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Me Noren Seeburn: «Le vote blanc est un moyen de pression pour le citoyen»
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Me Noren Seeburn: «Le vote blanc est un moyen de pression pour le citoyen»
Vous venez de lancer l’idée du «White Ballot Power». De quoi s’agit-il ?
C’est une voie qui permet au citoyen de résoudre des problèmes d’intérêt général et public en dehors du système des politiciens et des partis politiques. Le citoyen a deux patrimoines : il y a d’abord son patrimoine personnel qui comprend sa maison, sa voiture, ses biens personnels et ensuite les biens qu’il a en commun avec d’autres citoyens que l’on appelle son patrimoine public ou les biens publics. Ce sont les terres de l’État, l’argent des contribuables, le passeport national, les équipements du pays, tout cela appartient aux citoyens en commun. Qui les gère ? C’est l’État et les institutions publiques. Leur mission est d’administrer ces biens et cet argent pour les mettre au service du public. Or, qu’avons-nous vu jusqu’ici ? Qu’avec le temps, ce patrimoine commun n’est plus utilisé au service du public mais fait l’objet de dilapidation, de vol, de gaspillage. On n’a qu’à lire les rapports successifs des directeurs de l’Audit. Ces rapports ne sont jamais suivis de mesures correctives ou si peu car les problèmes soulevés sont récurrents. Aujourd’hui, on a atteint une dégradation d’une ampleur terrible.
Donnez-nous des exemples.
Je pense à quelques scandales qui ont coûté des milliards de roupies aux citoyens. Il y a eu l’affaire des turbines à gaz dans les années 90 et qui a fait que le tarif d’électricité a subi une augmentation entre 23 et 36 %. Il y a eu le deal Illovo, qui d’après un ancien conseiller, a impliqué des concessions de Rs 600 millions de l’État. D’où provenait cet argent ? De la poche des contribuables. Il y a eu l’affaire Betamax où l’État a fait garantir un contrat par la nation alors qu’en réalité, c’était un contrat du privé. Le public a été condamné à payer des milliards, sans compter les intérêts, même si actuellement, l’affaire est en appel. Puis il y a eu le hedging à Air Mauritius et à la State Trading Corporation.
Ces affaires, et il y en a bien d’autres, sont l’équivalent de milliards de roupies de perte que les citoyens ont dû casquer. Il y a une espèce de machinerie dilapidatrice des biens publics qui tourne à plein régime. À cela s’ajoute la dilapidation des Pas géométriques de plage donnés bien souvent à des étrangers et c’est pareil pour les terres de l’État. Sans compter les deux banques dont une coopérative que les politiciens ont fait sauter. À ce record de dilapidation, il y a quelque chose de plus effrayant qui est comme une épée de Damoclès suspendue sur notre tête et c’est la vente de notre passeport qui, si elle est appliquée, fait que les Mauriciens risquent de devenir étrangers dans leur propre pays. Le plus grave est la gestion des fonds de pension par une compagnie publique. Qui dit compagnie publique dit nomination politique à la tête et bien souvent risques de pillage et de dilapidation subséquents.
En quoi le «White Ballot Power» résoudrait-il ces problèmes ?
C’est une voie qui permet aux citoyens de résoudre ce problème national de dilapidation des biens publics en dehors des politiciens et des partis politiques. Il faut voter une loi anti-dilapidation, anti-gaspillage et c’est la Public Interest Protection Act (PIPA). Elle repose sur cinq principes :
(1) que le gaspillage, la corruption, le pillage deviennent des délits criminels punissables par la prison ou toute autre sanction figurant à l’arsenal légal.
(2) Que la notion de Personal accountability, de responsabilité soit retenue. Car les institutions politiques prennent des décisions illégales et mettent en avant le fait que c’est la décision d’un conseil d’administration. Les membres d’un conseil d’administration ne sont pas le conseil et sont protégés par le Corporate veil. Le conseil d’administration est considéré comme une autre personne. On ne peut donc pas poursuivre une compagnie et l’envoyer en prison. Il en va de même pour les membres du conseil d’administration. Il faudrait donc une loi pour chercher les membres du conseil d’administration et les poursuivre personnellement. Cette loi existe en France et c’est l’abus des biens sociaux. Les directeurs ayant pris une décision allant contre le bien commun peuvent être poursuivis dans ce pays.
