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Linley Marthe: nul n’est prophète en son pays

14 septembre 2019, 20:29

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Linley Marthe: nul n’est prophète en son pays

Dans une dizaine de jours, le Mauricien Linley Marthe, prodige de la basse et le mot n’est pas fort, se produira en quartet au Caudan Arts Centre. L’événement, intitulé Linley Marthe – European Quartet Experience, attirera sans conteste amateurs de jazz et mélomanes. Sollicité de toutes parts pour animer des Master Class, bizarrement, il ne l’a jamais été dans son île natale…

C’est par mèl que Linley Marthe, qui a, si l’on peut ainsi dire, un pied à terre à Paris depuis 1994, nous répond. Si l’on est aussi approximatif sur son lieu de vie, c’est parce que presque neuf mois sur 12, il est en tournée dans le monde avec d’autres grands musiciens de jazz. Cela fait beaucoup de voyages, de cumuls de décalages horaires, de fatigue. Mais malgré cela, notre compatriote est heureux car il vit sa passion à fond.

Et lorsqu’il est à Toulouse, il en profite pour animer des Master Class pour des musiciens de 20 à 50 ans, qui ont du talent et déjà un bon niveau musical. Ces cours ont lieu au Centre de Musique Didier Lockwood (CMDL). Didier Lockwood, avec lequel Linley Marthe a joué pendant cinq ans jusqu’à la mort de ce dernier en février 2018, était, rappelons-le, l’un des plus grands violonistes de jazz français.

Si aujourd’hui, Linley Marthe jouit d’un prestige inouï et mène une vie aussi trépidante que confortable, il n’est parti de rien. Né à la rue Tulsidas en face du Champ de Mars à Port-Louis, il grandit à la cité Tranquebar. Mais l’environnement familial dans lequel ce benjamin de trois enfants grandit, baigne dans la musique de façon quasi-permanente. «Il y avait beaucoup de musiciens qui jouaient dan bor kanal toute la journée à la cité Tranquebar. Ma grand-mère maternelle jouait au banjo. Mon père écoutait toutes sortes de musique. Ma mère aimait Dalida. Mes tantes maternelles adoraient chanter et en particulier les tubes d’ABBA et se passionnaient aussi pour Cliff Richards. Mon grand frère Richard Marthe jouait de la guitare et était aussi un excellent bassiste», raconte-t-il.

Ce dernier l’incite à apprendre la flûte et la guitare sèche. «J’ai commencé à apprendre ces instruments à l’âge de sept ans.» Comme son frère ambitionne de faire de lui un bon musicien pour qu’ils puissent jouer ensemble, Richard Marthe initie son petit frère à d’autres instruments, y compris au piano.

Ses premiers gigs, comme il le dit si bien, il les fait à 11 ans au Méridien Paradis, en compagnie de Noël Jean, Gaëtan Pontoise, Ignace Bissessur et du chanteur Pierrot Ravina. Son premier grand concert public est au stade de Rose-Hill avec le groupe Les Avengers. Il n’a à l’époque que 12 ans. De tous les instruments qu’il maîtrise, sa préférence va à la basse. «J’ai choisi la basse sous l’influence de mon grand frère qui souhaitait que j’apprenne bon nombre d’instruments pour pouvoir ensuite jouer avec lui. Cela m’a permis de devenir multiinstrumentiste et de jouer au piano dans des groupes en sa compagnie. Mais j’étais fasciné par la basse».

Après une scolarité jusqu’en Form III au collège d’État de la rue Poudrière, à Port-Louis, Linley Marthe trouve de l’embauche au Club Med où il se produit aux côtés de Patrick Theeboo, Michael Bissessur, Antony Aristide, Jean Marc Mooneesamy. Il parle de cette époque comme un des meilleurs moments de sa vie. «Mes débuts au Club Med en 1986 m’ont beaucoup aidé dans la mesure où je travaillais l’instrument tous les jours pendant un an. Ensuite, je n’ai fait que jouer et relever pleins de sons qui m’intéressaient.»

C’est dans cet établissement hôtelier qu’il va aussi côtoyer des célébrités musicales du jazz comme Andy Emler, François Jeanneau, Butch Thomas, les musiciens de Jean Jacques Goldman, le chanteur italien Eros Ramazotti. Dans ses temps libres, il rejoint le batteur Maurice Manancourt et le pianiste Belingo Faro et ensemble ils forment le Trio Mogoley et se produisent en concert. Ce qui l’amène à rencontrer le saxophoniste émérite Ernest Wiehe et à faire quelques concerts avec les pianistes Gaëtan Alkoordoss et Dean Nookadu. «J’ai fait aussi plein de remplacements, surtout au piano, dans différents hôtels et avec différents groupes.»

