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Dr Fan Chung: «Il est urgent d’améliorer la prestation des soins respiratoires et des traitements à Maurice»

4 janvier 2020, 20:00

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Dr Fan Chung: «Il est urgent d’améliorer la prestation des soins respiratoires et des traitements à Maurice»

Alors que la pollution fait rage dans plusieurs pays, le chercheur en maladies respiratoires, classé 1 047e sur 7 millions de scientifiques, mène plusieurs travaux pour comprendre et surtout trouver et proposer des traitements adéquats aux gens qui souffrent de cette pathologie.

Vous êtes dans le Top 0,01 % des scientifiques à travers le monde. Cela veut dire quoi ?

Ce classement a été fait après l’analyse des publications de recherche dans la littérature scientifique sur la base de leur qualité et de leur impact, à titre d’exemple, en fonction du nombre de fois où ces publications ont été citées par d’autres scientifiques. Cela permet de mesurer l’impact de mes recherches. C’est un sentiment des plus satisfaisants que de voir que ces années de ma vie, passées à faire de la recherche dans le domaine des sciences respiratoires et de la médecine, ont au moins été bénéfiques dans l’ensemble et avec un impact significatif. C’est aussi une satisfaction pour ceux qui ont travaillé avec moi dans mon laboratoire et les nombreux collaborateurs avec qui j’ai travaillé car la recherche de nos jours devient de plus en plus un effort d’équipe et de collaboration entre plusieurs équipes.

Comment votre carrière a-t-elle pris cette direction ?

L’idée de faire de la recherche m’est venue quand j’étais encore étudiant en médecine à Londres, dans les années 70. J’ai réalisé l’énorme manque de compréhension de ce qui est à la base de la cause des maladies et l’absence de méthodes pour étudier les processus pathophysiologiques. La révolution apportée par la découverte du code génétique et les progrès réalisés dans les domaines de la biochimie et de la pharmacologie ont également été déterminants. Toutefois, le facteur le plus important a probablement été l’idée de devoir passer ma carrière à gérer des patients avec des traitements inadéquats ou inexistants. Je voulais être aussi en mesure de contribuer à améliorer ces traitements. Finalement, mes deux années passées en tant que chercheur à l’Université de Californie, à San Francisco, ont scellé ma décision de faire de la recherche. Ma carrière a été à la fois active dans la pratique clinique et en parallèle engagée dans la recherche tant fondamentale que clinique et translationnelle. Heureusement, mon poste dans un établissement universitaire comme l’Imperial College m’a permis et continue de me permettre de faire les deux. Autre avantage d’être à Imperial College, c’est la possibilité de collaborer avec des experts dans d’autres disciplines dont celles de la physique, la chimie, les matériaux et la bioinformatique.

Actuellement vous vivez à Londres. À quoi ressemble une semaine normale pour un scientifique de votre niveau ?

La semaine «normale» est un mélange de travail clinique avec des malades, des activités liées à la recherche telles que la gestion de l’équipe, des réunions pour discuter des travaux de laboratoire et des résultats, assister à diverses réunions administratives, participer à des conférences médicales et scientifiques et la rédaction d’articles scientifiques, des soumissions de demande de subventions, entre autres. En outre, je contribue à l’enseignement à tous les niveaux du cycle universitaire. En sus de ces activités, je m’occupe des collaborations que je continue à entretenir avec des équipes aux quatre coins du monde. La semaine est donc très chargée.

«Il y a eu des progrès énormes dans le traitement des maladies respiratoires qu’on ne trouve pas encore à maurice.»

En quoi consistent vos travaux de recherche ?

Mon équipe se concentre sur la compréhension des mécanismes pathophysiologiques des maladies pulmonaires, en particulier l’asthme et la bronchite pulmonaire chronique obstructive et dernièrement, nous nous sommes intéressés à la façon dont les facteurs externes tels que la pollution environnementale à laquelle nous sommes de plus en plus exposés, la fumée de cigarette, entre autres, peuvent attaquer les poumons et les voies aériennes. Nous étudions aussi l’effet des infections tant bactériennes que virales au niveau des bronches et la réponse immunitaire à ces facteurs. Dans l’ensemble, nous appliquons ce que nous découvrons dans nos recherches au chevet du patient, c’est-à-dire une recherche tant appliquée que translationnelle : il s’agit évidemment de la découverte de nouveaux traitements mais surtout d’une médecine personnalisée ou de précision appliquée aux maladies respiratoires.

