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Patrimoine mondial de l’Unesco: le séga tambour des Chagos a frayé son chemin

12 décembre 2019, 22:20

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Patrimoine mondial de l’Unesco: le séga tambour des Chagos a frayé son chemin

«C’est une fierté pour les Chagos et le peuple mauricien. Ce n’était pas gagné d’avance. Avant même qu’on ne s’envole pour la Colombie, l’evaluation body avait prévu de renvoyer le dossier. On était parti contre vents et marées», confie Avinash Teeluck, ministre des Arts et du Patrimoine culturel, qui dirigeait la délégation mauricienne à Bogota, en Colombie. La décision du renvoi du dossier avait été faite à la lumière des observations de l’evaluation body.

«Celui-ci avait trouvé qu’il n’y avait pas eu suffisamment de consultations, la participation des familles et la communauté chagossienne laissait à désirer, ou il y avait encore des manquements au niveau du plan de sauvegarde. On a apporté les clarifications nécessaires lors du débat, mardi», explique le responsable du dossier, Shivajee Dowlutrao, l’officer in charge du National Heritage Fund (NHF).

En effet, une fois la délégation mauricienne arrivée à Bogota, il y a eu tout un lobby qui s’est mis en branle auprès du comité technique. «C’était un gros travail. On a parlé de l’importance et surtout de l’urgence de cette inscription. Et mardi, les 24 pays qui font partie du comité intergouvernemental de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel ont adopté notre motion à l’unanimité. Le dur labeur a payé», se réjouit le ministre de l’Art et du patrimoine culturel, Avinash Teeluck. Il se dit satisfait du devoir accompli. «Je savoure toujours cette victoire remplie de symbolisme. Car elle a été remportée un 10 décembre qui marque la Journée internationale des droits humains. On connaît le combat des Chagossiens.»

Autre membre de la délégation, Olivier Bancoult, leader du Groupe Refugiés Chagos, abonde dans le même sens. «Les droits des Chagossiens sont toujours bafoués par les Britanniques. Tout comme les esclaves s’exprimaient à travers le séga, on le fait à travers le nôtre. C’est un accomplissement important. On a toujours considéré notre culture comme un élément clé de notre histoire. D’ailleurs, la musique chagossienne est reprise par les Mauriciens. » Il a rendu hommage à toutes ces personnes, dont certaines ont disparu, qui ont contribué à préserver cet aspect de la culture chagossienne.

Pour Olivier Bancoult, peu importe les différences entre des Chagossiens, «mo pa trouv enn ki kapav pa kontan sékinn arivé la. Maintenant, la prochaine étape consiste à mettre les pieds sur les Chagos», dit-il. La délégation mauricienne sera de retour au pays dimanche.

Sollicitée, Mimose Furcy, qui dirige le Groupe tambour Chagos depuis 20 ans, ne cache pas sa joie et sa fierté. «J’ai appris la bonne nouvelle, mercredi matin. Vu qu’on avait dit que le dossier allait être renvoyé, je n’étais pas sûre à 100 % qu’on allait remporter cette victoire.»

 

 


Qui dit «Patrimoine culturel» dit…

<p style="text-align: justify;">Il s&rsquo;agit, selon l&rsquo;Unesco, d&rsquo;un terme générique qui couvre différents types de patrimoine. Le patrimoine culturel est, en effet, subdivisé en deux catégories. À savoir le patrimoine culturel matériel et le patrimoine culturel immatériel. Le premier comprend le mobilier (peintures, sculptures, monnaies, instruments de musiques, armes, manuscrits) ; l&rsquo;immobilier (monuments, sites archéologiques) ; et le subaquatique (épaves de navire, ruines et cités enfouies sous les mers). Ensuite, dans la catégorie patrimoine culturel immatériel, on retrouve des traditions orales, des arts du spectacle et des rituels. Puis, il y a le patrimoine naturel qui comprend des sites naturels ayant des aspects culturels, tels que les paysages culturels, les formations physiques, biologiques ou géologiques. Ou encore le patrimoine naturel qui concerne le patrimoine culturel en situation de conflit armé.</p>