(3) Le droit des citoyens d’agir en justice par l’intermédiaire des associations. Dans le cas des biens publics, le citoyen n’a pas le droit d’agir en justice car ce n’est pas de son bien personnel qu’il s’agit mais du bien public. De ce fait, le citoyen n’a pas le locus standi. Avec la PIPA, abolissons le locus standi pour permettre à une association de défendre les intérêts publics. Je pense par exemple à Aret Kokin Nu Laplaz.
Sous la PIPA, cette association aurait eu le droit d’agir en justice et intenter une Private Prosecution pour défendre les biens publics. À ce jour, à cause du locus standi, une association ne peut loger une action privée pour abus de biens publics. La PIPA permettra au citoyen à travers une association de défense de patrimoine national sous supervision judiciaire de pouvoir défendre le bien public. Dans la pratique aujourd’hui, nous assistons impuissants à la dilapidation des biens publics et ce n’est pas normal.
La PIPA demande aussi qu’avant toute prise de décision concernant la gestion des biens publics, il y ait un rapport préliminaire d’experts venant montrer l’intérêt général. Par exemple, avant de démanteler la BAI, il aurait fallu avoir un tel rapport. La façon dont ce démantèlement a été fait a projeté le contribuable contre un mur et c’est lui qui a casqué. Autre exemple, normalement lorsque le gouvernement fait une ébauche de projet de loi, il a l’obligation de commander d’abord un rapport d’experts. Ce rapport permettra au chef de cabinet ministériel de faire une ébauche de Policy Paper permettant aux parlementaires de débattre utilement de la question.
Or, à Maurice, cela ne se fait pas. C’est pour cette raison que nos lois, notamment la Protection from Domestic Violence Act, sont des lois scélérates qui ne résolvent pas les problèmes. Cette loi contre la violence domestique n’a pas résolu ce problème et a fait augmenter le divorce.
(4) Dans la PIPA, il faut qu’il soit question de la divulgation obligatoire d’informations liées à toute décision impliquant l’utilisation des fonds et propriétés publiques.
(5) Et qu’il y ait un Audit Trail des fonds publics au moment de leur allocation jusqu’au moment de leur utilisation finale.
Comment obliger les politiques à faire voter la PIPA ?
Cette loi est une arme de combat, un outil pour défendre l’intérêt public. Comment la faire voter ? Par pression populaire. La pression populaire peut prendre la voie des manifestations de rue, risquées en raison de la Public Gathering Act et des caméras qui font craindre au public les représailles, ou des pétitions, qui demandent de la main-d’oeuvre et, aujourd’hui, tout est argent. Le recours du citoyen pour obliger les politiciens à voter la PIPA est le bulletin blanc, qui est un bulletin sans croix. Chaque personne a droit à un bulletin blanc et c’est tout à fait légal. Ce bulletin blanc a une signification politique. Le message qu’il envoie aux politiciens est qu’il leur indique que le citoyen est venu voter mais qu’il n’est pas d’accord avec les candidats ni avec les partis, ni avec la politique prônée par ces derniers.
On pourrait vous taxer d’encourager les citoyens à ne pas accomplir leur devoir civique ?
Voter pour des assassins des biens publics n’est pas faire son devoir civique. Le bulletin blanc est un vote de protestation et de revendication qui vient dire que le citoyen réclame la PIPA. Le Returning Officer a l’obligation de comptabiliser les votes blancs appelés dans le jargon Unmarked Ballots et d’envoyer le nombre de votes blancs à la Commission électorale. Et les politiciens ont le droit de connaître le nombre de personnes qui ont voté blanc. Le vote blanc exprime une force populaire et une force légale car son existence est légalement reconnue.
Les partis politiques peuvent inscrire la PIPA dans leur manifeste électoral mais ne jamais l’appliquer une fois au pouvoir ?
