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Emplois: tourisme de croisière, le secteur mené en bateau

13 février 2020, 21:00

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Emplois: tourisme de croisière, le secteur mené en bateau

«La mer est agitée. On ne peut pas accoster. C’est reparti pour une journée de travail de 9h 30 à 00h 30. Et interdiction de s’asseoir. Si tu n’es pas contente, comme dit ma chef, tu rentres chez toi», confie Shalinee, jeune Mauricienne en poste depuis 2016 sur MSC Croisières. Vendeuse dans une boutique de luxe, elle entame actuellement son cinquième contrat. Mais ce n’est pas sans heurts. «Je ne suis pas censée travailler plus de 11 heures par jour mais cet accord est rarement respecté. Par la suite, le manager réajuste les heures, ni vu ni connu. Elles augmentent mais pas le salaire.» Côté alimentaire, les menus proposés au personnel ne sont guère alléchants: «Pizza et frites midi et soir, le poisson à peine cuit avec quelques épices par-dessus. Comme légumes, pommes de terre à toutes les sauces, même en soupe. Et on s’attend que le personnel soit en pleine forme pour les sept mois à venir.»

Selon la vendeuse, ces conditions difficiles découragent les Mauriciens à postuler. Actuellement, entre 700 à 900 emplois sont à pourvoir dans ce secteur qui a jeté l’ancre à Maurice vers 2007. À l’époque, l’arrivée de Costa Croisières, brassant 80 % des passagers, et la création d’un terminal dont le fonctionnement avait été annoncé dès 2008, étaient des plus prometteurs. D’ailleurs, de 2014 à 2015, une croissance spectaculaire de 106 % en termes de croisiéristes était recensée à Maurice, selon un document de la Mauritius Tourism Promotion Agency (MTPA). Ce qui avait fait germer la coopération des Îles Vanille, sans compter les mesures de l’État pour le développement du tourisme de croisière et la création de davantage d’emplois. «Le tourisme de croisière a connu une ascension de ses activités suivant l’initiative des îles Vanille», avait déclaré Anil Gayan, ancien ministre du Tourisme lors d’un forum le 30 mai 2019. En 2018, rajoutait-il, Maurice a accueilli 42 bateaux de croisière contre 30 en 2017, et par extension, 67 515 passagers. Le budget 2018/2019 est revenu à la charge avec une énième mention de la construction d'un terminal pour positionner Port-Louis comme «cruise hub» et «fly-cruise gateway» dans l’océan Indien.

Malgré ces initiatives, l’employabilité en tourisme de croisière fait toujours des vagues. Cela, bien que l’ambitieuse Vision 2030 présentée par l’ancien Premier ministre, sir Anerood Jugnauth, en 2015, prévoyait l’embauche d’au moins 5 000 Mauriciens dans ce secteur. Nous avons essayé d’avoir des déclarations de trois anciens ministres du Tourisme, ainsi que de l’actuel en poste mais nos appels sont restés sans réponse. Quant à Arvind Bundhun, directeur de la MTPA, il nous a simplement affirmé ceci: «Je suis là pour promouvoir la destination et faire venir les bateaux de croisière, pas pour l’emploi. J’ai des chiffres à l’appui. On est en constante croissance en ce qui concerne les voyageurs et bateaux.»

Si l’employabilité du secteur, plébiscitée par les ministres du Tourisme successifs, ne semble pas être une préoccupation majeure, en revanche, les agents recruteurs s’en inquiètent. Selon eux, le nombre cumulatif de recrutements de Mauriciens pour les croisières sur quelques années d’opération varie entre 3 000 à 7 000, dépendant de l’agent. Les offres sont souvent nettement supérieures à la main-d’œuvre qui se montre intéressée.

D’où vient l’absence d’engouement ? Dave Goboodun, responsable de l’International Cruise Recruitment Services, critique le manque de formation des Mauriciens: «On ne crée pas des possibilités de formation car les gens ne sont pas intéressés. Ceux qui le sont se tournent vers Polytechnics Mauritius, le Mauritius Institute of Training and Development (MITD) ou vers l’hôtellerie. Bien sûr, les offres d’emplois se multiplient mais il n’y a pas suffisamment de candidats formés.» Dharmadev Gohee, ancien employé de croisières, reconverti dans le recrutement avec Shanti Recruitment Agency Co Ltd, observe d’ailleurs un tel manquement dans le domaine des soins esthétiques et l’industrie sportive plus particulièrement. Par conséquent, les chances de recrutement tombent... à l’eau.

De son côté, Satyam Reechoye, directeur de Vivaldi International Cruise Services Ltd, soutient qu’avec l’accroissement d’agents recruteurs pour différents opérateurs de croisière, le nombre de candidats se retrouve réduit et partagé. «Généralement, nous arrivons à remplir la plupart des demandes mais avons du mal pour les postes au département de cuisine/galley. Ces domaines demandent plus d’efforts et peu de Mauriciens choisissent d’y être postés», déclare-t-il. De plus, certains employés en profitent pour exiger des salaires mirobolants, déplore Dharamdev Gohee. «Si les Mauriciens disposent déjà d’expérience et sont sollicités par d’autres compagnies de croisière, ils vont argumenter pour exiger un salaire d’officier pour lequel ils ne sont même pas encore qualifiés. Par conséquent, les postes restent vacants».