<h3 style="text-align: justify;">L&rsquo;inscription certes, mais plus encore ?</h3>

<p style="text-align: justify;">Après avoir obtenu la reconnaissance auprès de l&rsquo;Unesco, l&rsquo;État concerné est appelé à mettre en oeuvre le plan de sauvegarde proposé au comité intergouvernemental de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel. Dans le présent cas, le gouvernement mauricien est appelé à soumettre un rapport concernant la mise en oeuvre de ce plan d&rsquo;ici deux ans. <em>&laquo;Si on ne respecte pas nos engagements, on peut même perdre cette inscription. Tout comme si on parvient à sauvegarder cette culture et qu&rsquo;ainsi elle ne soit plus en danger, on peut demander que le séga tambour sorte de la liste de sauvegarde urgente pour passer à la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l&rsquo;humanité&raquo;</em>, explique l&rsquo;officer in charge du NHF Shivajee Dowlutrao.</p>

 

 

 

Six critères pour l’inscription sur la liste de sauvegarde urgente

Contrairement au «séga tipik», «Geet Gawai» et «séga tambour» de Rodrigues inscrits sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, le «séga tambour» des Chagos a, lui, été inscrit sur la liste de sauvegarde urgente. Quels sont les critères pour être inclus dans cette catégorie ? Il y en a six. D’abord, dans son dossier de candidature, l’État soumissionnaire doit s’assurer que l’élément soumis constitue un patrimoine culturel immatériel, tel que défini dans la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel. Ensuite, il faut prouver que l’élément nécessite une sauvegarde urgente car sa continuité est en péril. Et ce, en dépit des efforts faits par la communauté, le groupe ou, le cas échéant, les individus et le gouvernement. Ou encore que l’élément se trouve dans une extrême nécessité urgente de sauvegarde car il fait l’objet de menaces sérieuses auxquelles il ne pourrait survivre sans préservation immédiate. Puis, l’État doit élaborer un plan de sauvegarde pour permettre aux concernés de poursuivre la pratique et la transmettre. La soumission doit être faite au terme de la participation la plus large possible des personnes concernées, avec leur consentement. Elle doit figurer dans un inventaire du patrimoine culturel immatériel présent sur le territoire du soumissionnaire, comme stipulé dans ladite convention. Et finalement, dans des cas d’extrême urgence, il faut que le soumissionnaire ait été dûment consulté sur la question de l’inscription de l’élément, conformément à la convention.

 

 


Après le séga tambour…

<p style="text-align: justify;"><em>&laquo;What&rsquo;s next&raquo; </em>après l&rsquo;inscription du séga tambour des Chagos ? Le NHF travaille sur une liste de propositions reçues. <em>&laquo;Ce sont des propositions faites par des communautés, concernant des éléments qui, selon eux, méritent d&rsquo;être inscrits à l&rsquo;Unesco. On doit voir si ces propositions répondent aux critères d&rsquo;une inscription. Puisqu&rsquo;il ne nous est permis qu&rsquo;une soumission par an, on en choisit une, on prépare le dossier et, avec l&rsquo;autorisation du gouvernement, on l&rsquo;envoie à l&rsquo;Unesco&raquo;</em>, fait ressortir le responsable du NHF. D&rsquo;enchaîner que le dossier en question passe par un cycle de deux ans à l&rsquo;Unesco. D&rsquo;abord, le secrétariat va s&rsquo;assurer que l&rsquo;État soumissionnaire a satisfait toutes les conditions. <em>&laquo;Dans ce cas, le dossier est envoyé à l&rsquo;&laquo;evaluation body&raquo;. Celui-ci prépare son rapport en vue de recommander le dossier en question pour le listing. Ce n&rsquo;est qu&rsquo;à ce moment-là que la soumission est traitée au niveau du comité intergouvernemental.&raquo;</em></p>

 

 

Les Chagossiens: «Raconter notre vécu…»

«Nou éna lazwa dan nou léker», déclare Miko Xavier d’une voix remplie d’émotion. Âgé de 82 ans, le vieil homme a quitté les Chagos à 18 ans. Son enfance a été bercée par les percussions des tambours et les chants «des grands dimounn». En riant, Miko avoue qu’il n’a jamais su chanter le séga tambour. Toutefois, le danser est ce qu’il préfère.

