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Alain Tolbize: «À l’ère du métro à Maurice, les Rodriguais, eux, n’ont toujours pas d’eau potable»

18 novembre 2019, 21:30

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Alain Tolbize: «À l’ère du métro à Maurice, les Rodriguais, eux, n’ont toujours pas d’eau potable»

L’infrastructure, la santé, l’eau, le chômage restent parmi les priorités à revoir à Rodrigues. Or la question se pose, est-ce la responsabilité du nouveau gouvernement de l’Alliance Morisien ou celle de Serge Clair ? En tout cas, l’autonomie économique de Rodrigues reste pour l’heure une utopie.

Quel bilan faites-vous des cinq dernières années du travail du gouvernement à Rodrigues ? 
Votre question fait abstraction de l’existence d’un gouvernement régional qui est censé s’occuper du développement à Rodrigues. Comment voulezvous qu’on fasse le bilan d’un gouvernement que les Rodriguais n’ont jamais eu l’occasion d’élire ? Comment voulez-vous qu’on fasse le bilan du gouvernement de Pravind Jugnauth à Rodrigues, alors que c’est celui de Serge Clair qui est censé s’occuper du développement de l’île à travers le gouvernement régional ?

La question demeure : qui dirige vraiment Rodrigues, est-ce le gouvernement de Serge Clair ou celui de Pravind Jugnauth ? Est-ce celui de Serge Clair qui a eu le consentement des Rodriguais ou celui de Jugnauth qui nous dirige sans notre consentement ? Est-ce Port-Mathurin ou Port-Louis ?

Cependant, la question a toute sa pertinence quand nous comparons le budget de développement de l’Assemblée régionale et le budget alloué directement à Rodrigues par les différents ministères tels que la Santé, l’Éducation, la Sécurité sociale et la NDU qui tombe sous le bureau du Premier ministre (NdlR : sous ce nouveau gouvernement, la National Development Unit est sous la tutelle du ministère de l’Infrastructure nationale et du Développement communautaire).

Faites le compte et vous saurez qui dirige vraiment Rodrigues. Le bilan dont vous parlez en dépendra.

Avec la formation d’un nouveau gouvernement, quels sont les secteurs prioritaires pour Rodrigues ? 
Les secteurs prioritaires ont toujours été les mêmes et tous les différents gouvernements qui se sont succédé pendant ces 50 dernières années le savent.

Ces secteurs étaient et restent toujours l’eau, le chômage, l’exode, la santé et la pauvreté couplée à une dose prononcée de discrimination et de domination. La façon dont Maurice s’occupe du développement de Rodrigues est typiquement celle d’un pouvoir colonial vis-à-vis de sa colonie, sinon comment expliquer qu’à l’ère du métro léger à Maurice, les Rodriguais continuent à se tourmenter pour avoir un peu d’eau potable ?

Quand on compare le niveau de développement infrastructurel entre les deux îles censées faire partie de la même République, après plus de 50 ans d’Indépendance de Maurice, on arrive vite à la conclusion que Rodrigues a été victime de discrimination en termes de développement des infrastructures, dans des secteurs tels que la santé, l’eau, l’éducation et d’autres secteurs créateurs d’emplois. Ce n’est pas pour rien que le chômage et la pauvreté sont plus accentués chez nous qu’à l’île Maurice.

Il faut impérativement revoir la politique de Maurice envers Rodrigues. La politique adoptée depuis l’Indépendance n’a pas marché. C’est pour cela que nos gros problèmes sont toujours les mêmes depuis. Il faut que le Rodriguais ait plus de considération, de responsabilité et de pouvoir dans la prise de décision concernant le développement de son île.

Si le nouveau gouvernement, élu par et pour les Mauriciens de l’île Maurice, veut le développement de Rodrigues, la première chose à faire c’est de donner les moyens et le pouvoir politique aux Rodriguais pour qu’ils puissent, eux-mêmes, développer leur île comme bon leur semble.

Le problème d’accès à l’eau potable dure depuis des années. Comment y remédier ? 
Le problème d’eau est devenu quasi endémique à Rodrigues tant il perdure. Il y paraît qu’il y a un manque de volonté politique de la part des gouvernements régional et national pour résoudre ce problème. Le pire, c’est que le gouvernement régional a commis l’erreur de croire que c’est le dessalement qui va résoudre le problème d’eau à Rodrigues. Il fait fausse route. Il faut revoir cette politique avant que cela ne devienne catastrophique. Tout le monde est d’accord qu’il faut privilégier le captage et le stockage d’eau de pluie, excepté le commissaire, qui ne jure que par le dessalement et la privatisation.

