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Amy Dahmen: «Développer des modèles d’entreprises sociales à travers le sport»

23 juillet 2019, 20:12

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Amy Dahmen: «Développer des modèles d’entreprises sociales à travers le sport»

L’Américaine Amy Dahmen, Programme Manager du Yunus Sports Hub, était à Maurice il y a deux semaines pour animer un atelier de travail sur le Social Business. Elle explique ce concept, qui commence à prendre à l’étranger.

Vous êtes à Maurice à l’invitation de Social Business Mauritius, projet créé par Valéry de Falbaire, qui est un Young Change Maker+ du comité international olympique (à g. sur la photo). Qu’est-ce que le Yunus Sports Hub ? 
Le Yunus Sports Hub a été lancé l’an dernier par le professeur Muhammad Yunus, fondateur de la Grameen Bank et du Social Business, qui a obtenu le Prix Nobel de la paix en 2006 pour la banque et ses facilités de microcrédit ayant permis aux défavorisés de fonder leur petite entreprise et ainsi contribuer au développement. Ce hub fait partie du Grameen Creative Lab démarré par le professeur Yunus il y a 20 ans dans l’optique d’accélérer la progression du Social Business dans le monde.

Qu’est-ce que le Social Business et en quoi il concerne le sport ? 
Le Social Business est une entreprise vendant un produit ou un service en échange d’argent mais dont les profits sont réinvestis et jamais redistribués sous forme de dividendes. Un social business a sept objectifs: le premier est de trouver des solutions pour alléger la pauvreté et régler les problèmes environnementaux, le second est d’être une compagnie financièrement et économiquement viable, le troisième est de ne pas partager des dividendes, l’investisseur qui veut en sortir récupère son capital initial seulement. Le quatrième objectif est que les profits soient réinjectés dans la société pour la faire grandir. Le cinquième but est que la société soit inclusive au niveau du genre et sensible à la cause environnementale. Le sixième objectif est de rétribuer les employés selon les salaires en vigueur sur le marché et leur offrir de meilleures conditions de travail et le septième but est de réaliser tous les six premiers buts susmentionnés dans la joie.

Le Social business a été mis en place depuis 20 ans et a le pouvoir de changer le monde mais n’a jusqu’ici jamais gagné le monde du sport. Pour le moment, c’est l’argent qui fait tourner le sport. Un récent rapport fait état de 700 milliards d’euros injectés dans le monde du sport. Or, la répartition de cet argent n’est pas égale à tous les sports. Par exemple, des vedettes du football européen et américain et du basket-ball américain reçoivent des salaires mirobolants. Ils reçoivent énormément de parrainages financiers car leurs matchs sont retransmis à la télé et sont regardés. Or, 86 % des athlètes universitaires aux États-Unis vivent sous le seuil de pauvreté. Dans le monde olympique aussi, de nombreux athlètes vivent sous le seuil de pauvreté. Les sports susmentionnés sont roi alors que le tir à l’arc est un des parents pauvres du sport.

L’Allemand Thomas Bach, neuvième et actuel président du comité olympique international, qui est un bon ami du professeur Yunus, lui a demandé de proposer des solutions aux problèmes humains dans le sport car les athlètes ont le pouvoir de modeler les comportements sociaux en étant des modèles. Le professeur Yunus a donc créé le Yunus Sports Hub l’an dernier pour justement faire grandir le Social business dans le sport. Mon rôle en tant que Programme manager du Yunus Sports Hub est de développer des solutions au sein d’organisations sportives et de sociétés liées au sport en leur proposant des programmes destinés à leur faire devenir des modèles d’entreprises sociales.

Quand on pense aux Jeux Olympiques passés, Rio 2016 par exemple, quel a été leur impact social ? Comme héritage, ces jeux ont laissé d’immenses parcs et stades qui ont endetté les pays concernés et n’ont pas été utiles à la communauté. Anne Hidalgo, la maire de Paris, ville qui abritera les Jeux Olympiques en 2024 a demandé au Yunus Sports Hub de faire de ces jeux les premiers jeux inclusifs socialement et économiquement et durables et ce, avec un budget de 7 milliards d’euros. Elle tient à ce que cet argent soit distribué aux Social businesses. Nous avons donc créé une plateforme baptisée Économie Sociale et Solidaire 2024, qui a la charge d’identifier les Social businesses dans Paris et à sa périphérie et les encourager à développer des produits et services qui permettront aux Jeux Olympiques d’être socialement inclusifs.

