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Discours-programme: la culture réduite à «enn ti mo»

29 janvier 2020, 12:23

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Discours-programme: la culture réduite à «enn ti mo»

Cinq ans d’actions futures résumées en six lignes. Le discours-programme a été prononcé le vendredi 24 janvier, à l’Assemblée nationale, par Pradeep Roopun, l’ancien ministre des Arts et de la culture devenu président de la République. Il n'a réservé qu'une toute petite place à une filière classée parmi les «secteurs émergents».

Nirveda Alleck: «Nous en avons assezdes idées ‘one-off’»

UN programme qui résume les intentions du gouvernement, au sujet des industries créatives en «37 mots». C’est ce que retient la plasticienne Nirveda Alleck. Si on mentionne les «infrastructures appropriées», les «plans», la «politique de tourisme culturel» et l’augmentation des opportunités, «on rate le point principal». Celui que les professionnels des secteurs créatifs réclament depuis ces derniers 10 ans ou plus. C’est-à-dire, une politique culturelle viable. «Nous en avons assez des idées «one-off» d’administrateurs de l’État qui prétendent savoir ce dont ces secteurs ont besoin».

Pour Nirveda Alleck, il est grand temps que les autorités se tournent vers les professionnels des industries créatives pour définir une politique culturelle appro-priée. Et créer un National Arts Council composé de «vrais professionnels des arts».  

Avinash Teeluck:  «Ce qui a été dit est suffisamment encourageant»

La culture tient peu de place dans le discours programme 2020-2024. Pour Avinash Teeluck, ministre des Arts et du patrimoine culturel, «ce qui a été dit est suffisamment encourageant. Cela va dans le sens du manifeste électoral». Il souligne l’accent mis sur le tourisme culturel, une «nouvelle direction pour les arts et la culture à Maurice. Nous voulons que ce secteur contribue à l’économie». Avant d’ajouter que des discussions sont déjà entamées avec le ministère du Tourisme. «Mais je ne vais pas m’étaler sur les stratégies à venir. Ce serait prématuré». Il indique seulement que l’objectif est de développer un plan réalisable à court, moyen et long terme. 

Le discours-programme ne mentionne pas le patrimoine. Alors que le nom du ministère a changé d’Arts et culture pour Arts et patrimoine culturel. Avinash Teeluck pointe alors en direction  du «after school programme». Une mesure qui prévoit que les élèves de 8 à 14 ans, pratiqueront des activités artistiques et apprendront davantage sur le patrimoine culturel national. 

Qu’en est-il des «infrastructures appropriées» dont parle le discours-programme ? Avinash Teeluck men-tionne le projet de stade musical. Il dit seulement, «nous allons bientôt annoncer quelque chose en ce sens».

Tourisme culturel

Le «case-study» de la musique classique

Le discours-programme prévoit «l’élaboration d’une politique forte de promotion du tourisme culturel».Parmi ceux à s’y être déjà essayé: Paul Olsen d’Opera Mauritius. En 2010, avec l’opéra Carmen, une collaboration avec un tour-opérateur de Vienne en Autriche avait eu, «un petit succès», se souvient Paul Olsen. Le forfait comprenait le billet d’avion, l’hébergement et des places VIP pour le spectacle. Une «cinquantaine» d’amateurs s’est déplacée et un certain nombre est venu, «par ses propres moyens». Mais pour que cette formule  marche, «il faut préparer les productions au moins deux ans à l’avance», insiste Paul Olsen. 

Autre forfait possible: faire venir une tête d’affiche «du top niveau mondial», comme le pianiste virtuose chinois Lang Lang ou la soprano Anna Netrebko. «Sauf que leur cachet est très élevé. Entre Rs 3 millions à Rs 4 millions pour la soprano». Pour que ce soit réalisable, Paul Olsen plaide en faveur du «sponsoring» de l’État, qui, «doit mettre la main à la poche». Tout en soulignant encore une fois qu’il faut «s’y prendre longtemps à l’avance».

