Publicité

Rajendra Paratian: l’apport de la diaspora est crucial

23 novembre 2019, 12:46

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Rajendra Paratian: l’apport de la diaspora est crucial

Les émigrés mauriciens se comptent par milliers. Cette diaspora, qui a pourtant réussi, ne peut s’empêcher de regarder dans le rétroviseur et se préoccuper du devenir de son île. C’est le cas de Rajendra Paratian, spécialiste en sociologie et économie du développement, qui a travaillé 22 ans comme spécialiste de l’emploi pour le Bureau International du Travail.

Au cours de la semaine écoulée, Rajendra Paratian, auteur de plusieurs livres sur l’économie du développement et la lutte contre la pauvreté en Afrique, dans l’océan Indien et à Maurice, a présenté sa dernière publication portant sur le rôle des intellectuels, qu’il a dédiée à un compatriote décédé, Devom Vadamalay. Ce dernier, biochimiste mauricien établi à l’étranger, comme lui, s’intéressait à tout ce qui l’entoure et en particulier au devenir de son île. «Mon rôle est de surligner la vérité car je suis très attaché à mon île et son avenir m’interpelle. Je l’ai certes quittée mais ce n’était pas pour l’oublier. La preuve est là», déclare, comme une évidence, le sexagénaire.

Ce benjamin de six enfants et dont le père, ancien élève du collège Royal de Curepipe en 1928, était inspecteur du travail et la mère femme au foyer, a grandi à Curepipe. À l’issue de ses études secondaires dans la filière classique, il enseigne dans deux institutions secondaires. Et ce, jusqu’à la Form IV. Ses frères et sœur établis en Grande-Bretagne décident de lui payer ses études supérieures. Il quitte Maurice en 1974, avec, en tête, l’idée de se spécialiser dans un domaine particulier et de rentrer pour mettre ses compétences au service du pays. Intéressé par le monde qui l’entoure et touché par la pauvreté qu’il a pu noter à Maurice, il décide d’étudier pour obtenir un Bachelor of Arts en sociologie auprès de la Middlesex University.

«Mon rôle est de surligner la vérité car je suis très attaché à mon île et son avenir m’interpelle.»

Une fois ce diplôme obtenu, Rajendra Paratian part pour la Suisse et se fait admettre à l’Institut de hautes études internationales et du développement, qui est rattaché à l’université de Genève. Il étudie la sociologie et l’économie du développement. Et obtient une maîtrise en études de développement et une autre en recherche en la matière.

Il songe à revenir s’installer à Maurice. Mais comme on est au début des années 80, le chômage y bat son plein et ses proches le découragent. À ses maîtrises, il décide d’adjoindre un doctorat qu’il va prendre auprès de l’université d’Aix-en-Provence, en France. Il axe sa thèse sur les changements intervenus dans le monde sucrier mauricien avec l’industrialisation car il veut «mesurer ces changements qui font que les petits planteurs passent moins de temps aux champs et plus de temps à l’usine». Son directeur de thèse n’est autre que le professeur Benoît, médecin et ethnologue, qui a travaillé sur les problématiques dans les îles de l’océan Indien.

La thèse de Rajendra Paratian débouche sur l’écriture d’un livre intitulé L’île Maurice dans le sillage de la décolonisation, qui paraît chez l’Harmattan en 1994. Comme la recherche le passionne, il s’y lance, notamment sur le continent africain et à Maurice pour le compte du Centre de Recherches des Îles du Sud Est de l’océan Indien, basé à Aix-en-Provence.

