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Noemi Alphonse a commencé le judo à 8 ans, face au bullying à l’école

20 septembre 2019, 20:30

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Noemi Alphonse a commencé le judo à 8 ans, face au bullying à l’école

Derrière sa frêle silhouette se cache une jeune femme à la détermination à toute épreuve et une force de caractère hors du commun. Noemi Alphonse, 23 ans, s’est imposée en quatre années seulement comme une référence du handisport local au point d’être choisie comme porte-drapeau de l’équipe de Maurice aux 10es Jeux des Iles de l’océan Indien. Sur son fauteuil, elle est à l’aise sur 100 m aussi bien que sur 42 km. Elle prépare les mondiaux de Dubaï en novembre et s’est qualifiée pour les Jeux Paralympiques de Tokyo en 2020. Incursion dans son univers.

Toute l’île Maurice connaît aujourd’hui Noemi Alphonse, championne de courses en fauteuil. Mais qui est réellement Noemi Alphonse ? Pourriez-vous nous parler de cette Noemi Alphonse que l’on connaît moins ?
Je suis une personne très joviale. Je suis très franche. Je déteste l’acharnement. J’ai un grand cœur et souvent, cela me joue des tours. Très impatiente, je veux tout vite, quand je travaille. Je suis une très grande bosseuse.

Etes-vous née handicapée ? Etes-vous devenue handicapée après votre naissance ?
Je suis née handicapée, une malformation au niveau des pieds et des mains. Il me manque quelques orteils au pied droit, je porte une prothèse au pied gauche et j’ai quelques doigts en moins au niveau des mains.

Est-ce que cela a été difficile pour vous de vous faire à l’idée que vous ne seriez jamais comme les autres ?
Quand j’étais petite, mes parents m’ont expliqué que je suis différente de tout le monde mais que je dois m’aimer comme je suis. Ma famille m’a toujours considérée comme une enfant sans handicap. Pour avoir quelque chose, il faut toujours travailler. 

Au primaire, les amis de classe étaient curieux la première semaine de classe mais après, ils se sont habitués rapidement et m’ont aussi considérée comme une enfant normale.

J’ai vraiment ressenti mon handicap quand j’avais 15 ans. Je me posais souvent des questions et demandais : « Pourquoi moi ? » Avec le temps, j’ai réalisé que j’avais beaucoup de chance et mes parents m’ont aussi aidée à me sentir bien dans ma peau.

Vous a-t-il fallu beaucoup de temps pour vous accepter comme vous êtes ?
Non, pas vraiment. J’ai tout fait comme les enfants valides. J’ai joué au foot avec mes oncles, j’ai monté à bicyclette, je suis tombée etc.

Comment avez-vous fait pour vous adapter à l’absence d’un pied ? Comment avez-vous composé avec ce bout de corps en moins ?
Mes parents ont entamé des démarches après mon opération à l’île Sœur pour que je puisse avoir une prothèse pour marcher. J’ai eu ma première prothèse, faite par M. Moussa, chez Fondation Espoir, et j’ai appris à marcher à l’âge de 9 mois.

Avez-vous souffert durant votre vie du regard réducteur des autres ?
Oui, cela m’a beaucoup dérangée pendant un bon moment. Je sortais tout le temps en jeans ou longue jupe. Quand je partais à la plage, c’était pire. Les gens me pointaient du doigt, les parents disaient aux enfants de ne pas s’approcher de moi.

Dans ces moments-là est-ce que le soutien des parents, de l’entourage familial, est votre premier refuge ?
Mes parents et ma famille m’ont toujours soutenue et encouragée dans ces moments. Ils me disaient toujours de ne pas me soucier du regard des gens car ils vont toujours critiquer ou regarder car ils sont curieux.

Le handicap ne vous a pas empêchée d’étudier, d’aller à l’école, au collège et même à l’université. L’éducation, est-ce le premier pas vers l’intégration sociale du handicapé ?
Certes, c’est un des premiers pas pour être intégrée mais maintenant il faut que les écoles soient équipées et les transports accessibles.

Quelle est votre définition de l’intégration du handicapé dans la société ?
Premièrement, les handicapés doivent arrêter de se plaindre. Je parle pour ceux qui peuvent se débrouiller. Ils doivent arrêter de se cacher derrière le handicap et s’accepter.

Deuxièmement, l’accessibilité pour les personnes en situation de handicap. C’est bien d’avoir une carte pour voyager gratuitement mais il faut réfléchir à comment ceux qui sont en fauteuil roulant vont se servir de la carte si les transports publics ne sont pas accessibles.

Troisièmement, pour qu’une personne portant un handicap soit vraiment intégrée, il faut rendre les trottoirs et les routes accessibles.

