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Chasseurs et écolos plus que jamais à couteaux tirés

18 juillet 2019, 10:10

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Chasseurs et écolos plus que jamais à couteaux tirés

Tourterelle des bois, courlis cendré... A peine opérationnel, le tout nouveau système de gestion des espèces chassables est déjà la cible des critiques, ravivant des tensions tenaces entre chasseurs et défenseurs des animaux.

L’an dernier, le gouvernement, accusé notamment par le ministre démissionnaire Nicolas Hulot de favoriser le lobby des chasseurs, avait présenté une réforme de la chasse divisant le prix du permis national par deux et mettant en place la «gestion adaptative», pour remplacer la liste figée d’espèces chassables.

Ce dispositif, importé d’Amérique du Nord et réclamé par les chasseurs, consiste à définir le nombre d’individus pouvant être tués après expertise scientifique sur l’état de conservation de chaque espèce.

Même s’ils étaient «réticents au départ», les défenseurs de l’environnement ont souscrit à l’idée «pour sortir du face à face entre les chasseurs et le monde de l’environnement, pour sortir de positions dogmatiques en basant des décisions sur des avis scientifiques», commente Sandrine Bélier, de l’ONG Humanité et Biodiversité.

Mais après l’examen des trois premières espèces par le nouveau comité d’experts sur la gestion adaptative (Cega), la situation «est ubuesque», dénonce-t-elle.

Aucun des avis du comité -- dont 6 des 14 membres, proches des chasseurs, ont boycotté les délibérés -- n’a été complètement suivi par le ministère.

Le comité préconise ainsi de ne plus chasser la tourterelle des bois --classée «vulnérable» sur la liste rouge de l’UICN et dont la population a chuté de 80% en Europe ces 40 dernières années-- ou au pire, de tuer 1,3% des effectifs estimés en France, soit 18.300 oiseaux.

Le projet d’arrêté, en consultation publique jusqu’au 25 juillet, prévoit lui 30.000 prélèvements pour la saison 2019-2020.

La Fédération nationale des chasseurs pointe du doigt d’autres raisons à la baisse du nombre de tourterelles (maladie, destruction des habitats) mais a malgré tout «proposé de réduire» ses prélèvements de 90.000 à 45.000, explique son président Willy Schraen.

«Au lieu de hurler, les écolos devraient dire bravo, mais dans leur esprit, gestion adaptative ça veut dire fermeture de la chasse», poursuit-il, notant que dans le reste de l’Europe «tout le monde tire sur ces oiseaux», avec 2 millions tués chaque année.

«Intérêts particuliers»

Le ministère de la Transition écologique met d’ailleurs en avant la nécessité d’un plan de gestion à l’échelle européenne.

Mais «si tous les pays tiennent le même raisonnement, on ne va jamais arrêter cette chasse !», répond Dominique Py, de France Nature Environnement, notant qu’à l’inverse, ça ne gêne pas la France d’être «le dernier pays à chasser le courlis cendré».

Pour cet oiseau, le ministère propose 6.000 prélèvements, alors que le Cega, soulignant le manque de données, recommande un moratoire. Le troisième projet d’arrêté souhaite reconduire la suspension de la chasse à la barge à queue noire.

Le ministère assure avoir pris en compte les avis des experts, des chasseurs et des associations environnementales. Mais «ce n’était pas la peine de faire un comité sur la gestion adaptative, si c’était pour ne pas tenir compte des avis» scientifiques, dénonce Yves Verilhac, de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO).

Deux des trois projets d’arrêtés «témoignent de décisions politiques guidées par des intérêts particuliers, sans fondement scientifique, mettant en péril le maintien des espèces sur le long terme», s’insurge également le centre de recherche de la Tour du Valat, qui a fourni un expert au comité.

Dans ce contexte, certains s’interrogent sur l’opportunité de travailler sur les trois prochaines espèces (fuligule milouin, grand tétras, oie cendrée). «Nous sommes prêts à travailler, mais dans de bonnes conditions, avec une instance de concertation et un fonctionnement scientifique du comité», explique à l’AFP son président Patrick Duncan.

«On a fait une gestion très réussie pour les grands herbivores en France, on peut réussir une gestion adaptative pour les oiseaux», estime l’ancien chercheur au CNRS, persuadé que chasseurs et protecteurs de la nature «ont le même intérêt à avoir des populations d’oiseaux et de mammifères en bon état».

«Il y a 50 ans de conflit à faire avaler (...) Cela ne va pas se faire en un jour», reconnaît Willy Schraen.