Publicité

Yatin Varma: «Convoquer des journalistes peut être (…) un acte d’intimidation»

4 septembre 2019, 22:30

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Yatin Varma: «Convoquer des journalistes peut être (…) un acte d’intimidation»

Saisir la Cybercrime Unit ou le CCID et porter plainte contre autrui pour diffamation criminelle semble être devenu tendance. Cela a été le cas récemment pour le ministre Etienne Sinatambou. N’ayant pas digéré un article de presse, il s’est rendu à deux reprises aux Casernes centrales pour porter plainte contre «l’express». Mais qu’est-ce la diffamation criminelle ? Éclairage avec l’ancien «Attorney General» Yatin Varma.

C’est quoi une diffamation criminelle ? 
La diffamation est le préjudice causé à la réputation d’une personne. C’est une déclaration qui vise à dénigrer une personne. Cela peut se produire verbalement, en forme écrite, notamment sur la Toile, ou imprimée. Comme dans l’affaire B. Bundhoo contre l’État en 2001 ou le cas R. Neerput contre l’État en 2012. Dans quelle circonstance une personne peut-elle saisir le CCID ou la Cybercrime Unit pour porter plainte pour diffamation criminelle ?  La personne peut rapporter une affaire à la police lorsqu’elle sent qu’une déclaration faite à son encontre vise à ternir sa réputation. Cela, en l’exposant à la honte, l’humiliation, la haine, le ridicule ou le mépris.

Y a-t-il une loi qui parle de diffamation criminelle à Maurice ? 
L’article 288(1) du Code pénal stipule que toute imputation ou allégation portant atteinte à l’honneur ou à la réputation d’une personne constitue une diffamation. Et le paragraphe 3 indique que par l’un des moyens spécifiés à l’article 206, si un/une accusé(e) est reconnu(e) coupable sous ledit délit, il/elle sera passible d’une peine d’emprisonnement n’excédant pas cinq ans et peut écoper d’une amende maximale de Rs 50 000. Les articles 288 et 206 du Code pénal devraient être lus conjointement. Cependant, je dirai qu’un examen approfondi est requis dans le cadre actuel de notre loi car elle ne corrobore pas vraiment avec l’article 12 de notre Constitution, qui garantit la liberté d’expression.

Est-ce qu’un ministre, ou n’importe quel citoyen, peut porter plainte contre autrui ou contre la presse pour diffamation criminelle ? 
L’article 3 de la Constitution stipule que le droit de demander la protection de la loi est fondamental pour tous les Mauriciens, sans distinction de race, de lieu d’origine, d’opinions politiques, de couleur, de croyance ou de sexe. Par conséquent, il s’ensuit qu’en cas de préjudice, un ministre ou tout autre citoyen peut déposer une telle plainte. Mais ne serait-ce pas plutôt un moyen déguisé de museler la presse, en saisissant la police pour contester la publication d’un article de presse ? 

C’est vrai que le ministre est également un citoyen, avec des droits et des responsabilités. Malheureusement, certains ministres ont dans le passé ou même récemment eu recours au même moyen dans le but d’éviter ou d’empêcher toute critique de la part des journaux.

En ce faisant, la liberté d’expression et la liberté de toute publication par écrit ou par voie orale ne sont-elles pas menacées ? 
La façon dont la police a agi démontre une tendance à restreindre ou bafouer la liberté de la presse. Je dirais que la police a agi de manière imprudente après ladite déposition du ministre Etienne Sinatambou. Convoquer des journalistes comme ils l’ont fait peut être interprété comme un acte d’intimidation. Et quand les journalistes sont intimidés, la liberté de la presse est compromise.

Il y a eu, à titre d’exemple, des plaintes déposées par des membres de la famille Rawat pour diffamation contre des internautes et autres personnes au CCID, mais rien n’a été fait jusqu’à présent. En revanche, des journalistes ont récemment été convoqués suivant la déposition du ministre Sinatambou. Ne croyez-vous pas que cette stratégie de la police s’avère être de deux poids deux mesures ? 

C’est malheureux et regrettable que l’affaire Sinatambou témoigne de l’existence d’une telle pratique. Ce n’est pas correct. J’ai moi-même fait des déclarations en 2007 et 2014 contre des internautes, mais vous serez surpris de savoir qu’aucune mesure n’a été prise à ce jour. On ne comprend pas vraiment. Pourquoi cette manœuvre de deux poids deux mesures de la part de la police ? Lorsqu’un simple citoyen porte plainte, je ne dirai pas que rien n’est fait, mais la police prend du temps avant de prendre des actions. Lorsqu’il s’agit d’un ministre par contre, on voit la différence. La police agit vite.

Quelle est la différence entre une plainte civile et une plainte criminelle ? 
Une affaire civile peut se fait à travers une plainte déposée par le biais d’un avoué, sous les instructions d’un avocat, devant la Cour suprême, la cour intermédiaire ou la cour de district. C’est une affaire opposant des parties personnelles et le cas doit être prouvé sur une balance of probabilities. Pour ce qui est d’une affaire criminelle, après la déclaration, la police ouvrira une enquête. Elle peut demander l’avis du bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP), pour déterminer s’il y a matière à poursuites ou si une accusation peut être déposée ou pas. Une fois l’accusation retenue, la personne à qui on impute le délit est jugée. À noter qu’une affaire criminelle est d’ordre public.

Est-ce que cela veut dire que le dernier mot revient au bureau du DPP ? 
Pas forcément. La police peut agir sans passer par le DPP.