Pour sa part, Thierry Goder, Chief Executive Officer d’Alentaris, affirme que l’envie de connaître d’autres pays comme l’Amérique ou l’Alaska, entre autres, s’est estompée dans le cœur des Mauriciens. «Avant, il y avait pourtant un exode des compatriotes pour les bateaux de croisière mais beaucoup sont retournés et ne sont plus repartis. C’est une vie assez dure avec de longues heures de travail. On gagne plus d’argent mais il faut faire beaucoup de sacrifices».

Justement, le salaire, largement supérieur par trois à quatre fois en croisière, ne fait-il plus d’émules? À titre d’exemple, un serveur peut gagner Rs 40 000 sans même compter les pourboires. Ces montants ne comprennent aucun impôt. Mais là encore, les Mauriciens ne sont pas séduits. «Avant ces salaires représentaient beaucoup car le coût de la vie était inférieur. Aujourd’hui, cela ne vaut peut-être plus la peine», confie Shalinee.

Comment le tourisme de croisière peut-il sortir la tête de l’eau ? Pour Dave Goboodun, il faut créer l’engouement pour les perspectives d’emploi dès le plus jeune âge chez les Mauriciens. «Le message ne passe pas. On a tiré la sonnette auprès des ministères mais en vain. Il faut nous donner les possibilités d’aller aux career guidances dans les établissements scolaires pour développer les opportunités.» Le recours aux candidats rodriguais est également envisagé. En effet, le recruteur y était récemment pour une job fair. À ce propos, Thierry Goder évoque les possibilités d’accords entre les pourvoyeurs de services locaux. Par exemple, il faudrait discuter entre hôteliers des collaborations. «Par exemple, les Mauriciens pourraient travailler pendant six mois sur des bateaux de croisière et les six prochains dans l’hôtellerie selon la haute ou basse saison.»

S’alignant sur la coopération du modèle européen, Dharmadev Gohee suggère des accords entre les agences de recrutement. «À Monaco, les agences œuvrent comme une seule chaîne. Donc, si moi j’ai des serveurs et un agent des cuisiniers, on fait un échange. C’est dommage que Maurice n’ait pas un tel système. On serait plus gagnant à s’entraîder», précise-t-il. Parallèlement, il compte lancer une école de formation pour les croisières en mars 2020.

Témoignages: ils ont quitté le navire

<h3 style="text-align: justify;">Jordan Vigoureux: &laquo;l&rsquo;Internet coûte très cher à bord...&raquo;</h3>

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<p style="text-align: justify;">Âgé aujourd&rsquo;hui de 26 ans, Jordan Vigoureux débute comme photographe à bord des bateaux de croisière en 2014. Puis il postule comme vidéaste. Il enchaîne trois contrats. <em>&laquo;Je filmais les soirées à bord, je partais en excursion avec les clients&raquo;, raconte-t-il. Ayant visité plus d&rsquo;une quarantaine de pays, il décrit les conditions : &laquo;J&rsquo;avais les cheveux longs et j&rsquo;ai dû les couper pour travailler ici. Puis, l&rsquo;Internet coûte très cher. 120 minutes vous reviennent à 20 dollars. Du point de vue mauricien, on est bien payé. Mais cela ne reflète pas le barème minimum d&rsquo;Amérique. C&rsquo;est pour cela que vous ne verrez pas à bord beaucoup d&rsquo;Américains à moins qu&rsquo;ils occupent des postes de haute facture&raquo;.</em> Par conséquent, les emplois réguliers (cuisiniers, serveurs, entre autres) sont davantage occupés par des Indiens, Ukrainiens, Mauriciens ou encore des Jamaïcains. Après quatre ans, il a cessé d&rsquo;y travailler et planche sur un projet personnel de création de mini-séries.</p>

<h3 style="text-align: justify;">Kevin Akshay Raghoobeer est désormais à son propre compte</h3>

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<p style="text-align: justify;">Après deux ans dans l&rsquo;hôtellerie, Kevin Akshay Raghoobeer, alors 23 ans, tente l&rsquo;aventure des bateaux de croisière. <em>&laquo;Comme je suis photographe, j&rsquo;ai soumis mon portfolio et mon CV. On exigeait le School Certificate. Après deux mois, j&rsquo;ai été recruté.&raquo;</em>&nbsp;Cap sur les États-Unis. Le premier mois est dur : isolement, accomplissement des tâches ménagères, conservation du passeport par les responsables à bord. Mais graduellement, le jeune homme s&rsquo;adapte. Au bout de cinq ans, il complète six contrats. Chacun dure entre six mois et neuf mois. Visitant plusieurs pays dont le Mexique, la Jamaïque, Hawaii, la Thaïlande, la Malaisie, entre autres, et touchant un salaire élevé, il rend son tablier.<em> &laquo;Je voulais toujours travailler à mon compte. À chaque fois que je revenais, j&rsquo;achetais des équipements. À bord, c&rsquo;était dur. On est seul, sans sa famille. Et on travaille sept jours sur sept. J&rsquo;avais également beaucoup de pression comme je gérais une équipe de 20 photographes.&raquo;</em>&nbsp;Kevin Akshay Raghoobeer possède maintenant son propre studio de photographie.</p>