Comment votre expertise, vos recherches et vos travaux peuvent-ils aider à Maurice ?

Il y a beaucoup à faire à Maurice en termes de maladies respiratoires et de médecine respiratoire à tous les niveaux. Tout d’abord, nous avons vraiment un manque d’informations précises sur l’étendue des maladies respiratoires à Maurice. Les données recueillies par les services hospitaliers démontrent que les infections respiratoires, l’asthme et la bronchite pulmonaire chronique obstructive sont des conditions répandues à Maurice, mais nous avons besoin de chiffres plus précis. Les maladies respiratoires font partie des maladies non transmissibles et constituent un facteur important contribuant au taux de mortalité dans de nombreux pays (données de l’OMS), bien qu’à Maurice, le diabète est la maladie non transmissible la plus importante.

Deuxièmement, il y a l’aspect de santé publique de médecine préventive qui pourrait être engagée si nous avions plus de données sur les facteurs qui pourraient être la cause des maladies respiratoires dans le contexte mauricien. Un exemple est l’étendue de la consommation de tabac et des cigarettes électroniques où le niveau d’exposition personnelle à la pollution de l’environnement n’est pas clairement connu.

Troisièmement, et le plus important, il est urgent d’améliorer la prestation des soins respiratoires et des traitements à Maurice afin que tous les Mauriciens aient accès aux meilleurs traitements disponibles comme dans d’autres pays dont ceux en Europe. Il y a eu des progrès énormes dans le traitement des maladies respiratoires qu’on ne trouve pas encore à Maurice. Dans tous ces aspects, mon expertise tant clinique que de recherche pourrait aider à aborder le grand problème des maladies respiratoires à Maurice.

Vous êtes aussi auteur de plus de 600 articles. Quel est l’impact de ces publications ?

Ces publications découlant de mes travaux de recherche ont eu un impact très significatif comme l’a démontré mon récent classement en 1 047e position sur 7 millions de scientifiques de toutes catégories confondues. Si je peux me concentrer sur les publications récentes, nous avons décrit les différents types d’asthme qui existent selon une classification des gènes qui caractérisent chacun de ces phénotypes, ce qui aura un impact sur la personnalisation du traitement de l’asthme, que j’ai déjà mentionné. Une autre série de mes publications traite de l’effet d’être exposé à la pollution de l’environnement sur le système respiratoire et cardiovasculaire et son impact néfaste sur les effets bénéfiques de l’exercice comme la marche, publiée dans la revue médicale The Lancet, l’année dernière. Cette dernière publication a été grandement discutée dans la presse mondiale. Mes publications auront certainement un impact sur l’île Maurice et les Mauriciens.

Quels sont vos projets ?

Cette année, mon équipe a réussi à obtenir des fonds importants pour poursuivre plusieurs projets de recherche dans les domaines déjà abordés. En ce qui concerne la pollution de l’environnement, nous continuerons à étudier l’impact de la pollution sur la santé respiratoire et sur les maladies au niveau de l’individu, et comment le réduire. Ce travail qui est réalisé en partie à New Delhi (l’un des endroits les plus pollués au monde aujourd’hui) et à Londres permettra de mesurer l’exposition à la pollution chez chaque individu, en plus de la réponse respiratoire à l’aide de capteurs personnels.

Nous mesurerons également la réponse des cellules de l’individu à la pollution à laquelle il est exposé et en faisant une modélisation complexe, nous déterminerons la sensibilité de chaque individu aux effets de la pollution. Ces techniques pourraient être appliquées à Maurice pour déterminer l’impact de la pollution sur la population mauricienne.

Dans le domaine de l’asthme, nous continuons à poursuivre l’application de la médecine personnalisée ou de précision en comprenant un peu plus ce qui est à la base des symptômes de l’individu asthmatique. Ce faisant, nous développons des biomarqueurs qui seront utilisés pour caractériser chaque individu souffrant d’asthme.

Au niveau plus fondamental, nous utiliserons des techniques qui nous permettront d’étudier le profil génétique des cellules asthmatiques en utilisant une technique de pointe, par exemple, le séquençage de l’ARN au niveau de cellule unique. Cela nous mènera à la découverte de mécanismes de l’asthme. Nous espérons que ces découvertes mèneront à de nouveaux traitements. Je pense qu’ici encore, les résultats de cette recherche s’appliqueront certainement à l’île Maurice où il y a une forte prévalence d’asthme.