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Leçons particulières: des centres payants prolifèrent sans aucun contrôle

31 janvier 2020, 20:00

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Leçons particulières: des centres payants prolifèrent sans aucun contrôle

Vantant leurs mérites sur Internet, ces «businesses» sont en plein essor actuellement. Quel est leur fonctionnement ? Et sont-ils même légaux ?

«Que votre fils ait réussi au Primary School Achievement Certificate (PSAC) ou pas, on sera là pour l’accompagner. Ma collègue dispense des cours de préparation et, moi, je m’occupe du cycle secondaire», déclare un enseignant posté dans un tuition centre des Plaines-Wilhems. Un autre, spécialisé en informatique, dit faire partie d’un centre de cours particuliers dans l’Est avec une vingtaine d’enseignants. Chacun est évidemment attelé à sa matière. «Si vous allez sur notre page Facebook, vous verrez que la majorité de nos élèves ont eu de bons résultats. Moi-même, j’exerce dans ce domaine depuis sept ans», confie-t-il. 

Ces derniers temps, bon nombre d’enseignants déploient davantage leurs services dans des instituts de cours particuliers. Leur présence en ligne est des plus remarquées. Comment opèrent-ils ? Généralement, il n’y a pas de frais d’entrée ni de critères spécifiques exigés pour l’admission de l’enfant. En revanche, s’il a échoué au PSAC, on vous suggérera des cours particuliers et l’examen comme candidat privé avant de poursuivre le reste de la scolarité au centre en question. À partir de Grade 7 (Form I), la durée des cours varie de deux à six heures. Ils se tiennent en semaine ou le samedi. Quel est le prix ? «Pour les Grades 7 et 8, cela coûte Rs 400 par sujet mensuellement. Maintenant si l’élève combine deux matières, cela peut revenir à Rs 350 chacune», précise un des professeurs. Dans d’autres cas, le cours est à Rs 500. Et avec la montée en grade, les tarifs sont tout aussi élevés mais nos interlocuteurs ne dévoilent pas les chiffres. De même, quelques-uns proposent aux élèves d’acheter des livres qu’ils utiliseront uniquement dans ces centres. Côté infrastructures, certains prestataires disent être munis de classes équipées de téléviseurs et de projecteurs pour favoriser un «environnement d’apprentissage adéquat».

Bouées de sauvetage

À première vue, ces centres de cours particuliers sont perçus comme des bouées de sauvetage pour les enfants recalés. Mais leur mode opératoire fait sourciller les spécialistes de l’éducation. À l’instar de Soondress Sawmynaden, président de l’Association des recteurs et assistants-recteurs des collèges d’État. Ce dernier critique l’absence de contrôle de ces établissements qui poussent comme des champignons. «Avec la compétition pour le Grade 9 et pour décrocher une place dans les académies, ce business s’est tissé. Bien sûr, il y a l’offre et la demande des parents mais le manque de contrôle est déplorable», déclare-t-il. Selon lui, chaque établissement de cours privés y va de son prix, cursus et règlements. Pire encore, affirme-t-il, la majorité de ces centres n’adhèrent à pratiquement aucune autorité. Il cite notamment la Mauritius Qualifications Authority (MQA) auprès de laquelle ceux-ci n’ont aucune obligation d’affiliation puisqu’ils «n’octroient aucun certificat» pour les «leçons».

En revanche, précise Reshma Sumputh Ramchurn, directrice et rectrice de Full-Day Sumputh Secondary School à Curepipe et Rose-Hill, tout centre, s’adonnant à cette activité, devrait détenir un permis de la Private Secondary Education Authority (PSEA). Chose qui bien sûr n’est pas une réalité : «Nous sommes classifiés comme une PSEA non grant-aided school. On est donc sous son contrôle et on doit respecter plusieurs critères comme avoir des professeurs qualifiés, dispenser des cours appropriés. Le recours vers ces centres sans permis est au risque des parents.»

Un autre facteur inquiète: l’enregistrement de ces centres comme entreprises. Selon un responsable de la Companies Division, la plupart de ces établissements ne sont pas enregistrés :«On n’a pas de codification pour cette activité de cours particuliers. Puis, la plupart ne le feraient pas car c’est plus lucratif ainsi.» D’ailleurs, nous avons vérifié si plusieurs établissements figuraient sur le système en ligne de la Companies Division mais en vain.

Un élément qui sème également le doute sur la qualité de l’enseignement qui y prévaut, soutient Lindsay Thomas, recteur du collège du Saint-Esprit : «Dans le temps, il y avait quelques professeurs particuliers qui avaient les compétences, une dévotion aux élèves et qui assuraient la qualité. Ils avaient bâti leur notoriété grâce aux cours magistraux. Là, ces centres particuliers y trouvent leur compte, à voir leur foisonnement.»

«Cercle vicieux»

Selon lui, ils disposent de leur propre mode opératoire et ne répondent d’aucune autorité. «Il semble qu’ils n’aient nullement besoin du feu vert de qui que ce soit», soutient-il. À ce sujet, Soondress Sawmynaden évoque le besoin d’un système de contrôle comme préconisé dans le primaire. «Dans notre cas, nous avons été institués pour aider les parents et non pour capter des opportunités lucratives. D’ailleurs, notre tarif a été élaboré pour les familles à moyens et faibles revenus», ajoute Reshma Sumputh Ramchurn. Pour tous les sujets confondus, les frais commencent à Rs 2 700 mensuellement.

De leur côté, les syndicalistes sont moins critiques à l’égard d’une telle pratique. Munsoo Kurrimbaccus, porte-parole de l’Union of Private Secondary Education Employees (UPSEE) souligne que les enseignants perçoivent les leçons particulières comme une institution : «Aujourd’hui, il est primordial pour un enseignant de donner des leçons.» Selon lui, cela arrive que plusieurs enseignants se regroupent pour louer un bâtiment et ouvrir un centre pour donner des leçons particulières.

Même son de cloche du côté du porte-parole de la Fédération des managers des collèges privés, Basheer Taleb : «C’est un cercle vicieux. Les parents ont tendance à croire que leurs enfants ont impérativement besoin de leçons particulières pour réussir leur examen. Et quand il y a une demande, les professeurs profiteront pour proposer leurs services.» De plus, notre interlocuteur souligne que les tuition centres sont vus comme des «petits instituts». «Les enfants s’y rendent afin d’avoir plus d’attention particulière, comment pourront-ils être aidés s’ils sont à dix dans une classe ?»

Petites ou pas, ces entreprises de «leçons» s’insèrent davantage dans le système éducatif et cela, sans contrôle. Selon Robin Phoolchund, directeur de la MQA, seuls les centres dispensant de la formation professionnelle et technique nécessitent une affiliation à cette instance. Les tuition centres n’ont donc pas cette obligation...