Il faut faire un audit complet des investissements réalisés dans les différents projets de dessalement et leur retour sur investissement, depuis le début jusqu’à ce jour. Ce faisant, le gouvernement régional devra prendre les décisions qui s’imposent. Il faut que les gouvernements régional et national accordent une plus grande considération à ce problème, qui est aussi la source de bon nombre de difficultés auxquelles font face les Rodriguais.

Quel est votre constat des conditions de travail des fonctionnaires à Rodrigues ? 
Le plus gros problème auquel fait face la fonction publique à Rodrigues est que sa structure date de l’ère coloniale. L’organisation et l’establishment size de notre administration n’ont pas été revus avec l’avènement de l’autonomie. Nous avons eu plus de responsabilité administrative avec l’autonomie mais notre structure et le nombre d’exécutants sont restés les mêmes et, dans certains cas, le nombre de fonctionnaires a diminué.

Plus de 15 ans après l’accession à l’autonomie, l’Assemblée régionale, avec le concours du gouvernement central, a pris la sage décision de faire appel à une firme de consultants pour revoir la structure et l’establishment size de l’Assemblée régionale par rapport à ses attributions et pouvoirs dans le cadre de l’autonomie. Le rapport du consultant a déjà été remis au responsable de Rodrigues et nous attendons toujours sa mise en application. L’amélioration de la fonction publique à Rodrigues dépendra en grande partie de l’urgence dans l’application des recommandations du rapport du consultant.

L’autonomie économique de Rodrigues, on est loin d’y être… 
L’autonomie économique sans autonomie politique est un non-sens, une absurdité, à mon avis. Comment peut-on aspirer à l’autonomie économique si on n’est pas politiquement autonome ? L’Assemblée régionale n’a même pas le pouvoir de décider de l’orientation économique de Rodrigues. Alors, comment concevoir l’autonomie économique ?

Toutes les grandes décisions concernant l’avenir de Rodrigues sont toujours prises à Port-Louis au lieu de Port-Mathurin. Aussi longtemps que cela perdurera, nous ne pourrons pas rêver mieux de ce que décide Maurice pour nous ; un peuple qui continue à décider pour un autre peuple.

Tant que les Rodriguais n’auront pas les moyens et le pouvoir de décider, pour eux et par eux-mêmes, une telle notion restera abstraite.

Pour l’amélioration de l’accès aérien et maritime, y a-t-il une volonté politique à Rodrigues comme à Maurice ? 
Nous avons noté une détérioration dans le transport maritime entre Rodrigues et Maurice depuis la vente du MV Mauritius Pride. Mais, on nous a annoncé de grands développements à venir pour le port et l’aéroport. Une amélioration de l’accès aérien et maritime, sans jeter les bases nécessaires pour un développement durable du potentiel économique de Rodrigues, à travers des investissements dans les infrastructures publiques telles que l’eau, ne sert à rien.

Il faut impérativement un plan Marshall étalé sur disons dix ans avec le budget adéquat pour s’attaquer une fois pour toutes au problème d’infrastructure publique nécessaire pour le vrai développement économique de l’île. Sans cela, avec le petit budget que nous recevons chaque année, le développement économique de Rodrigues est voué à l’échec. Il faut vraiment faire preuve de volonté politique pour permettre aux Rodriguais de montrer leur potentiel en matière de plantation, d’élevage et de pêche.

L’expertise et le savoirfaire des Rodriguais en la matière n’ont plus besoin d’être prouvés ; il suffit de leur donner les moyens. C’est pour cela que nous militons pour que le gouvernement aille de l’avant avec un projet de développement durable, afin de relancer le potentiel économique de l’île.

Il est urgent d’aller de l’avant avec un plan de développement englobant l’aspect social, économique, politique, environnemental et culturel si nous voulons vraiment que l’île se développe.

Faire de Rodrigues un grenier de la production agricole pour la République, est-ce possible ? 
Il serait plus réaliste de parler en termes d’autosuffisance et de souveraineté alimentaire de l’île avant de penser à devenir le grenier de la République. Les Rodriguais ont la compétence et l’expertise nécessaire pour la production agricole et animale mais il manque l’eau et la volonté politique nécessaire pour atteindre l’autosuffisance et la souveraineté alimentaire de l’ile. De même pour l’énergie, on a le soleil et le vent en abondance mais il manque la volonté politique pour que nous soyons quasi autonomes en termes d’énergie. Le gouvernement central devra donc jeter les bonnes bases pour notre cheminement vers l’autosuffisance et la souveraineté alimentaire.