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Au Kenya, le dopage pour sortir de la pauvreté

30 juillet 2019, 18:38

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Au Kenya, le dopage pour sortir de la pauvreté

 

Ils connaissent les risques liés au dopage et disent les accepter car ils ne voient d’autre solution pour être performants et sortir leur famille de la misère: quatre athlètes kényans de second plan, dopés à l’EPO, témoignent anonymement pour l’AFP.

Comme des centaines d’autres, ces athlètes s’entraînent à Iten, berceau de l’athlétisme kényan, sur les hauts plateaux surplombant la vallée du Rift, dans l’ouest du pays.

 

Ce sont des anonymes dans leur pays mais leurs temps sur marathon, semi-marathon ou 10.000 m en feraient des coureurs de premier ordre en Europe ou ailleurs.

Sur marathon, le Kenya a une incomparable profusion de talents. Sur les 100 meilleurs performeurs de 2019, 38 sont kényans. Et selon l’Unité d’intégrité de l’athlétisme (AIU), près d’un millier de Kényans gagnent leur vie dans les marathons du monde entier.

Loin des sommes folles distribuées sur les plus prestigieuses courses - jusqu’à 200.000 dollars pour le vainqueur du marathon de Dubaï 2018 -, ces athlètes grappillent quelques centaines ou milliers de dollars ici ou là. Une fortune dans un pays où un fermier peut vivre avec 1,4 dollar par jour, selon une étude de l’Agence des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) datant de 2015.

Ces quatre athlètes racontent la même histoire. Ils rêvaient de gagner en restant propres mais le mauvais exemple des stars tombées pour dopage, la conviction que tout le monde est dopé et la nécessité de nourrir leur famille les ont fait franchir le pas.

«Parce que ma famille est pauvre, il fallait que je me dope pour gagner ma vie», affirme Alex (les noms ont été changés, NDLR). «Parce que vous ne pouvez pas rivaliser avec des gens qui se dopent déjà et espérer gagner raisonnablement votre vie.»

- 'Le sport n’est pas propre' -

 

Il a commencé à prendre de l’érythropoïétine (EPO) en 2017. Alex dit n’avoir jamais été testé. Il prend l’EPO deux mois avant la compétition et ne cherche pas à finir dans le trio de tête mais seulement dans les places payées, évitant ainsi les contrôles.

Il ne craint pas d’être pris. «Dans la vie, il faut prendre des risques pour gagner quelque chose de raisonnable», argue-t-il. Il ne s’inquiète pas plus des contrôles hors-compétition. Comme ses trois collègues, il ne fait pas partie des meilleurs athlètes du pays, les seuls régulièrement contrôlés par l’Agence nationale antidopage (Adak).

Alex, qui a acheté des terres avec ses gains, a la conscience tranquille. «Le sport aujourd’hui n’est pas propre», assène-t-il. «Oui, c’est un délit de se doper. Mais à cause des problèmes que vous avez, vous vous dites que vous n’avez même pas à vous excuser pour ça.»

Tony a commencé à se doper à l’EPO quand il avait 22 ans. Il choisit les courses sans tests antidopage - qui coûtent cher aux organisateurs - ou ne court pas à son maximum quand il y en a. Malgré tout, il dit avoir déjà été testé et avoir toujours été négatif, car il veille à prendre l’EPO bien en amont de la course.

Lui considère que la grande majorité des athlètes sont dopés. «Je triche parce que d’autres ont triché», lâche-t-il. Comme pour les autres, c’est un ami qui l’a introduit aux méthodes du dopage.

 

Il dénonce le mauvais exemple donné par les stars dopées. «Nous en avons rencontrées sortant de chez le docteur», affirme-t-il. «Et deux jours après, vous voyez cette personne à la télé. C’est une grande star et vous savez que cette personne a triché. Alors, en tant que jeune athlète, pourquoi je ne pourrais pas le faire?»

«Oui, je regrette, parce que je voulais courir propre», reprend-il. «Mais ces personnes nous ont influencés et nous n’avons pas le choix.»

- 'Combattre la corruption' -

Tony connaît les effets secondaires de l’EPO. «Ca m’inquiète, parce que je sais qu’il y a des risques pour ma santé et que je peux mourir à tout moment», confie-t-il. «Mais je prends le risque car je dois prendre soin de moi, et de mes frères et sœurs».

Dans son groupe d’entraînement d’une quinzaine de coureurs, quatre au moins se dopent. «Si les gens arrêtent de tricher, j’arrêterai», dit-il.

Tous reconnaissent qu’il est devenu plus difficile de se procurer l’EPO. «Pour moi, c’est (facile) maintenant car le docteur est devenu mon ami», explique Lucas, dopé depuis 2013, tout en reconnaissant que le médecin est plus prudent qu’avant.

Donald dit s’être dopé une fois en 2014, sur une course qui lui a rapporté 40.000 dollars. Par crainte d’être pris, il a ensuite arrêté. Mais il est aujourd’hui déterminé à recommencer, influencé par les résultats obtenus par des amis dopés.

«Depuis que j’ai arrêté, ma vie a été difficile», justifie-t-il. «C’est pour ça que j’ai décidé de prendre un raccourci.»

Tous sont aussi convaincus que la lutte contre le dopage au Kenya souffre de la corruption des autorités. Il est, disent-ils, facile de soudoyer un officiel.

«Au Kenya, la plupart des gens sont corrompus», constate Tony. «Pour vous débarrasser du dopage ou des tricheurs dans l’athlétisme, il faut d’abord combattre la corruption.»