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Téhéran et Washington vers une désescalade, mais l'Irak reste dans l'oeil du cyclone

9 janvier 2020, 14:00

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Téhéran et Washington vers une désescalade, mais l'Irak reste dans l'oeil du cyclone

Si l'Iran et les Etats-Unis semblent vouloir prendre la voie de la désescalade, l'Irak, de longue date ravagé par les guerres et les divisions, reste dans l'oeil du cyclone provoqué par les derniers raids et les représailles, assurent les experts.

L'Irak, entré en 1980 dans une guerre sanglante contre l'Iran et jamais vraiment ressorti de la violence depuis, «va rester une zone de conflit», par procuration, affirme Randa Slim, du Middle East Institute.

«Comme aucune véritable désescalade n'est garantie, on risque de continuer à voir des représailles des deux côtés en Irak», où l'Iran comme les Etats-Unis ont une présence ancienne, dit aussi à l'AFP Erica Gaston, de la New American Foundation.

Depuis des années, le deuxième producteur de pétrole de l'Opep tente d'exister dans l'étau imposé par ses deux parrains, l'Iran, voisin qui ne cesse d'étendre son influence, et les Etats-Unis, qui l'ont envahi en 2003 puis occupé durant huit ans.

Pro-Iran consolidés

Ces derniers jours, le rapport de force semble avoir évolué: en assassinant à Bagdad le général iranien Qassem Soleimani, émissaire de Téhéran en Irak, et Abou Mehdi al-Mouhandis, chef des forces pro-Iran dans le pays, Washington a perdu ses derniers soutiens publics locaux.

Bagdad «ne peut pas condamner publiquement l'Iran, car cela peut coûter cher auprès de l'opinion publique nationale au contraire de la critique des Etats-Unis», explique à l'AFP Ramzy Mardini, spécialiste de l'Irak.

Au sein même de l'Etat irakien, les pro-Iran n'ont cessé de gagner en puissance au Parlement, au gouvernement et au coeur des forces de sécurité.

Et, loin de l'arène politique, aux abords des bases abritant des soldats américains, dans le désert occidental ou dans les montagnes du Kurdistan, ce sont les factions entraînées et financées par Téhéran qui manient la menace.

Elles assurent maintenant avoir formé un front uni contre les Etats-Unis et leurs alliés régionaux, alors que ce sont déjà elles, selon Washington, qui tirent depuis des mois des dizaines de roquettes sur soldats et diplomates américains.

Si l'Iran, disent-elles, a vengé la mort de Soleimani, leur tour va venir de venger celle de Mouhandis.

Dans ce contexte, un dérapage est possible, relève Mme Gaston, car «le Hachd compte de nombreux miliciens en colère, décidés à se venger des Etats-Unis».

Face à eux, «les acteurs mineurs du système qui tentaient de garder la porte ouverte à Washington», comme le président de la République le Kurde Barham Saleh, le chef du Parlement le sunnite Mohammed al-Halboussi, ou encore les manifestants en révolte depuis le 1er octobre contre la mainmise de l'Iran, ne trouvent plus d'écho.

Mercredi, avant l'aube, l'Iran a tiré 22 missiles sur les forces américaines stationnées dans des bases irakiennes. «La nuit, il y a eu les représailles et, le jour, la consolidation politique et la domination des factions pro-Iran», résume auprès de l'AFP Toby Dodge, professeur à la London School of Economics.

Parallèle avec le Liban

Après l'assassinat de Soleimani à Bagdad, le Parlement a appelé le gouvernement à expulser toutes les troupes étrangères.

Mais, mercredi, quand l'Iran a riposté, les réactions officielles se sont faites plus tardives et plus mesurées.

Avant même l'assassinat de Soleimani, des milliers d'Irakiens pro-Iran pouvaient déferler au nez et à la barbe des forces de sécurité irakiennes, devant l'ambassade américaine à Bagdad.

Aujourd'hui, le Premier ministre démissionnaire Adel Abdel Mahdi, jusqu'ici considéré par beaucoup comme fini politiquement, peut se permettre de dénoncer un «assassinat politique» mené sur ordre de Donald Trump en personne et démentir avec véhémence les déclarations du Pentagone, mettant ce dernier dans l'embarras après l'envoi par erreur selon Washington d'une lettre annonçant un retrait des troupes.

Sur le plus ou moins long terme, avec ses 22 missiles tirés à l'heure exacte où la voiture de Soleimani a été pulvérisée par un drone américain, et le harcèlement des bases abritant des Américains via ses agents en Irak, l'Iran cherchera «à accélérer le départ des troupes américaines», dit M. Dodge.

Ces mêmes troupes qui envahissaient l'Irak il y a près de 17 ans, instaurant un système politique sur le modèle du Liban.

Aujourd'hui encore, en Irak, le parallèle revient souvent avec le Liban, pays entré dans 15 années de guerre civile en 1975 et toujours secoué par des guerres de procuration avec Israël, relève Mme Slim.

Le Liban est le théâtre où la Syrie et Israël «communiquent», dit-elle à l'AFP. 

«L'Irak pourrait devenir le théâtre pour l'Iran et les Etats-Unis», résume-t-elle.

Et là, il n'existe pas de force pour s'interposer comme la mission des Nations unies déployée le long de la frontière entre le Liban et Israël..., note Mme Slim.