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Des initiatives d’internautes pour assécher financièrement la haine en ligne

23 juillet 2019, 15:55

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Des initiatives d’internautes pour assécher financièrement la haine en ligne

Assécher financièrement les relais de la haine en ligne: tel est l’objectif des Sleeping Giants («géants endormis») venus des Etats-Unis, ou de StopHateMoney et Ripost lancés en France cette année, qui cherchent à priver des sites controversés de recettes publicitaires, voire à tarir leur écosystème.

«L’élection de (Donald) Trump nous a réveillés», explique Rachel sous un prénom d’emprunt. Elle est l’animatrice du compte Twitter @slpng_giants_fr, lancé en France le 17 février 2017, qui compte plus de 4.000 «géants».

Sleeping Giants est né aux Etats-Unis après l’élection en novembre 2016 de Donald Trump. Des milliers d’internautes bénévoles ont alors ciblé les entreprises dont les annonces se retrouvaient sur le site de l'«alt-right» américaine Breitbart News, dirigé un temps par Steve Bannon, ancien conseiller de Donald Trump.

Plus de 4.000 entreprises ont depuis retiré leurs annonces de Breitbart News, dont 1.100 en Europe, où Breitbart comptait s’étendre. «Les réseaux de propagande tels que Breitbart constituent une véritable menace pour les sociétés ouvertes et le discours démocratique», estime Sleeping Giants.

En France, ces «géants» anonymes cherchent à assécher le site Boulevard Voltaire, fondé en 2012 par le maire de Béziers Robert Ménard, élu avec le soutien du Rassemblement national. Suite à leur action, 940 annonceurs ont bloqué leurs publicités sur bvoltaire.fr qui s’est retrouvé quasi sans annonces fin 2018.

La directrice de publication du site, Gabrielle Cluzel, conteste ces chiffres et assure que l’action de Sleeping Giants «a eu peu d’incidence parce nous vivons d’abord de dons». Boulevard Voltaire a porté plainte fin mai pour discrimination liée aux «opinions politiques» ayant entravé une activité économique.

Pubs bloquées

Sous la pression des mêmes «géants» anonymes, des centaines d’autres annonceurs ont retiré leurs publicités du site «Breiz atao» du blogueur Boris Le Lay, condamné à plusieurs reprises pour racisme, jusqu’à son exclusion définitive par la régie Google Ads.

La procédure consiste à prendre une capture d’écran d’une annonce à côté d’une partie du contenu du site visé, puis de tweeter l’image avec une «note polie» à destination du compte Twitter de la société qui a payé la publicité.

Mais pas question de «dénoncer l’entreprise («name and shame»). Au contraire nous favorisons la communication positive et publions la liste des annonceurs qui ont bloqué le site», explique Rachel.

Les Sleeping Giants n’entendent pas se disperser. «Si vous videz 10 sites d’une publicité, ça ne les atteindra pas. En revanche si vous videz un seul site de milliers d’annonces, ça l’affectera réellement», explique Rachel.

Avec la publicité automatisée (dite «programmatique») les entreprises ciblent leurs clients potentiels «en fonction des sites déjà visités et ignorent, le plus souvent, sur quels sites leurs annonces apparaissent», explique Tristan Mendès-France, qui vient, lui, de lancer en juin @StopHateMoney, avec l’observatoire Conspiracy Watch et le soutien du Fonds du 11 janvier (date des attentats de Charlie Hebdo).

Cagnottes

Ce maître de conférence à l’université Paris-Diderot sur les cultures numériques, qui travaille ponctuellement avec les Sleeping Giants, voit plus large et souhaite tarir tout l’écosystème qui fait vivre ces sites controversés, comme les cagnottes en ligne, les portefeuilles de crypto-monnaies ou les boutiques sur internet.

StopHateMoney a déjà fait savoir par exemple à Colissimo qu’il livrait des produits de la boutique en ligne du polémiste Dieudonné, ou aux produits bio Cattier qu’ils étaient vendus sur le site aubonsens.fr lié à l’essayiste d’extrême droite Alain Soral.

Le petit-fils de l’ancien président du conseil Pierre Mendès-France, qui avait affronté toute sa vie l’extrême droite, anime aussi le projet Ripost, qui entend utiliser les coupons publicitaires alloués par les plateformes internet (comme Google, Bing ou Facebook) à certaines associations.

«Le but est d’acheter certains mots-clés polémiques sollicités dans les moteurs de recherche afin qu’ils renvoient à des liens vers des sites de fact-checking» (vérification de l’information), explique M. Mendès-France.

Le gouvernement s’intéresse à ces initiatives. Pourtant un amendement LREM à la proposition de loi sur la haine en ligne pour empêcher la diffusion de publicités sur des sites visés par une décision judiciaire a été retiré. Rapporteure comme gouvernement ont jugé le dispositif pas abouti.