Sa vie prend une nouvelle tournure lorsqu’il évolue au sein du Ernest Wiehe 4TET et que la formation part pour une tournée dans le sud de la France. On est alors en 1993. Il reprend contact avec les musiciens européens qu’il a rencontrés au Club Med et il est immédiatement embauché par le pianiste Andy Emler, qui le fait rejoindre son orchestre MegaOctet, où le talent du jeune Mauricien explose, est reconnu et apprécié. Il se produit avec de grosses pointures du jazz comme François Jeanneau, Philippe Sellam, N’Guyen Le, Simon Spanghassen, Simoun Goubert pour ne citer que ceux-là. Il est aussi remarqué par le pianiste et compositeur de jazz autrichien, Joe Zawinul, qui avec le trompettiste Miles Davis, a créé le jazz fusion, mélange de jazz et de rock. Zawinul l’invite en tournée. «Avec Joe Zawinul, j’ai fait plusieurs fois le tour du monde et cela m’a permis de faire connaître mon originalité musicale.»

Aujourd’hui, Linley Marthe travaille en freelance et peut se permettre de choisir les propositions qui l’intéressent. «Je fais surtout de grosses tournées de deux à trois mois et dans l’année, je suis booké presque neuf mois sur 12. C’est bon d’être son propre patron et de pouvoir négocier et choisir avec qui l’on veut travailler». Lorsque son emploi du temps le lui permet, il anime des classes de basse au CMDL. «Je donne quatre heures de cours de basse à deux niveaux différents. Je leur montre comment il faut jouer avec les autres, quand les écouter, comment jouer avec le soliste, interagir avec lui pour qu’il y ait osmose. Je leur fais développer la valeur de l’instrument et leur propre valeur. Ce sont des cours de grande qualité et ils sont motivés à bien faire».

Appelé à dire comment on devient un des meilleurs bassistes au monde et en particulier de jazz, Linley Marthe réplique qu’il faut avoir de la personnalité, de la musicalité, de la créativité, de l’intensité et avoir des choses à raconter. «Les défis sont sur le moment mais quand l’improvisation commence, les pensées rationnelles s’arrêtent. On lâche prise et advienne que pourra, tout en prenant le risque d’y aller et en sachant où on veut aller ».

La basse est réputée instrument difficile à jouer. Or, Linley Marthe ne le croit pas. «Jouer de la basse n’est pas difficile lorsqu’on plaque quelques notes fondamentales pour accompagner des artistes, du moment qu’on est dans les temps. Par contre, maîtriser la basse, c’est tout autre chose. Il faut connaître toutes les notes dans les différents registres, pouvoir jouer dans tous les tempos, connaître bien l’harmonie et surtout l’entendre car la basse joue la fondamentale des accords. Quand j’anime mes Master Class, je prends l’image suivante pour que les élèves puissent comprendre l’importance et la complexité de la basse : la basse est comme le tronc d’un arbre, qui fait le lien entre les racines – le batteur – et la cime, les branches et les feuilles que sont les solistes.»

Le seul endroit où on ne l’a jamais appelé pour animer une Master Class, c’est à Maurice. «Chez moi, jamais. C’est a very strange feeling ça. Je l’ai fait dans le monde entier et même chez nos voisins, à La Réunion.» D’ailleurs, après le concert du 25 septembre où il se produira en compagnie de Jean Christophe Cholet au piano, Alex Tassel à la trompette et Yohann Schmidtt à la batterie et où il promet «des morceaux originaux et des invités locaux de très haut niveau», il animera deux Master Class à l’Île sœur. «Mais je n’ai jamais été invité à le faire dans mon propre pays jusqu’ici… »

Ce père de trois fils ne leur a pas appris la musique. Et pourtant, ils l’ont dans le sang. «Je ne leur ai rien enseigné. L’aîné fait de la batterie et des percussions, le second adore tout ce qui est harmonique, soit la guitare et le piano. Le petit dernier aime la basse et le piano. Cela doit être génétique.»

Linley Marthe a bien quelques projets personnels mais il est incapable de les réaliser faute de temps. «J’ai des projets oui mais je suis sollicité par beaucoup de musiciens à travers le monde, qui apprécient mon talent à sa juste valeur, de même que ma motivation. Une fois que je rentre des tournées, je me pose à la maison et je n’ai qu’une envie : ne penser à rien. Cela viendra certainement un de ces jours.» Espérons-le.