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JIOI 2019 - Nathalie Lam Hardy: «Nous marchons en ligne le long de la piscine, Bako est devant moi, les Réunionnaises aussi…»

14 juillet 2019, 08:03

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JIOI 2019 - Nathalie Lam Hardy: «Nous marchons en ligne le long de la piscine, Bako est devant moi, les Réunionnaises aussi…»

Lors des Jeux des îles, en 1985 à Maurice, la piscine étant à dix minutes de chez moi, j’allais presque tous les jours voir les épreuves de natation. J’étais impressionnée, j’adorais l’ambiance. J’y étais quand Sultan Beeharry gagne sa médaille d’or et également quand Bako, la Malgache, gagne le 100m papillon. Je découvre cette nage du haut des gradins et je me souviens encore de cette course… J’étais émerveillée, je trouvais que c’était une belle nage. L’ondulation et la puissance de Bako m’avait bluffée.

En août 1990, me voilà quittant Maurice pour les Jeux des îles à Madagascar avec un cœur bouillonnant d’émotions. A la fois l’excitation, l’adrénaline de partir pour la compétition, la pression et aussi la joie d’être avec mon équipe. Nous étions très proches, très soudés et prendre l’avion avec les autres athlètes de mon pays amenait davantage d’adrénaline. Comme une seule famille, tous fiers de représenter notre pays, nous chantions tous ensemble : «Coute tête nou vini !» C’était une ambiance incroyable !

Mais, caché au fond de moi, invisible, un autre souvenir me hantait : deux semaines plus tôt, je venais de perdre une de mes meilleures amies dans un accident de la route alors que j’étais en stage de natation en France. A 17 ans, perdre une de ses meilleures amies, soudainement, c’est très très dur… De plus, lors de mon retour à Maurice après mon stage en France, je tombe de ma couchette dans le train et me blesse au poignet. On s’envolait pour Madagascar une semaine après. Donc, ce n’était pas la grande forme pour moi.

Nous arrivons à Madagascar et découvrons nos adversaires. La pression monte et aussi la motivation de faire de notre mieux. J’étais loin d’être la favorite pour ma course personnelle, le 100m papillon, je n’espérais même pas un podium en individuelle mais plutôt ramener des médailles au relais 4x100m NL et 4x100m 4 Nages.
Nous, les nageurs, quittions les autres athlètes car nous étions basés à Tamatave où se trouvait la piscine. Nous n’étions pas très heureux de cela car nous n’avions pas le soutien des autres athlètes mauriciens, du public. Mais notre équipe était soudée.

Joie

Me voilà dans la chambre d’appel pour le 100m papillon. Bako, celle que j’admirais quatre années plus tôt, était à mes côtés. Elle m’impressionne encore… J’ai le trac mais j’essaie de rester concentrée. «Do your best !» C’était ma devise. Mon entraîneur Yan Boullé nous le répétait toujours. Voilà qu’on nous appelle pour le départ. Nous marchons en ligne le long de la piscine, Bako est devant moi, les Réunionnaises aussi. Je passe devant notre équipe qui m’encourage à fond. Et le public malgache encourage Bako. Elle avait son titre à défendre, le public criait son nom sans arrêt. C’était intimidant.

Je suis sur le plot de départ et je me sens comme enveloppée par une lumière blanche… et ensuite je me revois à 30 mètres. Je réalise alors que Bako était devant ainsi que les Réunionnaises. Je fais ma course, je ne regarde plus mes adversaires et je me donne à fond. Je touche la ligne d’arrivée et je regarde le tableau d’affichage : surprise, j’ai gagné ! Je n’arrive pas à y croire. Je regarde mon entraîneur et mon équipe qui bondissaient de joie. Je sors de la piscine et me jette dans les bras de Bernard Desmarais, très heureuse. Bernard et moi étions très proches de notre amie décédée. Ensemble, après deux semaines de tristesse, nous célébrons la joie d’une médaille d’or.

Etre médaillée est une expérience intense, une récompense après tant d’efforts et de sacrifices. De plus, entendre son hymne national en étant sur la plus haute marche du podium est une sensation extraordinaire, inoubliable. Je ne me suis jamais sentie autant Mauricienne, fière de représenter mon pays. Tant d’émotions ! Mon équipe et moi, nous débordions de joie. Moi, la petite Nathalie avait battu l’icône malgache.

J’ai participé aussi au relais 4 x100m NL ainsi qu’au relais 4 x100m 4 nages. Nous sommes motivées à bloc et nous remportons la médaille d’or dans les deux épreuves. J’étais trop contente, je ne pouvais rêver mieux : trois courses, trois médailles d’or.

Plus les journées passaient, plus nous étions motivés et nous remportions des médailles chaque jour. La natation mauricienne fait parler d’elle et marque la compétition de son empreinte. Elle se poursuit et nous remportons encore et encore des médailles. Dix médailles d’or et plusieurs médailles d’argent et de bronze. Quel exploit !