Quelle place occupe le sport dans cette intégration réussie du handicapé dans la société ?
Le sport occupe une place très importante. Le sport m’a permis d’intégrer vraiment la société en tant que personne portant un handicap. En pratiquant un sport, je me suis sentie vraiment acceptée par la société mauricienne et depuis les Jeux, les gens ont pu voir l’humain avant le handicap.

A quel âge avez-vous découvert le sport ? Dans quelles circonstances ?
J’ai commencé à pratiquer un sport, le judo, à l’âge de 8 ans parce que je faisais face au « bullying » au primaire. Le handisport, je l’ai découvert à l’âge de 19 ans grâce à un ami, Sherman Agathe.

Quelles sont les disciplines auxquelles vous avez été initiée ?
J’ai commencé par le judo, puis au collège, j’ai pratiqué le volley-ball, le basket-ball et le badminton.

Quand avez-vous eu l’envie d’évoluer à un niveau supérieur et de vous consacrer plus sérieusement à l’entraînement ?
Les premières semaines quand j’avais commencé, Jean-Marie (Bhugeerathee) nous racontait les compétitions auxquelles il s’était rendu en tant qu’entraîneur, il nous vendait du rêve. C’est à ce moment que j’ai commencé à réfléchir. Ensuite, j’ai participé à ma première compétition internationale et j’ai gagné. A ce moment-là, je me suis dit que je veux vraiment continuer et me consacrer beaucoup plus à l’entraînement car vraiment, les efforts finissent par payer.

A quel âge récoltez-vous les premiers fruits de vos efforts ?
A l’âge de 19 ans, quatre mois après avoir commencé la course en fauteuil.

Combien de records nationaux détenez-vous aujourd’hui ?
Je totalise huit records nationaux et un record d’Afrique.

Quel rang occupez-vous actuellement au classement mondial de l’International Paralympic Committee ?
Au 100m, je suis 8e, 16e au 400m, 22e au 800m, 16e au 1500m et 21e au 5000m.

Comment est-ce que le petit bout de femme que vous êtes a atteint ce niveau ? Comment avez-vous développé cette force prodigieuse dans les bras ? 
Je m’entraîne six heures par jour, six jours sur sept et des fois sept jours sur sept. Je m’entraîne au Stade Maryse-Justin. Jean-Marie prépare mon programme d’entraînement sur la piste, je vais aussi à la Montagne des Signaux, que je monte en fauteuil jusqu’à 700m environ. Je roule depuis Ebène jusqu’à Verdun ou de La Marie jusqu’à Grand-Bassin en fauteuil. Je vais au I-Motion Gym à Ebène et j’ai ma préparatrice physique, Audrey Grancourt, qui fait mon programme. Je suis suivie par Anya Benoît qui est ma nutritionniste. J’ai aussi mon physio et masseur, Dario Thompson-Vellen, qui me met en forme avant et après les entraînements et compétitions.

Où puisez-vous cette rage de vaincre ? 
Mes parents me l’ont inculquée quand j’étais petite. Toujours travailler très dur pour avoir ce qu’on veut. Jean-Marie et Audrey me poussent toujours à dépasser mes limites et mes amis d’entraînement sont toujours derrière moi pour que je puisse réaliser les objectifs que je me suis fixés.

Vous n’aviez jamais participé aux Jeux des Iles de l’océan Indien jusqu’ici. Vous avez pu le faire en juillet à Bambous devant votre public. L’expérience fut-elle à la hauteur de vos attentes ?
Les Jeux ont dépassé les attentes que j’avais. Ces Jeux vont rester à jamais gravés dans ma mémoire. Le public a été formidable. Les mots nous manquent pour pouvoir remercier tous les Mauriciens présents à Bambous.

Etre choisie pour être porte-drapeau de la sélection mauricienne, en aviez-vous jamais rêvé ? Comment avez-vous vécu un tel honneur ?
J’en ai rêvé plusieurs fois mais je pensais que cela n’allait jamais être réalisable ou que ce serait dans un futur lointain. Mais comme j’ai dit, les efforts finissent toujours par payer. Je n’ai pas de mots pour décrire cela. C’était un moment formidable. J’avais les larmes qui roulaient quand la Team Maurice a mis les pieds sur la piste d’Anjalay et que le public a commencé à crier de joie. Un moment inoubliable.

Que représente pour vous ce rapprochement entre valides et non-valides le temps d’une grande compétition régionale ?
C’est quelque chose de vraiment intense. C’est très rare que tous les athlètes se regroupent lors d’une compétition. Certains athlètes ne connaissaient pas les athlètes avec une déficience et ils nous ont vus à l’œuvre et certains sont même venus nous féliciter et dire qu’ils étaient vraiment impressionnés et motivés.

Cela permet-il, selon vous, de changer le regard sur ceux qui sont porteurs d’un handicap ?
Certes. Beaucoup d’athlètes n’ont jamais vu de leurs yeux ce que nous pouvons faire et pendant les Jeux, ils ont eu l’occasion de nous voir en action et de voir que nous sommes au même niveau qu’eux et qu’il ne faut pas nous mettre de côté car nous avons un handicap.

