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Yves Chan Kam Lon: «Si je n’interviens pas, la Bibliothèque Nationale va dépérir»

4 février 2020, 09:28

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Yves Chan Kam Lon: «Si je n’interviens pas, la Bibliothèque Nationale va dépérir»

Yves Chan Kam Lon a décidé de sortir de sa réserve. Il dit nourrir de sérieuses inquiétudes quant au sort de son «ti baba», la Bibliothèque Nationale (BN). L’institution a eu 20 ans en décembre 2019. Faute de n’avoir «rien entendu» à cette occasion, l’ancien directeur dit craindre le déclin de l’institution

Vous avez scrupuleusement respecté votre devoir de réserve depuis la fin de votre mandat de commissaire de la Public Service Commission and Disciplined Forces Commission, en 2014. Pourquoi souhaitez-vous parler maintenant du sort de la Bibliothèque Nationale que vous avez dirigée, de sa création jusqu’en 2011?
Pour les 20 ans de la Bibliothèque Nationale (NdlR:crée en 1999, elle a ouvert ses portes en janvier 2000), mo pann tann narien. Quand j’étais le directeur, l’institution était tout le temps sous les projecteurs. Se mo ti baba sa. La BN ne s’est pas mise en place du jour au lendemain. Maurice est peut-être l’un des derniers pays au monde à établir une BN. Même les Seychelles ont eu une BN avant nous (NdlR:La Carnegie Library est devenue la National Library of Seychelles en 1978).

Pourquoi sortir de votre mutisme maintenant?
Si je n’interviens pas, la BN va dépérir. Je ne peux pas laisser faire ça. Il faut se ressaisir.

Plus concrètement, pourquoi faites-vous cela?
Je ne fais pas ça pour avoir une médaille. Je suis déjà Officer of the Star and Key of the Indian Ocean (OSK), pour ma contribution à la littérature. Mo sagrin. Le pays a besoin d’une BN solide pour poursuivre son développement. L’accès à l’information est un droit fondamental. Si l’information n’est pas organisée, elle n’a pas de valeur. Information should be at your fingertips. Pas comme dans les municipalités où on vous disait de revenir le lendemain. Quand vous reveniez, on vous disait que tout compte fait, on n’avait rien trouvé. Moi, j’avais pour principe de ne jamais laisser repartir quelqu’un bredouille.

Un exemple, on a aménagé plusieurs «corners», pour la Chine et d’autres pays encore.

Que reprochez-vous à ces coins de lecture?
En faisant cela, la BN néglige son devoir le plus important qui est la mémoire collective de l’île Maurice. La BN doit être solide et rassembler tous les documents produits à Maurice. Il y a tellement de choses publiées en ligne. On est à l’ère de l’e-government. Est-ce que la BN récolte toutes ces publications en ligne? Quand j’étais le directeur de la BN, je faisais le tour des éditeurs.

C’est prévu qu’ils déposent six copies de tout ce qu’ils publient à la BN.
La BN a-t-elle un système de contrôle efficace? J’allais aussi voir les maisons de disques. À l’époque, il y avait encore des cassettes. Lamédiathèque de la BN a été conçue grâce à la collection que j’avais commencée. 

Je crois fermement dans la formation du personnel. Plusieurs employés ont suivi des stages à la Bibliothèque Nationale de France et en Chine. Selon mes informations, maintenant, seule la responsable voyage. Il faut cultiver l’engagement des employés envers la BN, que ce ne soit pas que des gens qui travaillent de 9 heures à 16 heures. 

Il y a quatre types de bibliothèques: nationale, municipale, scolaire et institutionnelle. Si quelqu’un formé pour la gestion d’une bibliothèque municipale est envoyé dans une BN, il reproduit ce qu’il connaît. Au final, la BN finit par ressembler à une bibliothèque municipale. 

Je suis devenu directeur de la BN en avril 1999. Laissez-moi revenir sur les débuts. On m’a mis dans un petit bureau, à Astor Court, pas même au ministère des Arts et de la culture. Kouma dir enn kazot. Pas de téléphone, rien.

Mais vous avez déjà un titre de directeur?
Ça, c’est l’histoire. Je végétais. Après deux, trois semaines, monn koumans rebel. J’ai réclamé du personnel et un emplacement. On m’a donné une personne. Elle travaille toujours à la BN. On nous a envoyés au Fon Sing Building, dans l’espoir qu’on aurait un bâtiment un jour (NdlR:20 ans après sa création, la BN est toujours au Fon Sing Building, rue Edith Cavell, Port-Louis). On avait déjà trouvé un endroit. Zot dir li pa bon, me pou MBC li bon. (NdlR:il s’agit de l’emplacement actuel de la Mauritius Broadcasting Corporation à Moka). On avait négocié avec Mon Désert Alma, pour un autre terrain vis-à-vis de l’entrée du Mahatma Gand-hi Institute. Fini gagne tou.

Que s’est-il passé?
En l’an 2000, on conseille de faire une Culture House, met tou ansam. (NdlR: le projet initial était de regrouper tous les services du ministère de la Culture. Par la suite, le projet est de regrouper la BN et les Archives nationales dans un seul bâtiment). C’est là qu’on a noyé la BN. L’emplace-ment de la MBC était idéal. Une BN doit être soit dans la capitale, soit dans une région universitaire. 

Quand j’ai contribué à la National Library Act, le poste de directeur de la BN a été élevé au même rang que celui des Archives nationales:il fallait un double Master, dont un obligatoirement dans les sciences bibliothécaires. C’était inspiré du modèle indien. Mais quand il y a des appels à candidatures, zot pa gagne. C’est là qu’on a revu les critères à la baisse. It won’t serve the purpose.

Quels sont vos diplômes?
J’ai un Master en lettres modernes et un Master en bibliothécomie. Quand j’étais à la BN, j’encourageais le personnel à poursuivre des études, pour me remplacer un jour. Savez-vous que dans le personnel de la BN, il y a quelqu’un qui a un doctorat?

Il y a des cours en Inde, en France, en Angleterre, en Amérique. L’État dit que c’est une priorité, pourquoi ne pas demander de l’aide des pays amis pour des formations? C’est comme cela que je suis allé à la Columbia University à New York. Je suis un boursier Fulbright. J’ai choisi Columbia parce que c’est là-bas que la première School of Library Science a été lancée. Melvin Dewey (NdlR:l’inventeur d’une méthode de classification des livres qui porte son nom) a été prof là-bas.

Aujourd’hui des gens qui ont commencé comme Library clerk à la BN, ont fait des études. Ils sont devenus chefs libraires dans des municipalités ou des écoles. Apre avoy sa mem pou asiz lor board BN.

La nomination du président du conseil d’administration de la BN est politisée. Auparavant, le président était un universitaire de calibre, le professeur Goolam Mohamedbhai, qui était vice-chancelier de l’université de Maurice. Aujourd’hui, le président est un enseignant du secondaire. Il y a un manque de vision.