D’ailleurs, on le danse toujours dans des bals ou fêtes entre Chagossiens. «Mo’nn touzour kontan dans séga tambour et la mo pou dans li ek enn pli gran fierté ankor. Nek res zis nou régagn nou péi aster», espère le père de famille.

Comme lui, Modéa Saminaden est aux anges. «Vous ne savez pas à quel point cela peut être important pour nous», avoue la retraitée. Comme Miko, elle a connu le séga tambour des Chagos sur l’île même. «Je me rappelle comme si c’était hier. C’était une coutume. Tous les samedis on chantait et dansait le séga tambour en famille. Une coutume que mes grands-parents ont amenée à Maurice et que nous suivons toujours. Nou séga inik.» Unique comment ?

Selon Miko et Modéa, ce ne sont pas seulement les pas de danse qui différencient le séga tambour des Chagos des autres ségas. «Le séga tambour restera unique car les paroles des ségas tambours ne sont que la vérité sur notre vie.» L’histoire de leurs vies, disent-ils, prend vie dans les sons des tambours. «Nou pa koz lor disko tousala… On ne parle que de notre vécu. Tous les ségas tambours ne parlent que de ce qu’ont vécu les Chagossiens», ajoute Miko.

Selon eux, rien n’a jamais changé leur séga. Janine Sadrien, 63 ans, se rappelle brièvement la danse et des chants lorsqu’elle était sur l’île. Encore jeune, c’est à Maurice qu’elle a appris à chanter et à danser le sega tambour. «Aster, mo sant li ek dans li ek bann gran dimounn tou. Si li ti sanzé, bannla ti pou dir. Linn res parey», affirme la general worker.

 

 

Un symbole identitaire

<p style="text-align: justify;">Ce n&rsquo;est pas la première fois que le séga tambour des Chagos fait parler de lui. En 2016, la scrientifique anglaise Laura Jeffery publie un livre intitulé Chagos Islanders in Mauritius and the UK. Dans cet ouvrage, l&rsquo;anthropologue explique comment les Chagossiens représentent leur patrie dans les paroles des chansons du séga tambour, et comment ceux-ci ont changé en raison des transformations du déplacement et de la réinstallation.</p>

<p style="text-align: justify;">Elle y souligne qu&rsquo;auparavant les insulaires chantaient avec des paroles qui protestaient contre la vie dans les plantations coloniales de l&rsquo;île mais que, depuis qu&rsquo;ils sont à Maurice, les exilés chantent <em>&laquo;un paradis qu&rsquo;ils ont laissé derrière eux&raquo;.</em></p>

<p style="text-align: justify;">Pour Sandrine Boulmier, anthropologue qui a travaillé sur des projets sur l&rsquo;identité mauricienne, l&rsquo;étude de Laura Jeffery a du sens. Si les Chagossiens sont fiers et ont lutté pour que leur séga tambour soit inscrit au patrimoine culturel immatériel de l&rsquo;Unesco, c&rsquo;est non seulement parce que c&rsquo;est leur symbole identitaire mais aussi parce que cela revendique leur différence des îles Maurice et Rodrigues.</p>

<p style="text-align: justify;"><em>&laquo;Les nouveaux ségas tambours mythifient leur île de manière à pouvoir renouer avec leur passé. L&rsquo;île qu&rsquo;ils n&rsquo;ont pas voulu quitter.&raquo;</em> Selon elle, le séga tambour des Chagossiens contient des paroles qui ne parlent que de choses positives de l&rsquo;île pour rendre à nouveau présent le sentiment d&rsquo;appartenance qu&rsquo;ils ont perdu.</p>

<p style="text-align: justify;"><em>&laquo;Le séga est pour eux une manière de rendre vivant et de revaloriser leur culture qui s&rsquo;égare entre d&rsquo;autres cultures à Maurice. C&rsquo;est comme pour tous les étrangers qui migrent vers un autre pays.&raquo;</em></p>