Est-ce une reconnaissance des qualités différentes du handicapé ? Une façon de reconnaître leur potentiel et non leurs limites pour une fois ?
Ah oui ! L’île Maurice a vu de quoi nous sommes capables, que malgré notre handicap, nous avons contribué aux médailles. Ils ont pu voir le potentiel que nous avons et que si on nous donne la chance et les moyens nécessaires, nous pouvons faire encore mieux. Le handisport actuellement vise les championnats du monde seniors et les Jeux Paralympiques. Nous avons eu deux champions du monde juniors, une semaine après les Jeux. Ce n’est pas parce que nous avons un handicap que nous n’avons pas d’avenir, bien au contraire.

Quel est votre regard sur la situation des handicapés à Maurice ?
Je peux dire qu’on est dans le rouge. Beaucoup blâment le gouvernement mais avant de blâmer le gouvernement de ne rien faire, il faut que nous voulions vraiment être considérés comme égaux aux valides. Nous voulons l’égalité mais nous ne voulons pas travailler et être indépendants comme les valides. Quand nous cherchons quelque chose, il faut montrer que nous le voulons vraiment. Il faut faire des efforts. Si nous arrêtons de nous plaindre, si nous montrons que nous sommes capables, comme les valides, ce que nous demandons, nous l’aurons. Il faut arrêter de chercher la facilité qui consiste à tout obtenir dans les mains. C’est comme cela que nous pourrons changer notre situation et que le gouvernement entendra notre voix.

Que faut-il entreprendre encore pour améliorer leur situation dans la vie de tous les jours ?
Il faut rendre les routes, les trottoirs, les bâtiments accessibles. Il faut créer un espace de loisirs pour les personnes handicapées. Les gens qui s’occupent des personnes handicapées, que ce soit à l’hôpital ou dans une institution privée, doivent avoir une envie et une instruction adéquates. Ce sont des humains avant tout.

Il est un fait que les compétitions pour handicapés sont moins médiatisées, que les équipements, comme les prothèses par exemple, coûtent cher. Les handisportifs mauriciens sont-ils suffisamment accompagnés ?
Nous espérons que les performances réalisées pendant les Jeux des Iles vont changer tout ça. Les équipements sont chers parce qu’ils sont de bonne qualité mais une fois que nous les avons, c’est plus facile pour nous et nous en prenons soin.

En sport, la gloire est éphémère pour les valides aussi bien que pour les non valides. Le handisportif qui a goûté au succès sportif, qui est sorti brièvement de l’exclusion et du manque de considération, est-il suffisamment armé pour cette après-carrière qui est synonyme de sortie de la scène publique ? Risque-t-il de souffrir davantage qu’un valide de ce retour à l’anonymat ?
C’est sûr que le retour à la réalité a été vraiment brusque mais ce sont des réalités de la vie. On doit vivre avec et faire le maximum pour prouver que nous sommes forts et que nous pouvons sortir la tête de l’eau. Nous ne sommes pas vraiment armés mais nous espérons que cela va changer.

La prochaine grande compétition pour vous sont-ce bien les Championnats du Monde qui auront lieu à Dubaï du 7 au 15 novembre ? Vous êtes déjà qualifiée pour les épreuves du 100 m, du 400 m, du 800 m et du 1500 m ?
C’est l’objectif qui est dans le viseur depuis l’année dernière. Je me suis qualifiée au 100m, 400m, 800m, 1500m et 5000m.

Ensuite viserez-vous encore plus haut ?
Pour les Championnats du Monde, je vise une finale au 100m et j’espère être dans les quatre premières pour pouvoir être qualifiée pour les Jeux Paralympiques de Tokyo. Certains vont dire que je suis gourmande ou que c’est trop tôt mais moi, je dis que rien n’est impossible. Et je travaille très dur pour y arriver.

Arrivez-vous sinon à concilier études et sport de haut niveau ? 
J’ai fait beaucoup de sacrifices pour pouvoir y arriver. Pendant trois années, j’ai concilié études et sport de haut niveau. A un moment, je passais des nuits blanches. J’ai dû faire beaucoup d’efforts pour gérer les deux et ne pas flancher des deux côtés. J’ai été très disciplinée et l’université a été très compréhensible. Mes « lecturers » m’ont beaucoup aidée. Je serai diplômée prochainement. J’ai donné le meilleur de moi pour continuer à faire de bonnes performances en sport et avoir de bons résultats côté études.

Ce sont pour vous les deux passeports vers cette intégration sociale réussie évoquée plus haut ?
Exactement. Je sais qu’à un moment je vais devoir travailler pour gagner mon pain mais je saurai que j’ai fait quelque chose qui inspirera beaucoup et que grâce à cela, ils auront beaucoup plus de facilités dans la société.