Oui, ils le peuvent. Tout comme le citoyen a le droit de voter blanc à chaque élection, les prochaines étant les élections municipales. Le vote blanc peut s’appliquer à n’importe quelle élection. L’idée est que les Mauriciens soient conscients qu’ils ont un moyen de pression avec ce White Ballot. Si la Commission électorale se retrouve avec 10 à 15 % de votes blancs, l’État ne peut ignorer le message et les partis politiques feront tout pour attirer et capter cet électorat insatisfait. À force d’avoir des votes blancs, ils finiront par faire voter et promulguer la PIPA. Pour en savoir plus sur le sujet, les citoyens n’ont qu’à voir la vidéo y relative en tapant «whiteballotpower : la pipa» sur YouTube.
Vous avez mis sur pied l’agence Peacemaker. De quoi traite cette agence ?
La justice à l’amiable ne s’applique qu’en matière civile et commerciale. Elle est rapide et coûte moins cher. C’est une voie plus humaine d’obtenir la justice. Prenons le cas d’une dispute entre deux personnes, mettons un employeur et son employé. S’ils suivent le cours normal de la justice, il y a d’abord un board disciplinaire puis les parties iraient probablement en cour industrielle et éventuellement en appel et l’affaire pourrait prendre entre cinq et sept ans pour être réglée et beaucoup d’argent serait dépensé.
S’ils décident de se tourner vers l’agence Peacemaker, ils signeront un formulaire demandant à l’agence d’intervenir à titre de tiers indépendant dans leur dispute. Le Dispute Settlor va entrer en jeu. Il doit être un ancien magistrat ou un avocat d’expérience ayant été formé au système de Peacemaker Out-of-court Settlement Process (POP). C’est une technique de règlement à l’amiable d’un contentieux qui est la version moderne du Chamber Justice, une forme de justice à l’amiable introduite et pratiquée par les magistrats anglais et ceux qui leur succédèrent dans nos Magistrate’s Courts. Le Dispute Settlor appelle les deux parties et tient une série de Peacemaker Sessions de moins d’une heure avec elles.
Chaque partie achète trois à quatre sessions pour exposer sa version et soumettre ses documents. Le Dispute Settlor se retire et utilisant sa technique, la POP, il examine, analyse, étudie et cherche une solution gagnant-gagnant, qui arrange les deux parties. Et il expose la solution aux parties en moins d’une dizaine de jours, à tout casser un mois. L’agence a un site Internet, une page Facebook et une chaîne YouTube. Dans Peacemaker, j’agis comme consultant alors que Mme Vina Kumari Dabeesingh, ancienne Head of Consumer Protection Unit à la Financial Services Commission est la directrice. Elle représente la compagnie et tout l’aspect technique me revient en tant que consultant.
Bio express
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<p style="text-align: justify;">Noren Seeburn a fait ses études de droit à Paris. À son retour à Maurice, il a prêté serment et a intégré le parquet jusqu’à devenir<em> Senior State Counsel</em>. Après quoi, il s’est joint à la magistrature. Après quatre ans, il a tenu à retourner au parquet car il préférait plaider que de juger des affaires et d’écrire des jugements. Trouvant la routine du parquet sclérosante, au bout de deux ans, il a démissionné et s’est mis à son compte. Il s’est alors concentré sur des affaires civiles et sur le droit des affaires. Au bout d’un certain temps, il a réalisé qu’en plaidant des affaires civiles, on se battait sur des questions de procédures et passait bien souvent à côté du problème. <em>«J’avais le sentiment d’être dans un engrenage où je perdais du temps car il y avait une escalade de procédures alors que le problème aurait pu être résolu rapidement et à moindre coût.» </em>Il cite une des dernières affaires où il a plaidé en début d’année et qui a duré 14 ans. C’était une affaire d’empiétement. Quand l’affaire a été logée, son client avait 65 ans. Aujourd’hui, il en a 79 et peut à peine se mouvoir et doit porter un appareil auditif pour entendre. Cela l’a interpellé à mettre sur pied l’agence Peacemaker qui est une voie de justice à l’amiable. Noren Seeburn est marié et a deux filles, Neelam et Yavna.</p>
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