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Naveena Ramyad: Le désir de rester élégante dans le propos comme dans le ton

26 janvier 2020, 11:25

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Naveena Ramyad: Le désir de rester élégante dans le propos comme dans le ton

Comme l’exige sa fonction, Naveena Ramyad, première députée à avoir été nommée Chief Whip du gouvernement, fera le pont entre ses homologues de la majorité et ceux de l’opposition dont ceux du Mouvement Militant Mauricien (MMM) qu’elle connaît bien pour avoir longtemps fait partie du sérail mauve. Quelles que soient les circonstances, elle entend rester digne et élégante tant dans le propos que dans le ton. 

Cette femme qui assume son âge – elle a 42 ans -, de même que son célibat, vient d’un milieu modeste - son père Khemlall a commencé à la Compagnie Nationale de Transport comme chauffeur d’autobus pour finir contrôleur de trafic et sa mère Gautami a travaillé comme institutrice et a terminé sa carrière dans l’enseignement comme Head of Dance and Music, ses deux parents ont toujours valorisé l’éducation. 

C’est aussi le cas de ses grands-parents, les Bhagat, à qui elle est confiée après sa naissance. Son grand-père, B.M. Bhagat, est journaliste au Mauritius Times. La première langue qu’elle parle est le bhojpuri. «Je suis née et j’ai grandi dans une famille très traditionnelle mais qui accordait toute son importance à l’éducation.» Elle fréquente le Jules Koenig Government School et y apprend l’anglais et le français. La musique fait partie intégrante de sa vie car avant ses cinq ans, elle est initiée à la musique et aux chants classiques indiens. A la fin de son cycle primaire, plutôt que de l’envoyer dans un collège d’Etat, son grand-père choisit pour elle le Lorette de Rose-Hill. «Mon grand-père a estimé qu’il valait mieux que je sois admise dans un collège confessionnel catholique où non seulement la religion s’apprend mais se vit également.» 

Elle est toute aussi admirative de sa grand-mère, Bisesswaree Hanoomanjee, une femme avant-gardiste, qui, pour l’époque avait étudié jusqu’en Form VI, qui conduisait la voiture familiale et qui croyait dans le pouvoir de l’éducation pour les filles.  «Elle m’a toujours dit qu’avant de me marier, il fallait que je pense à mes études et que je vive mes rêves jusqu’au bout, c’est-à-dire que je m’enrichisse en voyageant et en découvrant le monde.» D’elle, Naveena Ramyad retient aussi cette phrase «Tu peux devenir ce que tu veux par tes propres moyens» et elle en fait sa devise.  Toutes ces raisons font d’elle «a modern girl in a traditional package.»

Dès la Form III, elle opte pour les matières scientifiques car elle veut devenir médecin et pas n’importe quel médecin. «C’était travailler pour Médecins Sans Frontières ou rien d’autre.» Sachant que son frère qui veut se faire pilote,  veut aller étudier aux Etats-Unis, elle sait aussi que ses parents ne pourront payer des études universitaires à l’étranger pour leurs deux enfants. Consciente du bon niveau de l’université de Maurice, elle se fait admettre à l’UOM et choisit la biologie marine «comme chemin alternatif pour arriver à la médecine» et pour lequel elle obtient un Bachelor in Science. En parallèle, elle poursuit ses études de musique et de chant auprès du Mahatma Gandhi Institute et décroche un Bachelor of Arts. «La biologie, je l’ai choisie avec ma tête alors que la musique, c’était avec mon cœur. Mais j’arrive à ne pas laisser mon cœur influencer ma tête et c’est toujours ma tête qui gagne.»

Politiquement, les Bhagat sont travaillistes et les Ramyad votent à l’époque pour le MMM. Ne voulant pas voter aveuglément, au milieu des années 90, Naveena Ramyad va voir du côté de l’aile jeune du PTr. Elle dit avoir trouvé une «instance très mal organisée et arrogante les Travaillistes étaient au pouvoir à l’époque» tandis que sa prospection du côté de l’aile jeune du MMM l’impressionne «en raison de la profession de foi envers de grands slogans comme le mauricianisme, le féminisme etc.». Si bien qu’elle adhère au MMM. «J’ai eu de très bons mentors dans ce parti et c’est là que j’ai appris à faire du social car j’y ai côtoyé notamment Sam Lauthan». 

Au niveau professionnel, à partir de l’an 2000, elle décide d’enseigner la biologie marine et la musique dans les collèges d’Etat. Elle le fait dans plusieurs établissements jusqu’en 2010, tout en continuant à étudier en ligne pour obtenir notamment un Master in Business Administration (MBA) général et un MBA en ressources humaines. Entre 2000 et 2005, elle prend un congé sans solde car sous le gouvernement MSM/MMM, Steven Obeegadoo est ministre de l’Education et il la recrute comme conseillère. Ce qu’elle retient de l’expérience ?  «J’y ai appris à me surpasser car les délais étaient très serrés». Un épisode particulier lui revient à l’esprit et c’est celui du jour des funérailles de son grand-mère. «J’étais au bureau et j’avais besoin de terminer un travail alors que Steven Obeegadoo était chez mes parents pour les obsèques. Ma famille a dû m’attendre arriver pour commencer les funérailles. Je me donnais à fond. C’était le travail, l’assiduité, la discipline, la précision. Ce passage à l’Education m’a montré que rien n’est impossible.»