L’expérience a montré, affirme Paul Olsen que, inciter des touristes qui sont déjà dans les hôtels à aller voir un spectacle en particulier, «cela ne marche pas. Il faut attirer des gens qui décident de venir à Maurice, par exemple pour voir une vedette dans un cadre différent». Paul Olsen souligne que c’est «dans cet esprit que nous avons aidé le Caudan Arts Centre à se doter d’un piano Steinway». 

Le tourisme culturel, «ce n’est pas que pour voir un concert, mais aussi pour voir du pays», explique Paul Olsen. Il cite l’agence My Moris qui propose des immersions dans la vie locale, à pied ou à vélo. Avec dégustations du streetfood et rencontres avec des artisans. «C’est un bon complément». Paul Olsen mentionne également les tours opérateurs spécialisés dans les croisières. «On peut faire coïncider l’arrivée d’un bateau avec une manifestation culturelle et vendre cela à l’avance aux croisiéristes».

Les  formules ne manquent pas, selon Paul Olsen. Comme celle d’un spectacle permanent destiné à la clientèle touristique. «Comme Le Lido ou les Folies Bergères à Paris. À Maurice, on a déjà essayé à la Citadelle, mais cela a été un flop».

Qu’en est-il des atouts du patrimoine ? Dans le domaine du lyrique, le théâtre de Port-Louis (fermé pour rénovation depuis 2008) pourrait, «avoir un rôle essentiel».  Il cite l’exemple d’un théâtre au Brésil, «qui se présente comme le plus vieux de l’hémisphère sud. Les meilleurs chanteurs lyriques du moment veulent pouvoir mettre sur leur carte de visite qu’ils ont chanté là-bas».

Dépossession des terres

Nouvel espoir d’une Land Division

Une demande qui date de 2011. Celle  de créer la Land Division (un tribunal spécialisé dans les cas de dépossession des terres) à la Cour suprême. Le discours-programme prévoit non seulement ce nouveau tribunal mais aussi la création d’un Land Research & Monitoring Unit. Pour Vijaya Teelock, historienne qui a été vice-présidente de la Commission justice et vérité, «il était temps. Cela fait des années que nous demandons cela».

Ces institutions vont de pair, car avant que les cas ne soient pris sur le fonds par la Land Division, il faut «soutenir ceux qui n’ont pas les moyens de faire des recherches en prenant en charge les frais de notaires et d’avocats».

ll faut aussi des spécialistes pour «déchiffrer les documents anciens comme les actes notariés». Y a-t-il de telles compétences localement ? Vijaya Teelock rappelle que, «la Commission justice et vérité avait formé des gens à la transcription de documents». L’historien Richard Allen, auteur de Slaves, Freedmen, and indentured Laborers in Mauritius (1999) avait aussi fait le déplacement.

La Commission justice et vérité avait également recommandé un Notarial Acts Database, une base de données regroupant les actes notariés, pour faciliter les recherches. «Le software avait déjà été mis en place, mais le projet n’a pas continué», déplore-t-elle. 

Discours-programme de 2015

Le précédent discours-programme présenté en 2015 promettait entre autres: 

  • Une «School of Arts» pour un apprentissage global en musique, danse, peinture et théâtre. 
  • Un National Centre for Performing Arts et la création d’une troupe nationale.
  • Une refonte du Mauritius Film Development Corporation, pour «promouvoir le tourisme culturel, les pèlerinages et la production  cinématographique».
  • Des avantages pour les start-up des «entrepreneurs culturels». 
  • La mise en œuvre d’un projet portant sur le statut de l’artiste, pour assurer sa reconnaissance professionnelle, sociale et économique.
  • La création d’un musée  de l’histoire et de la culture mauricienne, des débuts à nos jours 
  • Un stade musical équipé des technologies dernier cri. 

Parmi les réalisations, figurent les amendements à la Copyright Act et une refonte de la Mauritius Society of Authors. Ainsi que la création du National Arts Fund qui propose quatre types de subventions.