Rajendra Paratian a l’occasion d’allier théorie et pratique en obtenant du travail en tant que spécialiste de l’emploi pour l’Afrique auprès du Bureau international du travail (BIT). À partir de là, cet homme marié à la Suissesse Margaret, qui est traductrice, effectue des missions de courte et de longue durée dans les pays du Golfe, en Gambie, en Russie et dans les pays qui faisaient alors partie de l’Union soviétique. Tout comme il passe sept ans au Zimbabwe, en tant que spécialiste de la politique et de la stratégie de l’emploi et de la lutte contre la pauvreté, tout en couvrant d’autres pays du continent, à l’instar de la Zambie, du Swaziland, du Lesotho, du Botswana, de l’Afrique du Sud, de la Namibie et du Mozambique.

En 2001, en tandem avec un collègue économiste du BIT, il est appelé à effectuer une étude sur les dimensions sociales de la mondialisation à Maurice et au Bangladesh. Par rapport à Maurice, les deux spécialistes tirent la sonnette d’alarme sur le taux de chômage qui lève la tête, sur le seuil de tolérance du tourisme qu’il ne faut pas dépasser, par rapport à l’exiguïté du territoire, à l’eau potable et à l’environnement et sur le manque de formation adéquate. La même année, ils soumettent leur rapport avec leurs recommandations au ministre du Travail. Ils n’en entendent plus jamais parler.

Si Rajendra Paratian se jette à corps perdu dans son travail, répondant aux demandes des gouvernements par des recherches et en faisant des recommandations à l’issue de ses missions, il se heurte souvent à l’absence de suivi en raison «d’une faiblesse des institutions ou à leur inexistence, à un manque d’appui nécessaire, à une absence de politique de l’emploi, surtout pour les jeunes et à l’inertie des politiques». Il précise que les experts du BIT ne sont pas les seuls à s’en plaindre mais également les experts et consultants d’autres instances internationales.

Une de ses plus grandes satisfactions est d’avoir réussi, en 2003, à faire le gouvernement zimbabwéen accepter une de ses recommandations, qui est l’application d’une politique pour l’emploi. Malgré toutes ses missions, il n’a jamais quitté des yeux la situation de Maurice et celle-ci ne cesse de l’inquiéter. Les forces de la mondialisation, dit-il, ont eu un impact direct et indirect sur l’île et, par conséquent, le pays n’est plus compétitif. Il note que les observations qu’il avait faites en 1999 sont toujours d’actualité.

«Les choses n’ont pas changé. En fait, elles se sont aggravées. J’ai, par exemple, essayé, de Genève, de mener une recherche sur la corruption à Maurice avec l’université de Maurice. Le projet a capoté en raison d’un manque de suivi de l’université. Il est temps d’avoir un new paradigm mindset. Je fais partie de la diaspora et je regarde l’évolution de mon pays et je me dis que les Mauriciens doivent commencer à réfléchir et à réagir.»

D’où son livre sur le rôle des intellectuels et la nécessité pour eux de se réveiller. «Il faut comprendre le processus de décolonisation et où l’on se situe aujourd’hui par rapport à cela. Les intellectuels de ce pays semblent en attente. Ils doivent se réveiller. Maurice a réussi son développement dans les années 80 car il y avait des gens qui n’ont pas appliqué les ajustements structurels des organisations internationales à 100 %. Ils ont tenu tête. Il y avait aussi des gens capables de redresser le pays. Nous en avons le potentiel, surtout au niveau de la diaspora, qui pourrait être d’un apport inestimable dans les changements.»

Et d’ajouter que «nous avons des professeurs mauriciens à Oxford et dans des universités européennes, des scientifiques qui travaillent aux États-Unis, des prix Nobel de littérature, des gens qui sont recherchés pour leur expertise par des organisations internationales. Il faudrait que les jeunes mauriciens travaillent en concordance avec la diaspora car ce vide est rempli par les jeunes français qui font des thèses sur les îles de l’océan Indien.»

Au cours de ses 22 ans de service au sein du BIT, Rajendra Paratian, qui vient de se retirer, était aussi rattaché à l’Institute of International Labour Studies du BIT. Depuis, il avoue avoir reçu plusieurs offres de consulting. Mais «pour l’instant, je profite de ma retraite».