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Hydroélectricité: en Serbie, la bataille des rivières

28 juillet 2019, 14:41

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Hydroélectricité: en Serbie, la bataille des rivières

«Vous n’êtes pas les bienvenus»: les ouvriers du chantier de la petite centrale hydroélectrique de Rakita travaillent dans une ambiance plombée par l’hostilité des habitants de ce hameau montagneux de l’est de la Serbie, pays de rivières.

Cette pancarte n’est pas le seul signe de tension dans cette région reculée de «Stara Planina» («La vieille montagne»), à la frontière avec la Bulgarie: mutiques, les ouvriers sont protégés par des vigiles sous l’oeil hostile des habitants. La police intervient régulièrement pour éviter les heurts.

A Rakita, deux logiques s’affrontent: d’un côté, la préservation de l’environnement et d’un écosystème indispensable aux populations locales; de l’autre, l’indépendance énergétique de la Serbie et la lutte contre le «tout charbon».

Pour inciter les investissements, la compagnie nationale d’électricité EPS s’est engagée à acheter à des prix bonifiés de 50% l’électricité produite par de petites structures. De riches particuliers ont répondu à l’appel, tel l’avocat de Belgrade qui finance celle de Rakita et n’a pu être joint par l’AFP.

Jusqu’à présent, une centaine de petites centrales ont été construites en Serbie, selon le ministère de l’Environnement.

Leur impact environnemental «n’est pas un secret», reconnaît Dragan Josic, président de l’association nationale qui regroupe ces investisseurs privés.

«Pas de baguette magique»

Mais «ce n’est rien comparé à l’effet produit par les centrales thermiques» au charbon, dit-il à l’AFP.

Et «il n’y a pas de baguette magique, si nous voulons de l’électricité, il faut la produire à partir du potentiel dont nous disposons».

Soit, en Serbie, le charbon ou l’eau. Les centrales à charbon produisent 70% de l’électricité serbe, l’hydroélectrique un gros quart, l’éolien et le solaire restent marginaux.

Selon une étude récente de l’ONG Health and Environment Alliance sur «La pollution chronique au charbon», celui-ci est responsable de la mort prématurée de 570 personnes par an en Serbie, le bilan le plus lourd des Balkans.

C’est, selon cette étude, 200 décès de plus que dans le pays de l’Union européenne le plus concerné par ce sujet, l’Italie, pourtant dix fois plus peuplée que la Serbie.

Belgrade, qui négocie une adhésion à l’Union européenne, s’est engagée à mener sa transition électrique. Or dans son dernier rapport, la Commission regrette le retard de la Serbie sur ce point.

Pour autant, selon Ratko Ristic, doyen de la faculté des sciences forestières de Belgrade, «il n’existe pas de modèle plus destructeur» que celui des mini-centrales hydroélectriques, auquel il s’oppose avec virulence.

Sans eau potable ?

S’appuyant sur une étude des années 1980 qui en prévoyait 856 en Serbie, il explique: «Si elles étaient toutes construites, elles ne couvriraient que 2 à 3% de nos besoins en électricité au niveau annuel mais conduiraient à rediriger dans des tuyaux 2.400 km de rivières dans les régions les plus vulnérables», assure le scientifique.

Il en vient ainsi à défendre le charbon: «Nous ne pouvons tout simplement pas fermer les centrales (à charbon) et retourner à l’âge de pierre», dit-il.

A Rakita, cela fait deux ans que les habitants luttent contre la construction de la centrale sur la rivière qui traverse leur village. Ils estiment leur mode de vie menacé par les tuyaux censés détourner en sous-sol 80 à 90% de l’eau.

Celle-ci doit être envoyée vers des turbines, ce qui selon les détracteurs du projet fera littéralement disparaître la rivière.

Dans le pire des cas, «nous resterons sans eau potable et Rakita peut déménager», se lamente Dobrica Stoicev, ouvrier au chômage de 59 ans, sirotant sa bière devant l’épicerie locale.

Selon les habitants qui manifestent régulièrement dans la ville voisine de Pirot ou à Belgrade, la centrale assèchera les puits, fera disparaître les poissons, privera le bétail d’eau.

Village pauvre, Rakita a compté jusqu’à 2.000 habitants. Ils ne sont plus que 150 à 200 comme en témoignent les maisons abandonnées.

«Détruire des cathédrales»

En janvier, ils ont trouvé un allié dans le ministère de l’Environnement qui a ordonné un arrêt des travaux, le ministre Goran Trivan estimant que la «contribution» énergétique de ces centrales «est petite par rapport aux dégâts» provoqués.

Mais cette interdiction de poursuivre les travaux n’a pas été suivie d’effet, sa mise en application dépendant d’autres administrations.

Sollicitée par l’AFP, la compagnie EPS renvoie vers le ministère de l’Energie, qui n’a pas donné suite.

Selon Milos Bakovic Adzic, 36 ans, de l’association «Le droit à l’eau», ces mini-centrales hydroélectriques ne servent que «l’intérêt privé de gens qui ont trouvé un moyen facile» de gagner de l’argent.

Le ministre Goran Trivan en convient: «Je suis sûr que si les tarifs (bonifiés proposés par EPS) étaient annulés, la construction (des mini-centrales) s’arrêterait», dit-il.

D’ailleurs, «personne n’a jamais insisté sur (la nécessité de) petites centrales hydroélectriques», dit Ulrich Eichelmann, fondateur du groupe écologiste Riverwatch.

Les Balkans abritent selon lui les «dernières rivières d’Europe intactes» hors de Russie et ce patrimoine risque d’être détruit par «le lobby hydroélectrique», qui projetterait d’y construire 3.000 centrales hydroélectriques, a-t-il récemment déclaré à Belgrade.

«Cela équivaudrait à détruire des cathédrales pour construire des centres commerciaux afin de gagner plus d’argent».