Pouvez-vous nous donner des exemples concrets à cet effet ? 
J’ai créé une société appelée Kabubu et nous élaborons par exemple des activités qui rassemblent les migrants et les communautés locales, des programmes qui favoriseront les connexions entre eux. Lorsque l’appel d’offres pour les activités autour des Jeux Olympiques de Paris a été lancé, Kabubu y a participé et est sorti second. Le Yunus Sports Hub met aussi en place une académie qui va créer des parcours d’emplois pour les migrants à travers le sport, comme les utiliser comme guides durant ces Jeux et les embaucher pour aider durant les tournois sportifs. Les Social business peuvent aussi récupérer toute l’alimentation qui est gaspillée pour la revendre et même à être servie aux athlètes dans le Village des Jeux. Le service traiteur peut être confié à une entreprise qui emploie des migrants réfugiés par exemple. Au lieu de créer de nouvelles structures, le Yunus Sports Hub peut voir comment utiliser et rentabiliser les structures déjà existantes et qui peuvent être utilisées par les communautés locales après les JO. La ville de Paris a fait construire un complexe sportif en Seine St Denis et le contrat de construction est revenu à un Social business qui utilise des matériaux recyclés afin d’avoir zéro émission de carbone. Il y a des villes entières qui sont des Social business cities, par exemple Wes Baden en Allemagne. La ville de Barcelone a manifesté son dé- sir de devenir une Social business city.

«Mon rôle est de développer des solutions en proposant aux sociétés liées au sport des programmes visant à faire d'elles des modèles d'entreprises sociales.»

Cela ne peut se faire du jour au lendemain? 
Bien sûr que non. Vous commencez par une rue et le mouvement gagne les rues annexes jusqu’à ce que toute la ville devienne une Social business city. La ville de Durban en Afrique du Sud est en train de se transformer en Social business city. Ce mouvement de Social Business est en train de prendre de l’ampleur au Mexique, à New York, en Colombie, en Inde, en Écosse. Lors de la Social Business Conference, qui s’est tenue à Bangkok le 28 juin, la grande famille de Social business s’est retrouvée pour célébrer, pour partager les bonnes pratiques en cours et consolider les acquis. Nous avons mis au point un programme qui s’appelle le Athlete 365 Business Accelerator et qui vise à faire des athlètes devenir des entrepreneurs. Ce programme comprend des vidéos, des ateliers de formation et six mois de suivi et il est gratuit pour les athlètes. Le Professeur Yunus était un bon ami de Nelson Mandela. Ce dernier a toujours dit que le sport à le pouvoir de changer le monde, mais Professeur Yunus rajoute qu’il faut le Social Business pour débloquer ce pouvoir. Une organisation agissant comme un Social Business nommée Peace and Sport, soutenue par le prince Albert de Monaco a mis sur pied un Social business intitulé Amigo Del Mar. Cette Social Business est dirigée par trois surfeurs, qui ont mis en place une académie et qui donnent des cours gratuits de surf aux enfants recalés du système scolaire. En contrepartie, ces enfants ramassent les déchets en plastique et les recyclent pour en faire des ailerons pour planches de surf et ce produit est commercialisé et viable. Aujourd’hui, nous devons acheter et consommer responsable. L’héritage que veut laisser le professeur Yunus c’est de trouver des solutions aux problèmes humains. Et de plus en plus de gens et de sociétés veulent s’associer à cet héritage.

Quel a été votre message au cours de l’atelier de travail que vous avez récemment animé avec Social Business Mauritius ? 
J’ai parlé de l’importance du Social business et j’ai fait comprendre qu’il était possible de créer des environnements de travail socialement responsables, de transformer leurs entreprises et de responsabiliser les communautés afin de résoudre leurs problèmes. Valéry de Falbaire, qui est un des Young Change Makers+ du comité international olympique et moi avons aussi parlé aux athlètes membres d’organisations sportives olympiques à propos du Yunus Sports Hub et de leur possible contribution pour transformer le monde du sport.