les grosses pluies qu’il s’éloigne autant des côtes. «Après les grosses averses, les rivières qui se jettent dans la mer charrient beaucoup de boue. L’eau est alors rouge et les poissons préfèrent rester au large. Je dois alors emmener les touristes beaucoup plus loin de nos côtes», explique-t-il.

S’il a longtemps pu bénéficier de la réputation de son grand-père et d’une partie de sa clientèle touristique, le fait d’avoir créé sa page Facebook et de s’être mis sur les réseaux sociaux lui en a ramené bien d’autres clients. «Les touristes me contactent avant même leur arrivée à Maurice à travers les réseaux sociaux pour me demander dans quel hôtel ils doivent descendre pour pouvoir faire de la pêche au gros avec moi ou encore me réservent des journées avant leur arrivée pour les emmener en excursion. Mais la majorité des demandes c’est pour la pêche au gros».

Quarante-cinq pourcent de sa clientèle est européenne, 30 % sudafricaine et 5 % russe. Le reste se départage entre les étrangers naturalisés mauriciens et les Mauriciens amateurs de pêche au gros. «Mes clients sont tous des repeaters», confiet-il. Depuis six ans, il participe à des compétitions de pêche parrainées par les moteurs Mercury et Suzuki. Il est déjà sorti second à l’une d’elle. Le plus gros poisson qu’il ait pêché hors compétition avec un client russe était un marlin de 896 livres.

Qu’est-ce qui a incité ce skipper mauricien, qui compte plus de 14 ans d’expérience en mer, à participer à la South Indian Ocean Billfish Competition ? Dimmytri Baboo réplique que cela fait sept ans que le Britannique Keith Tiley vient deux fois par an à Maurice pour taquiner le marlin sous sa direction ou pour qu’il l’emmène, lui et son épouse, en excursion. C’est d’ailleurs le skipper mauricien, qui a appris à l’Anglais à pêcher. «Et à chaque fois qu’il est à Maurice à la fin janvier, il y a la compétition du Morne Anglers Club. Lorsqu’il m’a interrogé à propos de cette compétition, je lui ai expliqué de quoi il en retournait et je lui ai demandé s’il ne voulait pas y participer, d’autant plus qu’à chaque fois qu’il pêche, il attrape un marlin. Il s’est dit pourquoi pas». De son côté, Dimmytri Baboo se dit que cette participation peut asseoir davantage sa réputation auprès des touristes et que ce sera une fois de plus sa contribution à la promotion de l’activité touristique à Maurice.

Keith Tiley a réglé les frais de participation se montant à Rs 125 000 et Dimmytri Baboo a contacté deux aides. Il les a tous familiarisés aux règlements IGFA, stipulant notamment qu’il faut remettre à la mer des poissons de moins de 200 livres pour éviter la surpêche et favoriser la reproduction. Ces règlements définissent entre autres aussi la taille et la dimension des cannes à pêche.

La compétition d’une durée de quatre jours a démarré le 3 février à 7 heures. Il y avait 32 bateaux en lice avec des équipes de pêcheurs indiens, allemands, espagnols, italiens, russes, sud-africains, réunionnais, anglais et mauriciens. Le premier jour, le Fishing Master et son équipage sont rentrés sans prise. Le deuxième jour, ils ont pris une daurade et une bonite. Ils ont été plus chanceux le troisième jour car ils ont d’abord pris un marlin de 150 livres qu’ils ont relâché puis un autre que Dimmytri Baboo a estimé à 410 livres. Une fois sur la balance, le poids indiqué était 418 livres. Le dernier jour, ils ont pris un autre marlin mais de taille non règlementaire qu’ils ont remis à la mer.

Le skipper mauricien déclare que certains de ses concurrents ont eu des touches plus grosses mais qu’ils ont joué de malchance car il y a eu des décrochés et des cannes à pêche brisées. «C’est au skipper de savoir maîtriser le bateau pour que les lignes ne cassent pas», dit-il.

À l’heure du décompte final, c’est Keith Tiley, son skipper Dimmytri Baboo et les deux autres membres d’équipage du Fishing Master qui l’ont emporté. Comme prix, ils ont reçu Rs 300 000, quatre billets d’avion pour une destination de leur choix desservie par Air Mauritius et six trophées. De la somme obtenue, le Britannique a repris sa mise initiale et le reste a été partagé entre les trois Mauriciens. Keith Tiley a pris trois coupes et les Mauriciens en ont obtenu une chacun.

Mis en appétit par cette victoire, le Britannique qui reviendra sans doute à Maurice en octobre, a déjà réservé le Fishing Master pour participer à la prochaine édition de la South Indian Ocean Billfish Competition l’an prochain.

Si Dimmytri Baboo déclare bien gagner sa vie, il a remarqué que depuis quatre-cinq ans, les touristes ont moins d’argent à dépenser. Il lui arrive alors de baisser ses prix. Cela lui fait mal de s’entendre dire par des touristes, qui viennent à Maurice depuis plusieurs années, qu’il y a eu trop de développements dans l’île et que l’état de la mer s’est dégradée avec la pollution plastique et des algues envahissantes. «Nous devons protéger notre environnement et notre mer. J’ai mal et honte lorsque les touristes me font des remarques à propos des déchets en mer. Les Mauriciens devraient être plus sensibles à la protection du lagon et de l’environnement et le gouvernement devrait y veiller.»

Avec les sous qu’il a obtenus, Dimmytri Baboo compte rembourser les dettes contractées par rapport à son bateau. Pour ce qui est du voyage, il caresse le rêve de participer à une compétition mondiale de pêche prévue dans le courant de l’année au Costa Rica. Mais il lui faudra alors compter sur des parrainages dont il ne dispose pas encore. Dimmytri Baboo n’a pas d’autres projets que de maintenir son niveau de service pour attirer encore plus de touristes «et ainsi continuer à contribuer à l’économie du pays.»