La natation étant programmée durant les cinq premiers jours des Jeux, dès que nous avions terminé nos courses, nous repartions vers Tananarive rejoindre les autres athlètes. Ils nous attendaient tous pour nous féliciter. Nous avons eu un accueil de roi de la part de nos compatriotes. Le Club M était en fête ! Ayant terminé nos courses, nous pouvions aller encourager les autres athlètes sans stress, sans pression. J’étais comme sur un petit nuage. Je vivais un rêve. Je savourais les fruits de tant de sacrifices.

Je m’entraînais six jours sur sept. En semaine, c’était deux fois par jour. Je me réveillais à 5 heures pour aller à l’entraînement avant d’aller à l’école. Au tout début, nous n’avions qu’une lumière. J’entrais dans la piscine, je voyais à peine ma main et l’eau était à 16-17 degrés. Puis, j’y retournais tous les après-midis après l’école. La piscine n’était pas chauffée en ce temps-là et les compétitions internationales avaient toujours lieu fin août, donc en hiver. La piscine froide faisait partie de notre préparation chaque année.

«Une famille»

1993. La préparation bat son plein pour les Jeux des îles aux Seychelles. Je suis blessée aux épaules, deux tendinites aiguës. Je suis envoyée en Europe par le ministre des Sports pour me faire soigner mais la blessure est très importante. Je continue malgré tout mes entraînements comme je le pouvais. Je travaillais mes jambes pour laisser mes épaules se reposer mais à l’approche des qualifications, je n’arrive toujours pas à nager le papillon. J’avais un titre à défendre et je ne pourrais pas faire ma course. C’est une grande déception pour moi. Je savais qu’avec cette blessure, j’arrivais à la fin de ma carrière. Ces Jeux des îles seraient ma dernière compétition et ce serait sans le papillon, ma course de prédilection.

Je m’envole pour les Seychelles pour défendre mon pays au relais 4x100m Nage Libre et nous remportons la médaille d’argent. Une autre belle expérience, remplie de souvenirs inoubliables. J’ai vécu les Jeux des îles des Seychelles autrement. La joie de pouvoir y participer mais le regret de ne pouvoir faire MA course, le 100m papillon, et la tristesse de savoir que c’est la dernière fois que je représentais mon pays.

Toutes mes années d’adolescence à m’entraîner et ensuite tout d’un coup, tout s’arrête. Les souvenirs sont nombreux, les records aussi mais ça laisse un grand vide. Mon record national au 100m papillon a été battu plus d’une dizaine d’années après.

Parfois je me demande comment j’ai tenu le coup. J’ai eu beaucoup de chance. Je pense avoir vécu les meilleures années du sport mauricien. Nous avions un ministre des Sports, Michel Glover, qui connaissait chaque athlète, chacune de leurs performances. Pour ma part, de le voir de temps en temps à 6 heures du matin au bord de la piscine, discuter avec moi de mes objectifs a été une grande motivation.

Yan Boullé, mon entraîneur, a eu une très grande place dans ma vie pendant toutes ces années. Il a été d’un soutien extraordinaire. Il m’a donné, comme aux autres nageurs, un encadrement hors pair, il savait nous motiver. Je lui suis très reconnaissante pour cela car sa présence m’a permis d’être la nageuse que j’ai été, la personne que je suis aujourd’hui.

Les nageurs aussi ont joué un rôle important. Nous n’étions pas une équipe, nous étions une famille. On se serrait les coudes, toujours ensemble. Dans les moments de découragement où je me disais que je n’en pouvais plus et que j’allais arrêter, ma famille de natation, les nageurs et mon entraîneur, me manquait trop et avec leurs encouragements, je retrouvais la motivation.

Mes années de natation ont été une école de vie. L’effort, le sacrifice, l’engagement, le respect, la volonté, la persévérance… Tant de valeurs qui me servent toujours. Des années inoubliables !  Mon seul regret : c’est de n’avoir jamais eu l’occasion de vivre une compétition internationale dans mon pays, avec mon public.

Palmarès

Membre de l’équipe nationale de 1987 à 1993
Spécialités : 50m et 100m Papillon, 50m et 100m Nage Libre et les relais.
Plusieurs fois élue meilleure nageuse des Championnat nationaux
Record de Maurice au 50m et 100m Papillon pendant toute ma carrière. Mon record au 100m Papillon a été amélioré plus de 10 ans après ma retraite sportive.
1987 : Jeux d’Afrique – Kenya
           Jeux des Jeunes – Réunion
1988 : Championnat d’Afrique Junior – Zimbabwe
1989 : Championnat d’hiver de La Réunion
            Médaillée au 100m Papillon
1990 : Jeux des îles – Madagascar
Médaille d’or : 100m Papillon, 4 x 100m Nage Libre et 4 x 100m 4 Nages
1991 : Jeux d’Afrique – Egypte
Médaille d’or : 4 x 100m Nage Libre (on se qualifie pour les JO 1992)
1992 : Jeux olympiques de Barcelone
1993 : Jeux des îles aux Seychelles
Médaille d’argent : 4 x 100m Nage Libre