Comme Naveena Ramyad a fait ses preuves au sein du MMM - elle a obtenu plusieurs nominations internes jusqu’à en être vice-présidente -, à l’approche des élections en 2010, un ticket lui est offert et elle est affectée dans la circonscription numéro 17. Elle démissionne en tant qu’enseignante et se fait connaître des électeurs de Curepipe/Midlands pendant un an et demi. A la veille du Nomination Day, on lui fait savoir qu’au final, elle sera remplacée par l’ancien chef de la médecine légale, Satish Boolell. «Ma déception était grande. Je ne savais pas s’il fallait avoir un bon patronyme,  de l’argent ou de l’influence pour avoir un ticket. J’ai dit ce que je pensais tout haut pendant 40 minutes au comité central. Autant Paul Bérenger m’a écoutée attentivement, autant j’ai eu très peu des soutiens des autres membres du parti. Ils estimaient qu’en disant ce que j’avais sur le cœur, je n’allais plus être dans les good books de Paul Bérenger et pour eux, j’étais devenue comme une lépreuse. Il fallait me tenir à l’écart ».

Elle décide alors de prendre du recul, tout en assumant l’échec du parti aux élections générales. En 2011, elle est recrutée comme enseignante de musique et de biologie marine au Mahatma Gandhi Institute. Elle reprend ses activités au MMM et au moment du renouvellement du comité central où elle siégeait déjà, elle envoie sa candidature. A sa stupéfaction, celle-ci est rejetée sous prétexte qu’elle risque de perdre son emploi si elle est élue au comité central. «Là, cela dépassait les bornes car ils avaient décidé pour moi. J’ai claqué la porte en me disant que la politique ou plutôt la realpolitik était trop sale et je n’en voulais plus.» 

Celui qui va l’en rapprocher en 2016, c’est l’actuel vice-président de la République, Eddy Boissézon, qui a quitté le MMM pour rejoindre le Mouvement Liberateur. Nommé ministre de la Fonction publique, il la recrute comme Senior Advisor du côté technique. C’est par le biais des dossiers qui lui passent entre les mains et des décisions prises par Pravind Jugnauth, à l’époque adoubé comme Premier ministre par son père, qu’elle découvre «les qualités» du fils de sir Anerood Jugnauth. «Je voyais, par les décisions qu’il prenait, qu’il y avait une volonté de faire bouger les choses, de moderniser le pays, sans faire du tapage, sans exhubérance.»

Difficile, pour ne pas dire impossible, de lui faire accepter le fait que Pravind Jugnauth n’avait pas la légitimité d’être Premier ministre après les élections de 2014 car SAJ ne l’avait jamais présenté comme tel aux électeurs. Naveena Ramyad réfute cet argument en disant avoir étudié le système parlementaire mauricien et que c’est la majorité parlementaire qui a décidé que Pravind Jugnauth succèderait à son père. «On ne peut comparer un système qui s’applique à un pays  au nôtre. C’est le Parlement qui décide qui devient Premier ministre», insiste-t-elle. 

En étant Senior Advisor, elle a l’occasion de mieux apprécier les décisions administratives et «le côté daring de Pravind Jugnauth, pas dans sa personnalité mais dans ses décisions. Il a pris des décisions que personne ne croyait qu’il prendrait. Il a eu du courage».

Si bien qu’à la dissolution du Parlement l’an dernier, lorsque le MSM lui propose un ticket, elle accepte et démissionne du MGI, même si elle est envoyée dans la circonscription de Rose-Belle/Vieux Grand Port qu’elle ne connaît nullement. «J’avais réalisé que pour pouvoir changer les choses, il fallait avoir le pouvoir et j’étais prête à faire le saut». 

Maintenant qu’elle est députée, sera-t-elle en mesure d’entériner une décision pour laquelle elle n’est pas d’accord au nom de la sacro-sainte responsabilité collective ? «Oui, je peux défendre une décision, même si je ne suis pas d’accord avec elle. Les convictions individuelles sont importantes mais les convictions collectives doivent primer en matière de social et de politique car les décisions qui en découlent n’affectent pas des individus mais la société dans son ensemble». Donc, on ne la verra pas démissionner suite à un désaccord. «Je n’ai pas démissionné du MMM. On m’a poussé vers la sortie. Je n’ai jamais démissionné d’aucune responsabilité que j’ai prise. Démissionner pour moi équivaut à abandonner. Si je ne suis pas d’accord avec une décision politique, je le dirai haut et fort à l’interne». 

Naveena Ramyad, qui a accumulé d’autres diplômes avec le temps – elle  détient un diplôme en Events Management auprès d’une université australienne, a un diplôme de journalisme pris auprès de l’Alliance française, a décroché un LLB auprès de l’université de Londres  et attend actuellement que sa thèse de doctorat en Quality Engineering soit validée -, se ronge les ongles «pas par nervosité mais par perfectionnisme».  

Dans sa nouvelle fonction, elle entend être une Chief Whip «proactive». Le fait d’avoir frayé avec le MMM pendant un temps «peut être un plus ou négatif. Je ne souhaiterais pas que les membres du MMM me ménagent parce qu’ils me connaissent mais parce qu’ils respectent mon intelligence. Je préfère gagner leur respect plutôt qu’on me le donne parce que j’étais un ancien membre du parti. Je resterai élégante». C’est ce que nous verrons bien…